L’accord Ouattara-Macron : un mauvais coup contre l’intégration en Afrique de l’ouest

 

Le samedi 21 décembre, Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, annonce, aux côtés du président français, Emmanuel Macron, que le franc CFA aura pour nom « ECO » à partir de juillet 2020 et que son taux de change restera fixe par rapport à celui de l’euro. Il ajoute qu’il n’y aura pas rupture avec le Trésor français et que la France aura un « rôle de garant ».

 

Ouattara : le cheval de Troie de la France

Cet accord est en contradiction avec la décision du 29 juin 2019, des chefs d’Etat de la CEDEAO, qui avaient adopté le nom ECO ainsi que les mesures suivantes :

  • La future Banque centrale serait de type fédéral

  • Le régime de change retenu serait flexible, avec un ciblage de l’inflation globale, comme cadre de politique monétaire.

L’annonce de Ouattara ne nous surprend guère. Nous l’avions envisagée comme l’un des scénarios possibles, lors du « samedi de l’économie » du 14 décembre, consacré à ce sujet. En fait, depuis les décisions de juin 2019, la France et ses vassaux africains étaient à la manœuvre pour torpiller le projet de la CEDEAO ou le retarder le plus longtemps possible.

En fait, quelques jours après la décision de la CEDEAO, Alassane Ouattara s’était rendu à Paris, pour sans doute rassurer Macron. Après son entretien avec ce dernier, le 9 juillet dernier, il avait déclaré ceci : «  À terme le franc CFA s’appellera l’Eco ». Pour souligner sa volonté d’écarter les pays non-CFA, il ajoutait : « Il faudrait que les critères de convergence soient atteints par tous les pays avant d’y aller ». Pour aller au bout de sa pensée, Ouattara disait que la parité fixe avec l’Euro ne «changerait pas dans l’immédiat» avec l’entrée en vigueur de l’Eco.

La déclaration du 21 décembre confirme donc ce qui avait été annoncé en juillet. Et l’intention manifeste est de torpiller le projet de monnaie unique et les efforts d’intégration dans la CEDEAO.

 

Des réformes cosmétiques

Le président français, Emmanuel Macron, a parlé d’accord « historique », sans doute pour impressionner les naïfs et fourvoyer l’opinion publique française. Il n’y a absolument rien « d’historique » dans l’accord Ouattara-Macron. La plupart des mesures annoncées avaient été proposées par Dominique Strauss-Kahn, ancien Directeur général du FMI, dans un papier publié en avril 2018. Aussi bien le changement de nom, que le transfert des réserves du Trésor français vers une autre destination ou encore le remplacement des représentants français dans les instances de la BCEAO. En outre, DSK avait préconisé l’élargissement de la zone CFA à des pays tiers, comme le Ghana. Comme on le voit, le but est de couper l’herbe sous les pieds des critiques, en éliminant les symboles, qui « fâchent » sans toucher au fond du problème.

Car si le taux de change par rapport à l’euro reste fixe, alors la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) continuera à mener les mêmes politiques monétaires restrictives, en donnant la priorité à la lutte contre l’inflation, comme le stipulent ses Statuts de 2010. Une telle politique, calquée sur celle de la Banque centrale européenne (BCE) contribue à freiner le développement des pays africains, qui ont besoin d’avantage de capacités de production et d’investissements pour transformer leurs ressources naturelles et créer des emplois pour leurs populations. En outre, la libre transférabilité des capitaux entre les pays africains et la France sera maintenue, ce qui favorisera la fuite des capitaux. Quant au transfert des réserves de change des pays de l’UEMOA vers un ou plusieurs autres pays européens, en quoi cela changera-t-il pour les pays africains ? Les représentants de la France dans les instances de la BCEAO seront remplacés par des « experts », que la France pourrait, bien sûr, recommander ! On peut être sûr qu’ils ne viendront pas défendre la souveraineté monétaire des pays africains. Enfin, si la France joue le « rôle de garant », quelle sera la marge de manœuvre des pays africains ?

