La propagande sur les massacres en Ethiopie peut faire craindre une intervention dans la Corne de l’Afrique

En Éthiopie, le TPLF a imposé durant près de 30 ans un régime d’apartheid avec le soutien de l’Occident. Mais les tensions entre les différentes communautés ont conduit au renversement du régime corrompu qui s’était alors retranché dans sa région d’origine, le Tigré. Le TPLF a tenté de reprendre le pouvoir, mais a été rapidement vaincu par l’armée centrale. À présent, depuis l’étranger, il se pose en victime et organise une campagne de propagande pour tenter de forcer une intervention internationale qui pourrait avoir de graves répercussions dans toute la Corne de l’Afrique. Décryptage.


Le reportage d’Amnesty International sur le massacre d’Axum, une histoire recyclée

Fin février, Amnesty International[i] a publié un rapport diffusé dans le monde entier[ii] sur “(…) des centaines de civils non armés exécutés pendant la guerre dans la région du Tigré en Éthiopie”

Depuis que le violent conflit entre les séparatistes du TPLF[iii] et le gouvernement central a éclaté le 4 novembre 2020 et après la défaite du TPLF au bout de quatre semaines, ses membres à l’étranger n’ont pas cessé “d’avertir la communauté internationale des massacres de l’armée éthiopienne et de l’armée érythréenne au Tigré”. Certains ont même évoqué un “véritable génocide”. Le premier “reportage” sur le dernier “massacre” rapporté par Amnesty a été réalisé par le Tigray Media House[iv] (TMH). Ce média est dirigé par Alula Sallomon[v], porte-parole du TPLF à l’étranger. Les mensonges répandus par TMH ont à présent atteint un sinistre point culminant. Leur “information”[vi] a été largement reproduite par le bureau d’Associated Press à Nairobi, dans un article de Cara Anna[vii] (18/02). Elle a ensuite été reprise dans le rapport d’Amnesty International du 26 février sur “le terrible massacre d’Axum[viii] près de l’église Sainte-Marie de Sion les 28 et 29 novembre 2020”.

L’information sur “le massacre” d’Axum a ensuite été recyclée dans un reportage du Guardian daté du 26 février 2021. Des centaines de croyants auraient été assassinés dans l’église Sainte-Marie et les meurtriers auraient tenté de voler le sanctuaire de l’Arche de Noé[ix] tout en causant de graves dégradations.

Dans toutes ces histoires, “les soldats érythréens sont pointés du doigt”.

Mais revenons au rapport d’Amnesty International (AI) qui a été rendu public. C’est totalement invraisemblable. Tout d’abord, il y a les 41 témoins. 31 d’entre eux témoignaient depuis des camps de réfugiés au Soudan. C’est un lieu de rassemblement connu des anciens combattants du TPLF. Les autres témoins ont été contactés par téléphone à Axum. AI n’a pas pris la peine de demander aux autorités éthiopiennes et érythréennes leur réaction. AI suppose donc a priori que la version TPLF des “événements d’Axum” est correcte. Pourtant, le gouvernement éthiopien a toujours été disposé à donner des informations sur les développements dans la région.

L’histoire se fissure également de tous côtés pour d’autres raisons, notamment en ce qui concerne la présence et les crimes des soldats érythréens.

Une vieille photo de Google Map montrerait où la destruction a été faite. Mais la photo en elle-même ne prouve rien. Le lecteur pense voir quelque chose, qui n’est pas à voir….

Entre autres, un témoin affirme avoir vu un camion rouge avec une plaque d’immatriculation érythréenne et une inscription “Erythrée” sur le véhicule. Mais ces camions rouges et ces plaques d’immatriculation sont totalement inconnus en Érythrée. Il est par ailleurs particulièrement incroyable qu’un soldat ait affirmé à une femme qui avait échappé au massacre qu’il était “un Érythréen”.

