La Fabrication du Consentement de Noam Chomsky, une relecture

Une émission spéciale de The Listening Post célèbre les 30 ans de la publication de La Fabrication du consentement et sa pertinence aujourd’hui. Matt Taibbi, Aman Sethi et Amira Hass réagissent également à cet ouvrage majeur dans l’analyse critique des médias.


 

 

Il y a ce moment fascinant et souvent mentionné d’une interview entre le journaliste de la BBC Andrew Marr et Noam Chomsky dans laquelle Marr demande : « Comment pouvez-vous savoir que je m’autocensure ? »

« Je ne dis pas que vous vous autocensurez. Je suis sûr que vous croyez tout ce que vous dites. Mais ce que je veux dire, c’est que si vous croyiez quelque chose de différent, vous ne seriez pas assis là où vous êtes assis. »

Toujours aussi narquois, Chomsky a exposé les préjugés quelques peu fantaisistes de l’establishment journalistique – et non loin derrière, les connivences de l’industrie médiatique avec le pouvoir politique.

Sévère? Peut-être. Vrai ? Bien trop souvent.

Pour beaucoup d’entre nous qui travaillons au Listening Postles idées de Chomsky sur les médias dans La Fabrication du Consentement : La gestion politique des médias de masse, nous ont fourni un guide, plein de récits édifiants et d’idées qui sont encore controversés à ce jour.

Le livre a été publié en 1988 – un an avant la fin de la guerre froide, lorsqu’on a annoncé que la démocratie libérale occidentale avait triomphé, annonçant la fin de l’idéologie, de l’autoritarisme et de la propagande.

Au cours des 30 dernières années, nous avons vu l’industrie des communications de masse se multiplier, donnant une illusion de choix, faisant écho à la rhétorique de la liberté – de la presse, de l’expression – mais ne produisant pas nécessairement le pluralisme promis par les démocraties libérales.

De ce fait, le livre continue de se faire entendre.

Mais comme tous les textes adulés, La fabrication du Consentement fait aussi appel à nous en tant que lecteurs actifs, journalistes, citoyens pour interroger ses prémisses. Le risque d’une tonalité dénonciatrice du livre surestime-t-il le pouvoir de l’establishment médiatique ? Sous-estime-t-il les facultés d’esprit critiques du public ? Les médias sont-ils si homogènes que le pouvoir peut être exercé du haut vers le bas ? Où sont les failles, les angles morts ? Où les journalistes trouvent-ils des espaces de pouvoir leur permettant de déranger ?

Nous avons parlé à trois journalistes dont la carrière est perturbatrice : Matt Taibbi, dont le reportage pour Rolling Stone a été l’un des récits les plus critiques de l’histoire politique américaine de ces dernières années ; le rédacteur en chef indien Aman Sethi qui remet en cause les prémisses du livre de Chomsky et Amira Hass, correspondante du Haaretz dans les territoires occupés, et nous leur avons demandé quelles étaient les idées qui les avaient influencés dans le livre de Chomsky et Herman :

La première chose que nous avons demandé à Hass est ce qu’elle pensait de la déclaration de Chomsky : « la population générale ne sait pas ce qu’il se passe, et elle ne sait même pas qu’elle ne le sait pas. »

« C’est une déclaration très humaniste et optimiste, » a-t-elle répondu. « Cette croyance que lorsque les gens sont informés, ils peuvent agir, que les choses peuvent changer. En hébreu, les mots connaissance et prise de conscience viennent de la même racine. Yedda et Mudaoot. En hébreu, la conscience est donc liée à Mudaoot . Et c’est comme ça que j’ai commencé à travailler à Gaza, consciente que le public israélien ne sait rien de l’occupation et de ce qu’elle signifie. Mais les gens ne se saisissent pas de cette information. Ils y ont accès, mais ils choisissent de ne pas y avoir accès. »

Hass a couvert les affaires palestiniennes pendant la majeure partie des 30 dernières années – durant cette période, les sources d’information se sont multipliées, mais quid de l’indignation publique ?

« Aujourd’hui, nous avons tellement accès à l’information par des vecteurs si divers que nous nous heurtons au fait que les gens ne s’intéressent pas à ce qui ne sert pas immédiatement leurs intérêts, » a-t-elle dit avec résignation, « et c’est une bien triste réalité. »

Aman Sethi l’exprime ainsi :

« Il est facile de dire que les gens croient ce qu’ils croient parce que leur consentement a été fabriqué. Mais que se passe t-il si les gens savent exactement ce qu’il se passe mais croient toujours ce qu’ils croient ? C’est terrifiant. »

 

Source : Al Jazeera, 22-12-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

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