Comme on peut le constater, cette « réforme » du franc CFA ne change pas fondamentalement les rapports de servitude entre les pays africains et la France.

 

Pourquoi les pays de l’UEMOA seulement ?

Ouattara fait croire que ces pays remplissent tous les critères de convergence de premier rang, qui ci se composent ainsi :

  • Maintien d’un taux d’inflation inférieur à 10% ;

  • Avoir un ratio du déficit budgétaire de l’Etat (hors dons) par rapport au PIB inférieur ou égal à 3%

  • Respecter la limite maximale de 10% des recettes fiscales de l’année précédente pour le financement du déficit budgétaire par la Banque centrale

  • Maintenir un niveau de réserves de change couvrant au moins 3 mois d’importations

Si le taux d’inflation et le financement par la Banque centrale sont respectés- malgré eux- par les pays de l’UEMOA, il n’en est pas nécessairement de même pour les deux autres critères. Par exemple, pour le déficit budgétaire, à part la Côte d’Ivoire,1 aucun des autres pays de l’UEMOA ne le respecte. En 2018, le Sénégal était à un déficit de 3,7% et en 2019 il serait de 3,8%. Le Bénin, le Burkina et le Mali avaient des déficits avoisinant 5% en 2018, tandis que celui du Niger s’approchait des 6%, selon les données de l’Annuaire statistique 2019 de la BAD et de la CEA. La Guinée fait mieux que tous ces pays, sauf la Côte d’Ivoire.

Une autre question fondamentale: est-ce que tous les pays de l’UEMOA partagent la position de Ouattara? On est en droit de se poser cette question, vu le point de vue exprimé par le président nigérien Issoufou, dans une interview à Jeune Afrique, le 14 août 2019, dans laquelle il disait: « Soyons clairs. La création de l’Eco signifie la sortie du franc CFA. Cette monnaie sera liée à un panier de monnaies, constitué des principales devises – euro, dollar, yuan… – avec lesquelles nous commerçons. Ce ne sera donc pas le CFA sous un autre nom, ainsi que je l’entends parfois. Ce ne sera pas non plus une réforme contre la France, mais une réforme pour le développement de l’Afrique de l’Ouest, pour les investissements, pour la création d’emplois sur le continent et donc dans l’intérêt de tous. J’ajoute que toutes ces décisions ont été prises à l’unanimité des 15 États membres de la Cedeao, francophones et anglophones. »

 

« Réforme » ou souveraineté monétaire?

L’accord Ouattara-Macron ne signifie nullement « la fin du CFA », mais se situe plutôt dans la continuité de la servitude monétaire et de la tutelle de la France sur les économies africaines. Ce que demandent les peuples africains c’est la fin du franc CFA et non sa « réforme ». C’est la souveraineté monétaire que réclament ces peuples, après près de six décennies « d’indépendance » formelle. Peut-on sérieusement envisager le lancement d’une monnaie unique pour la CEDEAO sans le Nigeria et le Ghana, qui représentent plus de 75¨% du PIB de cette communauté ? En faisant un parallèle avec la zone euro, pouvait-on avoir l’euro sans l’Allemagne et la France ?

Face à la pression des peuples et à la montée du sentiment « anti-français », la France et ses vassaux ont cru avoir trouvé la parade, avec cette prétendue « réforme » du franc CFA. Ils pensent avoir coupé l’herbe sous les pieds des critiques, en éliminant les symboles « néocoloniaux ». Mais ils ne feront que galvaniser davantage la résistance contre la servitude au profit d’une véritable souveraineté monétaire dans la CEDEAO afin de contribuer à la réalisation des grands chantiers de l’Union africaine.

 

Source : Investig’Action

Notes: 

1En fait, selon des données récentes, il paraît que seul le Togo remplirait les critères de convergence !

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