« L’ambassade des USA au Brésil ressemble à celle aux temps d’Allende au Chili »

Après plus de quinze ans de progressisme et d’avancées sociales, l’Amérique Latine est en pleine recomposition. De l’Argentine au Venezuela en passant par le Brésil, la contre-offensive de la droite est en marche. Dans un contexte marqué par une forte crise économique et des tensions politiques, les Etats-Unis tentent de reconquérir leur ancien « pré-carré ». Journaliste et grand spécialiste de l’Amérique Latine, Carlos Aznarez nous apporte son analyse sur les changements qui s’opèrent dans la région.

Lors de ses cent premiers jours au pouvoir, le président argentin Mauricio Macri a reçu le premier ministre italien Mateo Renzi, le président français François Hollande et enfin le président Barack Obama. Dans le même temps, il a abandonné les efforts du gouvernement précédent de promouvoir l’intégration régionale. Quelle est la nouvelle politique étrangère de l’État argentin ? Assistons-nous à un retour du néocolonialisme dans le pays ?

En effet, il y a un changement radical dans la politique extérieure de l’Argentine. Pour autant, il ne faut pas exagérer quant au processus d’intégration impulsé par les époux Kirchner. N’oublions pas, par exemple, que lorsque Chevron a été expulsé d’Équateur après avoir causé une catastrophe écologique sans précédent dans le pays, l’Argentine a continué à recevoir cette multinationale à bras ouverts.

Mais il est vrai que les gouvernements Kirchner entretenaient de très bonnes relations avec le Venezuela, avec Cuba, avec la Bolivie… La politique extérieure a aujourd’hui profondément changé. Nous sommes de nouveau plongés dans des relations destructrices avec les Etats-Unis, l’Union Européenne mais aussi avec Israël. Tout cela provoque un malaise très fort au sein du sous-continent, notamment de la part de ceux qui ont fait le pari d’une intégration sérieuse, et je crois que, malheureusement, ce changement de diplomatie nous mène vers le néocolonialisme.

Lors de la conférence de presse au Palais Présidentiel, les présidents Obama et Macri ont évoqué la possibilité de signer un accord de libre-échange entre le Mercosur et les Etats-Unis. Va-t-on vers un nouvel ALCA ?

Il est certain que le pays va finir par rejoindre l’Alliance pour le Pacifique. Il va sans doute renforcer les traités existants avec l’Union Européenne, les Etats-Unis et Israël. Lors de la visite d’Obama, de nombreux accords économiques ont été signés entre des chefs d’entreprise argentins et étatsuniens. Les Etats-Unis avancent dans la région et tentent faire pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent des mesures de libre-échange. L’Uruguay et son gouvernement « « progressiste » » est en train de signer ces traités.

De son coté la présidente du Chili, Michelle Bachelet n’a aucun problème à les signer. Et ils tentent aujourd’hui de faire pression sur le Brésil. Ils tentent de déloger Dilma Rousseff car ils adoreraient voir l’Argentine et le Brésil signés ces traités. C’est pourquoi il est important que le Brésil résiste et que Dilma Rousseff, au delà des graves erreurs qu’elle a commises, ne tombe pas.

Concernant le Brésil, que cherche la droite brésilienne ? Quelles sont ses motivations et objectifs ?

Elle cherche à destituer Dilma par la voie judiciaire, par la voie parlementaire mais aussi par la rue. La gauche s’est endormie entre les contradictions notamment au sein du PT, qui a rendu presque naturelle la corruption dans ses propres rangs après avoir mis en place une politique d’austérité non seulement avec l’ex-ministre et banquier Joaquim Levy mais également avec son successeur Nelson Barbosa qui a suivi la même ligne.

Les gens de gauche qui sont sortis dans les rues le 18 mars dernier (ils étaient environ un million et demi) sont allés manifester majoritairement contre le coup d’Etat. Seule une petite minorité est descendue dans la rue pour soutenir la présidente. Par exemple, le Mouvement des Sans Terres (MST) a durement critiqué la politique d’austérité de la présidente.

Cependant, il faut se rappeler qu’une semaine auparavant, plus de deux millions et demi d’opposants avaient battu le pavé. Au Brésil aujourd’hui, la droite tient la rue. En Argentine, c’est différent. La rue appartient à la gauche ou aux mouvements sociaux et le macrisme ne peut rien faire face à ça.

Et quel est le rôle que jouent concrètement les Etats-Unis dans ces manifestations qui ébranlent le pays ?

L’ambassade états-unienne au Brésil reçoit aujourd’hui les visites d’opposants à Dilma, de la social-démocratie qui est aux avant poste dans le processus d’impeachment (destitution) contre Dilma. L’ambassade des Etats-Unis au Brésil ressemble à celle aux temps d’Allende au Chili. C’est le lieu où se préparent tous ces projets de déstabilisation. Les Etats-Unis couronneraient leurs objectifs en provoquant la chute de Dilma.