Ensuite, il y a le fait qu’un certain nombre de tueurs portaient l’uniforme reconnaissable de l’armée érythréenne. Selon des rapports et des communications sérieux du gouvernement éthiopien, le TPLF fabriquait des uniformes érythréens dans l’entreprise textile d’Almeda Cherqacherq depuis le tout début du conflit – avant qu’elle ne soit détruite par le TPLF[x] – afin de prouver la présence et la complicité de l’Érythrée dans le conflit. Absurde, car l’Érythrée a fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas s’impliquer dans ce conflit et n’a pas donné suite aux diverses provocations du TPLF.

Pour rendre l’histoire encore plus “crédible”, le TMH a fait appel à un prêtre orthodoxe, Michael Berne, qui a témoigné de toutes les atrocités commises à Axum.
Le problème est que cet homme n’est pas du tout un prêtre, mais un traducteur installé à Boston[xi]. Cette histoire a suscité la colère du patriarche de l’Église orthodoxe éthiopienne à New York[xii].

 

(En haut à gauche, l’homme témoigne en tant que prêtre témoin oculaire. De plus, il est présenté comme un joyeux compagnon à Boston…)

Axum ne se trouve pas au Niger (novembre 2020).

« Fake News »

Toute l’histoire du “massacre d’Axum” est un mensonge de A à Z. Une équipe de l’Ethiopian News Service était présente sur place à partir du 28 novembre – “le massacre” aurait eu lieu les 28 et 29 novembre – pour réaliser un reportage sur l’importante fête annuelle de la Sainte Marie à Axum. La fête a été préparée dans toute la ville. Les reporters ont parlé pendant ces jours avec des prêtres de l’Église orthodoxe d’Éthiopie. Ils ont déclaré que des combats avaient eu lieu à la périphérie de la ville, notamment du côté de l’aéroport, quelques semaines auparavant, mais que les choses s’étaient calmées fin novembre. Le 30 novembre, l’équipe a réalisé un court reportage sur la fête religieuse. Le reportage a été diffusé à la télévision nationale éthiopienne.

Peut-on imaginer que des milliers de personnes célèbrent une fête autour de l’église après un massacre et à proximité des fosses communes de leurs proches ? Peut-on imaginer que l’autorité ecclésiastique n’aurait pas protesté si le 28 et le 29 novembre leur sanctuaire avait été attaqué ?

AI aurait pu parfaitement savoir ce qui s’est réellement passé Axum fin novembre en regardant simplement les nouvelles éthiopiennes et en interrogeant les bonnes personnes.

Une campagne contre le gouvernement éthiopien

Depuis le début du conflit, le gouvernement éthiopien a été confronté aux demandes occidentales d’accorder aux médias le libre accès à la région et à la zone de conflit.

Mais il y a tout d’abord une méfiance et une vigilance justifiées envers les médias occidentaux, que le TPLF abreuve depuis près de trente années. Les médias des puissances occidentales, ainsi que bon nombre d’agences d’aide et d’ONG, ont été à l’avant-garde des interventions armées dans presque tous les conflits depuis des années. Depuis la Seconde Guerre mondiale, pratiquement tous les conflits sont basés sur de fausses nouvelles et des révélations diffusées pour la première fois par “nos médias” (comme à la veille de la guerre contre la Libye et la Syrie, sans parler des deux guerres contre l’Irak).

Dans l’émission Terzake de la VRT[xiii] du 21 décembre – ce reportage a été partiellement repris par la RTBF le lendemain-, le reporter Stijn Vercruysse parle de toute la misère causée par le conflit sanglant sans nommer aucun coupable, hormis l’Érythrée : “Nous avons pu établir que tout indique que des soldats érythréens ont traversé la frontière en portant des uniformes éthiopiens”, dit Vercruysse. “Il semble qu’ils aient participé aux combats et qu’ils aident au moins à sécuriser la région. Mais au lieu de sécuriser, ils pilleraient les maisons des Tigréens”. La VRT n’a pas eu à attendre le rapport d’Amnesty International de février.

Continuer à accuser l’Érythrée. Pourquoi ?

Pourquoi le TPLF continue-t-il à diffuser des histoires aussi cruelles et d’autres encore ? Pourquoi l’Érythrée, qui fait tout son possible pour rester en dehors de ce conflit, continue-t-elle à être désignée comme l’un des principaux coupables des crimes ?

