L’Afrique plus colonisée que jamais. La « nouvelle stratégie pour l’Afrique » des États-Unis : de la vieille soupe dans de nouvelles marmites

Quelques mois après l’annonce à la Fondation Heritage de la « nouvelles stratégie pour l’Afrique par le conseiller américain à la Sécurité nationale John Bolton, la nouvelle politique des États-Unis a tué des civils, exploité les ressources de l’Afrique et utilisé le continent comme champ de bataille pour provoquer des tensions avec la Russie et la Chine.


En février 2011, Robert Gates, alors ministre de la Défense, a déclaré à West Point que « tout futur ministre de la Défense qui conseillerait au président d’envoyer à nouveau une grande armée de terre américaine en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique devrait se faire examiner la tête ». Tandis que le sang était versé en Libye par les forces de la coalition de l’OTAN, tuant des centaines de gens depuis le ciel et offrant une couverture aux extrémistes religieux pour en tuer des milliers d’autres, le conseil de Gates a été sans doute suivi et l’engagement armé a été utilisé à plein, tranquillement et discrètement, en particulier en Afrique.

L’un des projets de la « guerre contre le terrorisme » dont l’administration Obama a hérité de l’administration Bush était le Commandement Afrique des États-Unis, ou AFRICOM. Au moment où Donald Trump a accédé à la présidence en 2016, l’AFRICOM était devenu un monstre de 250 millions de dollars. Une grande partie de la politique de l’AFRICOM consiste à entraîner les forces locales en se concentrant sur la « lutte contre le terrorisme ». Jessica Piombo, rédactrice en chef de The US Military in Africa: Enhancing Security and Development? écrit : « [L’]armée américaine a tenté de créer de nouveau programmes qui incluent une série d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux dans des programmes de sécurités qui vont au-delà de la formation et de l’équipement des armées africaines. »

En 2018, l’administration s’est déclarée intéressée par la réduction de la présence américaine en Afrique – officiellement à environ 6 000, dont 300 qui ont entraîné des forces au Cameron avant la réélection du favori néolibéral de la France. En 2018, cependant, Trump a donné carte blanche à la CIA pour étendre la guerre par drones à toute l’Afrique.

Il y a au moins 34 sites militaires américains en Afrique aujourd’hui, dont trois en Libye, où des tensions entre milices rivales ont déplacé 3 400 personnes et pourraient bientôt plonger Tripoli dans le chaos. La présence de l’AFRICOM se concentre principalement dans les pays riches en pétrole d’Afrique de l’Ouest et dans la Corne de l’Afrique, à proximité de la péninsule Arabique elle aussi riche en pétrole.

 

Légende : La « posture stratégique » du Commandement américain pour l’Afrique inclut 34 avant-postes militaires. Image | U.S. Africa Command

 

Comme d’autres campagnes militaires entreprises par Washington, il y a des motifs économiques très clairs, guidés par le profit, pour l’AFRICOM et ces motivations constituent l’épine dorsale de la nouvelle stratégie pour l’Afrique du conseiller à la Sécurité nationale de John Bolton. Alors que les pétrodollars sont la préoccupation principale, la capacité permanente d’exploiter les économies africaines est la pierre angulaire de la domination financière des États-Unis sur le continent.

L’Afrique en première ligne d’une course aux armements entre les États-Unis et la Chine

L’an dernier, à la Fondation Heritage, Bolton a dit que l’Occident devait « se réveiller » face à la menace que représentent la Chine et la Russie en Afrique, avertissant que « l’investissements étranger direct (FDI en anglais) de la Chine en Afrique avait atteint au total 6.4 milliards de dollars » entre 2016 et 2017, bien au-dessus de l’investissement direct américain, qui a continué à s’effondrer. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, la baisse du FDI découle des baisses des impôts sur le revenu. À partir de 2017, les entreprises multinationales américaines se sont lancées dans un vaste rapatriement des recettes extérieures qu’elles avaient accumulées, ce qui indique une réticence croissante à s’investir dans l’investissement social à l’étranger. Cette intervention est venue des mois après la promesse de la Chine de consacrer 60 milliards de dollars à l’aide et à des prêts à l’Afrique.