Ainsi, en s’emparant de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Chili et du Paraguay, ils remettraient la main sur le Cône Sud.

Enfin, pour terminer sur le Brésil, existe-t-il une troisième force capable de freiner le coup d’Etat de la droite et de proposer un projet de rupture avec le modèle néolibéral en place aujourd’hui au Brésil ?

Il existe un mouvement, Brasil Popular qui regroupe le MST, des syndicats et certains secteurs du PT déçus par la ligne officielle du parti. Ce pourrait être l’alternative face à un PT en difficulté et je crois que c’est l’espoir au Brésil. Ceci dit, tous ces fronts peuvent avoir beaucoup de force dans la rue mais qui ne se traduit pas électoralement. Les gens sont assez passifs et habitués à voter pour ceux de toujours. C’est pourquoi il est difficile pour une troisième force, puissante et organisée, de naitre.

Rafael Correa a réagi sur les événements au Brésil et a parlé d’un nouveau Plan Condor qui serait en train de frapper le continent. Partagez-vous le point de vue du président équatorien ?

Oui, je suis d’accord avec lui. Mais il faut remarquer quelque chose. Le Plan Condor, c’était autre chose. C’était une alliance entre les armées des pays du Cône Sud pour éliminer les éléments « subversifs ». Nous avons à faire ici à un nouveau Plan Condor. C’est un Plan Condor piloté en quelque sorte par les multinationales. Regardez les derniers morts dans les rangs de la classe travailleuse, ce sont des gens qui ont été tués après avoir lutté contre les multinationales. Le cas le plus médiatisé a été celui de Berta Caceres au Honduras.

Je pense que c’est le bras le plus concret de l’impérialisme dans le continent. Ne pensons pas aux marines. Les multinationales sont les marines, les nouveaux marines. Il faut également mettre en exergue la dangereuse avancée du para-militarisme dans presque tous les pays de la région. On voit ainsi ressurgir aujourd’hui des Etats policiers prêt à réprimer qui que ce soit.

Dans ce contexte de contre-offensive de la droite, quel est l’avenir pour les révolutions latino-américaines ?

Je crois qu’il faut continuer à penser qu’il y a un futur pour ces révolutions. Nous sommes là dans des cycles négatifs après avoir traversé des cycles positifs… Pendant un temps, nous allons avoir une forte avancée du néolibéralisme dans tous nos pays mais cela va également générer de la résistance. C’est encore dur. En Argentine par exemple, les gens semblent être choqués et ne répondent pas aux vagues de licenciements comme ils le devraient. Je pense que l’unique moyen de sortir de la crise, c’est de passer par des révolutions.

En Argentine, pour le moment, je pense qu’il manque cela. Nous sommes encore avec les nostalgiques du kirchnérisme et une gauche divisée qui se cherche encore. Mais je pense que tôt ou tard, quelque chose va surgir pour nous mener vers des processus révolutionnaires et laisser derrière nous ces progressismes qui ont échoués. D’une certaine manière, ils ont servi pour produire quelques avancées sociales intéressantes mais aussi sur les droits de l’homme…

Rien n’est complet bien sûr mais ils ont tout de même apporté des avancées, mais le progressisme tel qu’il s’est imposé en conservant l’idée de préserver le capitalisme et de ne pas avancer vers le socialisme.

Les nostalgiques vont donc devoir rester avec leur nostalgie. Et je crois qu’il faille penser à une autre question, celle de la démocratie, qui est une farce totale.

L’électoralisme que génère cette démocratie appelée représentative est chaque fois un peu plus néfaste y si il devait y avoir une preuve de la nocivité de cette démocratie en Argentine, on la trouve avec le cas des Fonds Vautours.

Les députés élus par le peuple ont mis le pays à genoux. Ils ont livré l’économie, la souveraineté du pays, tout !

Car quelle démocratie voulons-nous ? Pas cette démocratie. Si une démocratie peut nous être utile, c’est la démocratie participative mais il faudrait quand même travailler sur ce concept et l’approfondir un peu plus.

En effet, il faut voir ce qui s’est passé au Venezuela où au nom du jeu libre et démocratique, on peut arriver à perdre une révolution. Ceci a déjà eu lieu au Nicaragua et maintenant c’est le Venezuela qui est en danger après avoir laissé libre cours au libre jeu de la participation et de la projection des idées de l’opposition, le parlement est aujourd’hui aux mains de l’opposition, bien décidé à détruire la Révolution Bolivarienne.

Carlos Aznarez est journaliste et directeur de Resumen Latinoamericano, un journal de référence des forces progressistes et des mouvements sociaux en Amérique Latine

Source : Le Journal de Notre Amérique

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