Il y a principalement deux raisons à cela :

Dans ce conflit, la responsabilité de toute cette véritable misère (les destructions, les réfugiés…) incombe aux séparatistes du TPLF qui ont attaqué une base de l’armée éthiopienne le 4 novembre dernier. Durant cette attaque, des dizaines de personnes ont été tuées. Lorsque le gouvernement central a voulu rétablir l’ordre, une jeune milice du TPLF appelée “Samri” a assassiné quelques 400 résidents amhariques à Mai-Kadra le 9 novembre de l’année dernière. AI a rédigé un rapport correct sur cet incident. Mais les médias occidentaux ont balayé ce rapport sous le tapis et ont semé la confusion quant à savoir qui est réellement responsable du massacre.

Pire, dans sa tentative désespérée de garder le contrôle des villes du Tigré, les bandits du TPLF ont détruit de nombreuses infrastructures (centrales électriques, entreprises – dont la société pharmaceutique d’Adigrat -, routes et ponts, bâtiments universitaires, moyens de communication… ) pour ensuite mettre toute cette destruction sur le dos de l’armée éthiopienne dont on peut logiquement se demander quel aurait été l’intérêt.

Depuis l’étranger, et notamment les camps de réfugiés au Soudan, les rescapés du TPLF veulent camoufler leurs crimes en proposant aux médias occidentaux un large éventail de crimes éthiopiens et érythréens.

Bien sûr, la reconquête du Tigré a causé beaucoup de souffrances. Les affrontements entre les milices mal armées et l’armée éthiopienne ont été très graves au début. Des dizaines de milliers d’habitants du Tigré ont fui la violence et le manque de nourriture alors que les champs où la récolte était mûre ont dû être abandonnés. Le plus terrible, c’est que le régime du TPLF a libéré 13 000 prisonniers de droit commun pour semer le chaos. Les pillages et les viols peuvent très probablement être attribués à ces criminels, mais on ne peut pas exclure des excès de la part des militaires éthiopiens. D’ailleurs, depuis fin novembre dernier, le gouvernement éthiopien mène une enquête systématique sur tous les crimes commis au Tigré. Mais AI ne prend évidemment pas cette enquête au sérieux.

Le gouvernement éthiopien a tout intérêt à ce que tous les criminels soient traqués et jugés, quel que soit leur camp. C’est une condition préalable afin de restaurer la confiance dans le gouvernement central au Tigré après tant de campagnes de haine menées par le TLF depuis l’été 2018 et l’énorme chaos qui a régné pendant le conflit.

Une intervention internationale

Le TPLF a répandu ses histoires de “crimes contre l’humanité au Tigré” pour forcer une intervention internationale. Ses membres impliquent ainsi systématiquement l’Érythrée dans le conflit pour donner à “la guerre au Tigré un caractère international” qui nécessiterait une “intervention internationale”. Nous connaissons l’Histoire.

À ce jour, toutes ces tentatives ont échoué.

Dès la fin de l’année dernière, le secrétaire général de l’ONU, M. Guterres, a déclaré que malgré les provocations du TPLF (comme le bombardement des bases aériennes d’Asmara, la capitale de l’Érythrée), l’Érythrée n’a rien à voir avec le conflit interne en Éthiopie et au Tigré.

L’Union européenne, partenaire de la nouvelle administration Biden aux États-Unis, a tenté de faire condamner l’Érythrée pour “crimes contre l’humanité” lors de la 46e session de la Commission des droits de l’homme à Genève à la fin du mois de février de cette année. Mais la véritable communauté internationale, qui ne se limite pas à l’Occident, a rejeté ces accusations. La Chine, la Russie, Cuba, le Venezuela, le Belarus, la RPDC (Corée du Nord), l’Éthiopie, le Sud-Soudan, les Philippines, le Skri Lanka et d’autres ont voté contre. La Chine et la Russie ont d’ailleurs souligné dans leur réponse que l’utilisation des “droits de l’homme” par les puissances occidentales pour tenter d’intervenir dans les affaires intérieures d’autres pays doit cesser.

Pourquoi l’Occident continue-t-il à soutenir le TPLF vaincu ?