Légende : Des navires tactiques de la Marine américaine patrouillent dans le golfe de Tadjoura, à Djibouti, le 20 mars 2019. | U.S. Navy Shannon D. Barnwell

Djibouti, un élément central de la stratégie, abrite le plus grand complexe connu de drones américains dans le monde, ainsi que la base américaine phare de l’AFRICOM, Camp Lemonnier, un ancien avant-poste de la Légion étrangère française. La base héberge 4 000 membres du personnel américain et allié et est proche d’une base de la marine de l’Armée de libération chinoise, qui comprend 400 personnes. Les disparité ont été suffisantes pour provoquer la colère des États-Unis l’an dernier lorsque le département de la Défense a accusé la Chine d’attaques laser invérifiées sur des pilotes américains, utilisées pour justifier des dépenses militaires supplémentaires en Afrique.

Les préoccupations de Bolton découlent du fait que Djibouti pourrait permettre à des entreprises publiques chinoises de contrôler en partie le terminal de conteneurs de Doraleh, un port maritime sur la mer Rouge. « Si cela arrivait, a déclaré Bolton, l’équilibre des forces dans la Corne de l’Afrique – à cheval sur les grandes artères du commerce maritime… – se déplacerait en faveur de la Chine, et notre personnel militaire américain à Camp Lemonnier pourrait être confronté à d’autres défis dans ses efforts pour protéger les Américains. »

Comment Wall Street sous-développe l’Afrique

Pour une stratégie africaine, le discours de Bolton a semblé exprimer plus d’intérêt pour les implications de la Chine en Afrique pour « la sécurité nationale américaine », tandis que l’évocation de la sécurité nationale des États-nations africains était assez rares – et peut-être appropriées, puisque toute mention de la sécurité des populations africaines remettrait question l’arrivée de forces du même pays qui a réduit en esclavage des habitants de ce continent il y a plusieurs générations.

Bolton a toutefois parlé du commerce, appelant les pays africains à pratiquer la responsabilité fiscale, à promouvoir un commerce équitable et mutuel, à déréguler leurs économies et à soutenir leur secteur privé. Il a vanté les négociations sur les accords commerciaux bilatéraux et l’ancrage de la nouvelle stratégie pour l’Afrique dans le plan Marshall, disant comment « le plan Marshall a favorisé les intérêts américains, contourné les Nations unies et ciblé des secteurs essentiels d’économies étrangères au lieu de disperser l’aide dans des centaines de programmes ».

La stratégie apparemment nouvelle de Bolton reflète la doctrine de l’administration Clinton, promue à la fin des années 1990 selon laquelle « le commerce n’est pas l’aide ». À l’époque, la Chine n’était peut-être pas une menace pour l’empire, lorsque le commerce annuel de la Chine avec l’Afrique ne se montait qu’à 10 milliards de dollars la dernière année du mandat de Clinton, alors qu’il s’élève aujourd’hui à 170 milliards de dollars. Bolton n’a donné aucun élément pour prouver le prétendu rôle néocolonial de la Chine en Afrique, mais les objectifs des États-Unis s’opposent à la préférence « prédatrice » de la Chine à traiter avec les gouvernements africains et à travailler en fonction des priorités locales, par opposition avec l’approche étasunienne de programmes transnationaux dirigés par des entreprises transnationales et des organismes de bienfaisance.

« Prosper Africa » est l’approche de style plan Marshall que l’administration adopte pour réduire l’aide en plus de promouvoir un capitalisme dérégulé. Les risques potentiels attaqués au financement du développement des infrastructures reviendront très probablement au gouvernement plutôt qu’au secteur privé, ce qui compromettra la transparence de ces projets, comme on l’a vu dans le cas l’Europe du Sud. En outre, il y a des preuves solides qui montrent que des grandes entreprises, dont des sociétés multinationales et des banques internationales, qui participent à des flux financiers illicites en provenance d’Afrique.

Conformément aux priorités de Bolton, l’absence de surveillance de la part des Nations unies représente la tendance des tentatives néoconservatrices de revenir sur des aspects du système de l’ONU qui permettent de contrôler le pouvoir des États-Unis. Le Zimbabwe, historiquement connu pour être le « grenier à blé de l’Afrique » est sur le point de rejoindre les six économies à la croissance la plus rapide d’Afrique, bien qu’il ait été retardé ces dernières années par des sanctions américaines.  Ce pays géopolitiquement émergent, bien qu’il soit économiquement isolé, a voté 69 fois contre les intérêts étasuniens en 2017 et seulement six fois en leur faveur. En moyenne, les pays africains votent en accord avec les États-Unis à l’ONU dans 31% des cas, ce qui donne à l’administration Trump un motif clair d’agir sur le continent avec le moins de responsabilité multilatérale possible.

