La monarchie présidentielle doit tomber

Ce 49.3 est l’apothéose d’un quinquennat de mensonges, de violences et de mépris, l’emblème d’un système présidentiel qui doit tomber, défend Clément Sénéchal dans cette chronique.

En actionnant l’article 49.3 de la Constitution pour la onzième fois depuis la nomination d’Élisabeth Borne à Matignon, Emmanuel Macron choisit donc de voler deux ans à tout le monde sans le moindre vote de l’Assemblée nationale. Cela en dépit d’une concorde syndicale hostile au texte, de manifestations d’une ampleur historique et d’un rejet très largement majoritaire dans l’opinion publique. S’il s’inscrit dans une continuité autoritaire, celle de la Vᵉ République et du projet de classe capitaliste, ce nouveau coup de boutoir contre les principes démocratiques marque un point de non-retour.

Emmanuel Macron entretient un rapport malsain au vote et à la démocratie. Il l’a envenimé d’abord d’un indélébile parfum d’extrême-droite, en manœuvrant pour en faire son adversaire principal à chaque présidentielle. Il la méprise ensuite : « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite […] Je veux ici leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir », avait-il assuré lors de sa réélection, sans qu’aucune politique ni sociale ni écologique ne vienne jamais honorer cette reconnaissance de dette — et c’est bien avec la droite qu’il porte la réforme phare de son dernier quinquennat.

Ce président qui stipendie les blocages des grévistes et les « blocages de notre société », n’aura eu de cesse de bloquer l’expression de l’Assemblée nationale. Cette manière de conduire l’exercice du pouvoir exécutif, sans redevabilité, dialogue ni confrontation loyale au suffrage, n’incarne rien d’autre qu’une crise de régime qui se traîne maladivement dans l’histoire, celui d’une monarchie présidentielle dont l’oxymore semble atteindre aujourd’hui ses dernières impasses.

Le continuum du mensonge

À quoi reconnaît-on un pouvoir autoritaire ? D’abord à la dispense de probité qu’il s’octroie. Emmanuel Macron et ses ministres n’ont eu de cesse de gouverner par le mensonge. Sur la réforme des retraites, évidemment. Une réforme « nécessaire » pour « sauver le système de retraites », une réforme « juste »« favorable aux femmes » et aux carrières longues, « conduite dans le dialogue social », sur laquelle le gouvernement « n’activera pas le 49.3 » : mensonges.

On pourrait multiplier les exemples. La promesse de combattre l’extrême-droite ? Échec, celle-ci n’a jamais été si puissante à l’Assemblée nationale. L’effet positif de la suppression de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, sur l’économie ? Pas démontré. La baisse du chômage ? Une magouille statistique. Les masques déclarés inutiles au début de la pandémie de Covid-19 ? Une manière criminelle de masquer la pénurie. La promesse de ne plus voir un seul demandeur d’asile dans la rue d’ici la fin de son premier quinquennat ? Un vœu pieux. La fin de l’exploitation des hydrocarbures en France ou des centrales à charbon, deux totems écologiques brandis allègrement par le président ? Faux. Je ne parlerai pas de la promesse d’interdire le glyphosate, repoussée aux calendes grecques, ni à la fable du « veto climatique » que contiendrait le texte du Ceta.

Le plus emblématique d’entre eux restera sans doute la promesse de reprendre « sans filtre » les mesures de la Convention citoyenne pour le climat. Finalement, seules 10 % d’entre elles environ (et souvent les plus anecdotiques) ont été retenues par le prince, peu gêné de se parjurer aussi ouvertement.

C’est en réalité par le truchement de l’enjeu écologique, fondamentalement incompatible avec les pulsions d’accumulation du bloc capitaliste, que le président Macron est devenu expert en post-vérité. Jusqu’à remettre en cause la prédictibilité de la crise climatique lors de ses vœux aux Françaises et Français, bien qu’elle soit traitée par les textes internationaux dès 1972, il y a donc plus d’un demi-siècle.