Pourquoi les États-Unis et leur allié paralysé, l’UE, défendent-ils avec un tel fanatisme le TPLF vaincu dans une région peu peuplée et sans intérêt du nord de l’Éthiopie ?

Parce que le TPLF du Tigré (une région qui ne compte pas plus de 5% de la population éthiopienne actuelle) a gardé sous sa coupe pendant près de 30 années l’Éthiopie qui occupe une position géostratégique de la Corne de l’Afrique et qui a été soutenue par l’Occident. À son instigation, l’Éthiopie a mené une guerre contre la Somalie (2006-2007) et contre l’Érythrée (1998-2000-2018), ignorant en toute impunité l’accord de paix d’Alger de 2000.

En matière de politique intérieure, le régime TPLF n’a pas cherché à résoudre les grandes contradictions régionales qui sont la cause de problèmes récurrents à l’étranger. Au contraire. Ceux-ci ont été poussés au maximum malgré les apparences. Les États-Unis et l’UE ont fermé les yeux sur toutes les persécutions et tous les crimes parce que le régime TPLF offrait de grands avantages économiques et semblait pouvoir continuer à jouer les gendarmes de la région.

Mais à partir de 2016-2017, la situation en Éthiopie est devenue désespérée. Tout a commencé dans la région d’Oromo où une manifestation a causé 75 morts en décembre 2015. La tension a culminé en août 2016 lorsque les troubles en cours ont vu des dizaines d’habitants d’Addis et des environs abattus. Le gouvernement du TPLF a déclaré l’état d’urgence en octobre 2016. Mais les protestations se sont également multipliées dans les autres régions. Une interminable guerre civile menaçait alors l’Éthiopie et d’autres pays de la Corne de l’Afrique.

La majeure partie de la région principale est sortie en force. Le gouvernement du TPLF à Addis était dans l’embarras.

L’administration Trump l’a compris et n’a pas voulu se lancer dans un autre conflit sans fin et sans espoir (comme en Afghanistan, en Syrie …). Les États-Unis ont donc laissé tomber le TPLF comme une brique et ont permis un “coup d’État en douceur” qui a amené l’actuel Premier ministre Abiy au pouvoir. Ce dernier a signé la paix avec l’Érythrée à partir du printemps 2018, a cherché à assurer l’unité et la coopération des pays de la Corne et a fait de laborieuses tentatives[xiv] pour réconcilier les peuples déchirés d’Éthiopie. Cette coopération a été rejetée par le TPLF, qui s’était retranché au nord, dans sa région d’origine, le Tigré. Le TPLF a alors travaillé sur deux scénarios : regagner le pouvoir à Addis (ce qui s’est avéré impossible) ou arracher le Tigré à l’Éthiopie en créant un conflit dans cette région. Leur nouveau rêve était de créer un Grand Tigré tout en forçant un accès stratégique à la mer Rouge.

La réaction du gouvernement central éthiopien après l’attaque du TPLF contre les unités de l’armée éthiopienne a été justifiée. L’armée éthiopienne a envahi le Tigré pour rétablir l’ordre. La reconquête de la région s’est achevée en trois semaines environ, mais elle a bien sûr provoqué beaucoup de chaos et de misère.

Si le gouvernement avait permis la sécession violente du Tigré, les portes de l’enfer auraient été ouvertes non seulement en Éthiopie, mais aussi dans toute la Corne de l’Afrique. Tous les ultranationalistes parmi tous les peuples qui ont été opprimés depuis des temps immémoriaux auraient vu cela comme un signal fort. Et cela aurait pu entraîner des guerres civiles sans fin.

Les habitants du Tigré ont sans doute échappé au pire alors que l’armée éthiopienne est venue mettre de l’ordre dans la région. Des conflits entre milices étaient sur le point d’éclater, ce qui aurait provoqué une effusion de sang. La défaite rapide du TPLF dans le Tigré montre que la “partie est terminée” et les Éthiopiens qui ont connu son régime dictatorial pendant près de trente ans s’en réjouissent.