Les plans de Bolton pour une nouvelle stratégie américaine en Afrique restent vagues et largement non spécifiques. Par exemple, le projet GEEL d’USAID en Somalie appelle à la coordination entre le gouvernement national et le secteur privé local, mais les détails de ce partenariat encouragé par USAID ne sont pas fournis et par conséquent ne prennent pas en considération la corruption grave qui continue à frapper le pays. Selon Devex, USAID a publié sa première Stratégie d’acquisition et d’assistance « soulignant les changements à apporter à la conception et aux systèmes d’approvisionnement promouvant des méthodes de collaboration novatrices ». On ne peut cependant pas trouver la page… L’absence d’un secteur financier transparent et fonctionnel constitue un obstacle majeur à la croissance économique en Somalie, en particulier s’il y a recul de l’investissement social dirigé par l’État, ce que Bolton favoriserait.

Alors que le Kenya et le Ghana are développent des initiatives pour promouvoir le commerce intracontinental, Bolton a appelé à des accords de commerce bilatéraux entre les États-Unis et l’Afrique, soulignant l’engagement de l’administration dans sa politique « America First » (L’Amérique d’abord). Les États-Unis poussent au développement d’un projet cher au Kenya, qui coûterait 3 milliards de dollars, pour le financement duquel le gouvernement aurait probablement besoin de grandes facilités de crédit. La lutte contre la Chine étant une priorité absolue, les États-Unis seront incités à prendre en charge la gestion de la dette, mettant en place des mesures supplémentaires, comme exiger l’extension des plans de sauvetage du FMI aux pays africains à la condition que cette assistance financière ne soit pas utilisée pour rembourser la Chine.

Légende : Des ouvriers kenyans travaillent à terminer la construction d’un pont déjà existant qui traverse un coin du Parc national de Nairobi, au Kenya, le 23 novembre 2016. Ben Curtis | AP

La paix par la pacification

Sous prétexte de combattre Al-Shabab, le retour de la diplomatie des frappes aériennes ne disparaît pas puisque la politique américaine, même lorsque les dirigeants des peuples dont nous faisons des victimes viennent à Washington. Bolton a déclaré :

« Avec notre nouvelle stratégie, nous prendront également des mesures supplémentaires pour aider nos Africains à combattre le terrorisme et à renforcer l’État de droit. Nous assisterons les gouvernements africains importants à accroître la capacité des forces et des institutions de sécurité partenaires pour garantir une sécurité et une application de la loi efficaces et durables à leurs citoyens. »

La guerre par drones menée par les États-Unis en Afrique a particulièrement durement le sud de la Somalie. Le général Thomas Waldhauser admet que les États-Unis ont tué 14 civils somaliens le mois dernier lors de cinq frappes aériennes et que le sentiment anti-américain vient s’ajouter à un débat public somalien déjà existant et critique à l’égard de la politique des États-Unis. Il fait suite aux attaques meurtrières américaines sur des travailleurs agricoles somaliens à Afgooye de l’an dernier, par des forces somaliennes soutenues l’AFRICOM, tuant des gens dont le Pentagone a prétendu qu’ils étaient des combattants d’Al-Shabaab . Après les attaques américaines contre des Somaliens, de nombreux dirigeants locaux s’attendent maintenant à ce que les histoires commencent à faire passer les victimes pour des terroristes.

Les États-Unis tendent à mettre plus l’accent sur des opérations de style Vietnam au Niger, au Mali, en Libye et en Somalie, et depuis l’invasion du Mali par la France en 2012, ils ont essayé d’exercer une influence au sein de la Force sahélienne dite G5 (avec l’intention d’y ajouter 5000 hommes – le nombre favori de Bolton), dont le Mali est un membre clé. Les réserves de pétrole du Nord Mali – à la frontière d’autres pays du G5, comme la Mauritanie – sont explorées par des intérêts pétroliers dans des entreprises en Australie, en France et au Qatar.

 

 

Source orginale: Mint Press

Traduit de l’anglais par Diane pour Investig’Action

Source: Investig’Action

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