D’ailleurs, le traitement du débat climatique par Emmanuel Macron aura suivi une trajectoire symptomatique de son recroquevillement autoritaire, passant d’une convention tirée au sort à des vidéos solitaires sur YouTube, de la création du Haut Conseil pour le climat à son sabotage minutieux.

Violences symboliques, violences physiques

Le mensonge est une violence morale, doublée d’une violence symbolique lorsqu’il émane d’une autorité politique, qui se prolonge alors immanquablement en violence physique. L’autoritarisme d’Emmanuel Macron ne se limite pas à de piteuses manœuvres institutionnelles, mais s’étend naturellement à sa gestion du maintien de l’ordre, économique et social. Le matin de l’adoption de la réforme, des député⋅es de la Nupes se sont fait gazer avec les éboueurs de Vitry-Sur-Seine. Déjà lors de la mobilisation d’octobre dernier contre les bassines à Saint-Soline, une autre élue de la Nupes avait été violentée par les forces de l’ordre.

Faut-il aussi rappeler l’expulsion de la zad de Notre-Dame-des-Landes par les forces militaires, les Gilets jaunes mutilés par dizaines, la mort de Zineb Redouane provoquée par une grenade lacrymogène de l’État, tirée pendant une manifestation des Gilets jaunes à Marseille ?

Cette violence d’État s’est aussi abattue lors de la marche unitaire entre les Gilets jaunes et le mouvement climat, en septembre 2019, dissuadant les associations de s’investir plus sérieusement dans cette voie contestataire prometteuse. La politique d’Emmanuel Macron a des mensonges plein la bouche et une matraque à la main.

Mais derrière ce naufrage politique, c’est le pouvoir exorbitant du capital sur le champ politique qui laisse pantois : comment Emmanuel Macron peut-il ainsi risquer une crise de régime ouverte pour quelques milliards en guise d’obole aux divinités impersonnelles du capital, toujours avide d’augmenter le volume de travail disponible à l’exploitation ? N’a-t-il pas d’autres urgences à gérer, comme l’inflation, la guerre de l’eau en gestation, le réchauffement climatique, l’enlisement du conflit ukrainien, l’effondrement des services publics ? Essentiellement, c’est la minorité de la classe minoritaire qui nous gouverne aujourd’hui.

Moralité : conduire une politique démocratique dans le cadre de la Vᵉ République est aussi illusoire que dérouler un agenda écologique dans le cadre du capitalisme. La conscience bourgeoise et petite bourgeoise qui vivote chez les sociaux-démocrates résiduels ferait bien de se faire une raison. Il n’y a pas de possibilités paramétriques, il n’y a que des ruptures possibles. Les environnementalistes doivent ainsi choisir leur camp et cesser de collaborer avec l’État bourgeois. Y compris du côté des ONG, lesquelles entretiennent elles aussi un rapport malsain au vote, sous forme d’abstinence apartisane.

Grève humaine

Si ce énième usage du 49.3 ouvre un espace politique populaire inédit, il ne faudrait pas crier victoire trop tôt : Emmanuel Macron a été poussé à la faute, mais la réforme n’est pas abandonnée. Nous verrons lundi si le gouvernement est renversé par une motion de censure et dans les prochains jours si le mouvement social s’empare de la vie quotidienne.

D’ici là, laissons les incidents s’étendre, revendiquons l’anticapitalisme écologique face à l’écologie bourgeoise, allumons des lumières révolutionnaires dans les cavernes de l’ordre établi. L’avenir s’ouvre du côté de la grève générale. Pas seulement au sens de grève interprofessionnelle, mais de grève totale dans notre rapport au monde capitaliste. De grève proprement humaine. La monarchie présidentielle doit tomber.

 

Source: Reporterre

Photo: Paola Breizh – Flickr – CC 2.0

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