Cependant, pendant ces presque trente années de domination, le TPLF a tissé une toile internationale avec laquelle il mène aujourd’hui une action d’arrière-garde. Il est ainsi soutenu “de manière inattendue” par la nouvelle administration “America is back”[xv] de Biden ainsi que par l’UE, qui est très heureuse de pouvoir retourner sous l’aile des États-Unis pour les servir.

Aujourd’hui, les efforts du TPLF et de l’Occident créent beaucoup de confusion et d’anxiété. Ces tentatives empêchent le rétablissement de la paix, de l’ordre, le retour des réfugiés et le retour à la vie normale dans une région du Tigré tourmentée. Les tentatives du TPLF pour revenir au pouvoir et celles de l’impérialisme pour redéfinir sa volonté en Éthiopie et dans la Corne de l’Afrique risquent de ne pas aboutir. Les peuples et les nations comprennent parfaitement le sinistre jeu de l’Occident dans la région et ne lui donneront aucune marge de manœuvre.

Une deuxième question peut être posée : pourquoi tant d’organisations progressistes et de gauche s’associent-elles au discours du TPLF contre le gouvernement central de l’Éthiopie et surtout contre l’Érythrée ?

Tout d’abord, en 2018, les deux pays ont signé un accord de paix qui a valu au Premier ministre éthiopien Abiy de recevoir le prix Nobel de la paix. Mais le président de l’Érythrée, Isaias Afwerki n’a rien reçu comme c’est pourtant la coutume lorsque deux pays enterrent la hache de guerre. Toutes les sanctions contre l’Érythrée ont tout de même été levées. Mais ce pays est toujours qualifié par les médias occidentaux de “Corée du Nord de l’Afrique”. Cette étiquette dissuade presque tout le monde (y compris à gauche) de connaître un peu mieux l’Érythrée et de découvrir le rôle extrêmement positif qu’elle joue dans la région.

Deuxièmement, le TPLF se présente comme le représentant d’une “nationalité opprimée et victime du gouvernement central qui opprime tous les peuples d’Éthiopie”. La sympathie de la plupart des progressistes et des gauchistes d’Occident va traditionnellement aux “peuples et nations opprimés”. Donc sans grande réflexion, la sympathie va maintenant au Tigré et au TPLF. Mais comme c’est souvent le cas, aucune analyse concrète n’est faite d’une situation concrète et les derniers développements ne sont pas considérés à la lumière de l’histoire récente de l’Éthiopie. Si vous examinez cette histoire de plus près, vous vous rendez vite compte que c’est précisément le TPLF qui a opprimé le peuple et a joué à monter les régions les unes contre les autres pendant 30 années lorsqu’il occupait le pouvoir à Addis-Abeba.

Nous invitons donc chacun à se pencher sur cette histoire en lisant l’interview du professeur Mohamed Hassan[xvi] dans Investig’Action et l’article du professeur éthiopien Girma Berhuna, qui travaille à Stockholm[xvii]

Tous deux dénoncent avec force les divisions ethniques et l’apartheid de l’ancien régime du TPLF. Le début de son règne semblait pourtant prometteur. Le TPLF avait rompu avec le soi-disant “centralisme jacobin” des périodes DERG et Mengistu (1974-1991). L’Éthiopie était alors devenue un État fédéral avec 9 régions découpées sur une base ethnique (!) et disposant d’une autonomie relative.

Lors de la définition des limites des régions, le TPLF a élargi le Tigré de plus d’un tiers en enlevant notamment du territoire à la région d’Amhara.

Nous savons (certainement en Belgique) que l’autonomie d’une région est seulement aussi grande que son budget. Ainsi, seulement 13% du budget de l’État a été transféré aux régions. Les dirigeants régionaux, pour la plupart corrompus, devaient en permanence mendier de l’argent auprès du gouvernement d’Addis-Abeba.

La Constitution stipulait que si une majorité des délégués d’une région voulait obtenir son indépendance, c’était le droit de chaque région. Mais lorsque la région de la Somalie a voulu organiser un référendum pour l’indépendance au début des années 1990, elle en a été brutalement empêchée. Un commando du TPLF a notamment tué le président de la région Somalie de l’époque, Muhumed Qani, dans la ville de Gode.

À partir de 1995, chaque Éthiopien a dû choisir “une nationalité”, même s’il se sentait avant tout Éthiopien. Cela a brisé le sentiment national éthiopien et a favorisé un régionalisme borné. À la fin des années 1990, le gouvernement éthiopien a vendu des terres fertiles à des agro-industries étrangères, provoquant l’expulsion massive des agriculteurs de leurs terres et même la “relocalisation” de minorités nationales dans des conditions misérables, comme les Anuaks[xviii]. Entre le 13 et le 16 décembre 2004, 424 Anuaks ont été tués par l’armée du TPLF dans la région de Gambella (au nord-est de la région d’Oromo). Des milliers de personnes ont fui (y compris vers le Kenya).  La brutalité de cette situation a été dénoncée par Human Right Watch. Mais la population oromo de cette région n’a pas non plus été épargnée : elle a perdu beaucoup de terres, dont une partie a été transférée à un agro-industriel indien qui a essayé de produire du riz, mais a échoué.

Les peuples Afar et Amhara ont également beaucoup souffert de la répression. Mais c’est la région Somali qui a payé le plus lourd tribut. En 2007 et 2012, l’armée du TPLF a organisé des massacres à Fik, Dhagaxmadow, Mooyaha, Qorille et Gunagado[xix].  

Si bien que lorsque les partisans du TPLF dénoncent bruyamment la perte de “l’autonomie régionale du Tigré”, cela suscite la haine et le mépris de tous les peuples d’Éthiopie.

Notons en outre que le gouvernement éthiopien a mis en place un nouveau gouvernement régional. De nouvelles élections doivent être organisées dans un avenir proche, lorsque la paix sera pleinement revenue.

La famine et l’aide humanitaire internationale

Enfin, une petite remarque sur “la menace de famine” au Tigré après la chute du TPLF. Les besoins étaient importants, car l’approvisionnement des villes avait été interrompu, les réserves pillées, les cultures laissées dans les champs. Pour l’Occident et nombre de ses défenseurs des “droits de l’homme”, ainsi que pour les ONG, c’est une excellente occasion d’organiser un effort international massif d’aide humanitaire indépendant du gouvernement éthiopien qui a été tenu pour responsable de toute la misère. Le gouvernement éthiopien a déclaré qu’il faisait tout son possible, dans la mesure où la situation le permettait, pour venir en aide à la population en souffrance et pour donner aux nombreux réfugiés la possibilité de rentrer chez eux. Seules ces mesures permettront de rétablir une vie normale dans la région. Cela a toujours été le principal objectif du gouvernement. La Croix-Rouge éthiopienne (qui est bien sûr liée à la Croix-Rouge internationale) a fourni les premiers secours. Le gouvernement déclare que toute aide étrangère est la bienvenue, ainsi que les travailleurs humanitaires, si l’aide passe par l’État éthiopien. D’autre part, le gouvernement a récemment organisé avec succès un recensement à grande échelle de toute la population éthiopienne. Il est important que toute la population apprenne à faire la distinction entre les séparatistes du TPLF et les habitants du Tigré pour que la solidarité meurtrie avec cette région puisse être restaurée.

Il convient également de souligner que les besoins de la population du Tigré n’ont jamais été la préoccupation des parasites du TPLF lorsqu’ils étaient à Addis-Abeba. L’accès à l’eau, en particulier à l’eau potable, reste extrêmement problématique dans les zones rurales[xx]. Les parvenus du TPLF n’ont également montré aucun respect pour l’équipement auxiliaire des hôpitaux. Lors de leur fuite vers les montagnes, après la chute de la capitale Mekelle, les réfugiés du TPLF ont laissé derrière eux des ambulances qu’ils avaient utilisées pour leur fuite.  Une organisation d’aide japonaise, qui avait fait don d’ambulances, était très en colère à ce sujet.

La partie est terminée pour le TPLF et les fausses informations que ses membres propagent à l’étranger résonnent comme un chant du cygne.

 

Source: Investig’Action

Notes:

[i] “Amnesty International : des centaines de civils non armés exécutés pendant la guerre dans la région éthiopienne du Tigré”

https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2021/02/25/rapport-amnesty-international-beschrijft-bloedbad-met-honderden/

[ii] Voici le rapport d’A.I. : https://www.amnesty.org/fr/documents/afr25/3730/2021/fr/

Les médias occidentaux, tels que la VRT belge, ont immédiatement diffusé un reportage de grande envergure en prime time.

[iii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Front_de_lib%C3%A9ration_du_peuple_du_Tigr%C3%A9

[iv] https://video.search.yahoo.com/search/video;_ylt=AwrJ6SS49j1gICQAmIFXNyoA;_ylu=Y29sbwNiZjEEcG9zAzEEdnRpZAMEc2VjA3Nj?p=Tigray+Media+House&fr=mcafee

[v] https://images.search.yahoo.com/search/images?p=%22Alula+Sallomon%22+Tigray&fr=mcafee&type=E211US714G0&imgurl=https%3A%2F%2Fi. ytimg.com%2Fvi%2FyLw0GA3p-r4%2Fmaxresdefault.jpg#id=0&iurl=https%3A%2F%2Fi.ytimg.com%2Fvi%2FyLw0GA3p-r4%2Fmaxresdefault.jpg&action=click

[vi] Le TPLF avait alors pris une partie du trésor national et des équipements militaires.

[vii] https://apnews.com/article/witnesses-recall-massacre-axum-ethiopia-fa1b531fea069aed6768409bd1d20bfa

[viii] https://www.amnesty.org/en/latest/news/2021/02/ethiopia-eritrean-troops-massacre-of-hundreds-of-axum-civilians-may-amount-to-crime-against-humanity/

[ix] https://www.theguardian.com/world/2021/jan/24/fabled-ark-could-be-among-ancient-treasures-in-danger-in-ethiopias-deadly-war

[x] https://eritreahub.org/tigray-the-looting-of-the-almeda-textile-factory-in-adwa

[xi] https://www.facebook.com/1180543102/videos/pcb.10224812435676462/10224812435396455

[xii] https://www.ena.et/en/?p=22059&fbclid=IwAR2y8UOPx62k1GpcgKwWKidx_YybBSiHhwjQLMYyyUT4HfQnl8twyxvpdaI

[xiii] . https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2020/12/20/vrtnws-als-eerste-in-oosten-van-tigray-in-ethiopie-het-geweld/

[xiv] Gouvernement dans laquelle Abiy a commencé à faire des erreurs devant les Oromo et les Somaliens, entre autres. Plusieurs personnes étaient très impatientes et voulaient que les anciens problèmes disparaissent comme par magie. Il y a eu un appel dans différentes régions. Appel qui a été annulé par le gouvernement Abiy.

[xv] L’administration Biden veut revenir à l’offensive dans la Corne de l’Afrique comme elle l’a fait récemment au Moyen-Orient (l’attentat à la bombe en Syrie). Cela peut se faire (pensent-ils) par l’intermédiaire des survivants du TPLF, mais aussi en utilisant les tensions entre l’Égypte et le Soudan avec l’Éthiopie au sujet du nouveau barrage du Nil en Éthiopie et de l’approvisionnement en eau du Nil au Soudan et à l’Égypte.

[xvi] L’histoire récente de l’Éthiopie, partie 3 : la période du TPLF et de Zenawi

https://www.investigaction.net/fr/lethiopie-a-la-croisee-des-chemins-33-lapartheid-de-zenawi/

Mohamed Hassan est un ancien diplomate éthiopien et, spécialiste du monde arabe et de la Corne de l’Afrique. Aujourd’hui, il est conseiller du président de la région Somalie en Ethiopie.

[xvii] https://borkena.com/2018/01/09/ethnic-apartheid-ethiopia/

[xviii] https://en.wikipedia.org/wiki/Anuak_people

[xix] L’actuel président de la région Somalie en Éthiopie, sur sa page facebook (1er mars 2021), évoque ces véritables massacres (qui ont à peine fait parler d’eux dans les médias internationaux…) en réponse aux hurlements des survivants du TPLF sur “les massacres actuels au Tigré”.

[xx] https://tesfanews.net/does-the-people-of-tigray-benefited-from-tplf-rule/

 

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