La Déclaration de l’ONU sur les droits des paysans : Outil de lutte pour un avenir commun (1/2)

 

L’année 2018 marque indubitablement un tournant historique pour le mouvement paysan international ainsi que pour les organisations rurales dans leur ensemble. En décembre 2018, après 17 ans de lutte acharnée, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une Déclaration sur les droits des paysan.ne.s et autres personnes qui travaillent dans les zones rurales. Un effort et un succès extraordinaires pour le mouvement paysan international, fruit d’un travail de plaidoyer sans précédent mené par LVC. Ce moment couronne la lutte de longue haleine pour la reconnaissance des droits d’une population structurellement marginalisée, ponctionnée et étouffée depuis les débuts de l’histoire de l’agriculture.

 

Aujourd’hui, à l’ère du néolibéralisme, un système tourné vers la simple recherche et maximisation du profit à tout prix et prônant le moins d’État, les populations rurales se retrouvent en condition de vulnérabilité extrême, tout en vivant une situation paradoxale. D’une part, elles contribuent à nourrir la planète (entre 70 et 80 % de la nourriture mondiale est produite par des paysans familiaux) ; d’autre part, les paysan.ne.s sont les principales victimes de la faim et de la pauvreté (environ 75 % des personnes qui souffrent de la faim au niveau mondial vivent dans les zones rurales).

Comment agir pour transformer ce système intrinsèquement défavorable aux besoins de la paysannerie, des producteurs d’aliments et, par conséquent, aux intérêts de l’humanité ? Comment inverser la tendance actuelle qui sacrifie l’agriculture familiale et durable au profit d’une agriculture intensive, industrielle, hautement mécanisée et dédiée aux monocultures ? La réponse est sans équivoque : à travers l’organisation et la lutte à tous les niveaux ; en saisissant tous les espaces à disposition, au niveau local d’abord, régional, y compris celui des organisations multilatérales internationales. En effet, de nos jours, à l′ère de la mondialisation néolibérale, la lutte confinée aux cadres locaux et nationaux s’avère souvent insuffisante, rendant indispensable la recherche de nouveaux espaces politiques à l’échelle régionale et internationale. Il est donc nécessaire, souvent utile, de porter la lutte pour la reconnaissance des droits des paysan.ne.s à l’échelle internationale, l’inscrivant dans l’agenda des organisations internationales, et en particulier celui de l’ONU.

Après des années de discussions internes, La Vía Campesina (LVC), le plus grand syndicat au monde et la plus importante organisation paysanne internationale comptant 250 millions de membres et présente dans plus de 80 pays, s’est lancée dans cette aventure internationale. Avec le soutien du Centre Europe Tiers Monde (CETIM) et d’autres organisations, elle a revendiqué l’élaboration d’un instrument juridique international qui puisse codifier et protéger les droits des paysan.ne.s.

En décembre 2018, après 17 ans de lutte acharnée, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une Déclaration sur les droits des paysan.ne.s et autres personnes qui travaillent dans les zones rurales. Un effort et un succès extraordinaires pour le mouvement paysan international, fruit d’un travail de plaidoyer sans précédent mené par LVC. Le mouvement paysan a su saisir l’espace onusien en profitant d’un rapport de force international favorable, grâce notamment à l’engagement des pays progressistes d’Amérique Latine (mais aussi de la majorité des pays africains et asiatiques) et en particulier de la Bolivie, le pays qui a tenu le rôle de leadership du processus. C’est également une victoire et une grande satisfaction pour le CETIM qui a soutenu ce mouvement depuis le début (2001) en lui fournissant, outre un appui logistique, formation, outils et informations nécessaires pour qu’ils s’y retrouvent dans le labyrinthe onusien. En l’accompagnant judicieusement, le CETIM lui a évité de se perdre dans les méandres du système, ses pièges et entraves.

 

La Déclaration de l’ONU sur les droits des paysan.ne.s : de quoi s’agit-il ?

Premièrement, il faut rappeler que la Déclaration sur les droits des paysan.ne.s est le premier instrument juridique international qui inscrit, au niveau du droit international, des normes protégeant de manière spécifique les droits et les besoins généraux des populations rurales (paysans, pêcheurs, nomades, éleveurs, travailleurs agricoles, peuples autochtones(1)). Ces droits incluent par exemple le droit à la terre, le droit aux semences, le droit à la biodiversité, le droits aux moyens de production, le droit à la participation, le droit à la sécurité sociale et d′autres encore.

Deuxièmement, la Déclaration répond à des revendications légitimes et pressantes des populations rurales : 1) maîtriser le processus de production et de commercialisation de leurs produits ; 2) pouvoir vivre et travailler dans des conditions dignes.

Troisièmement, il est nécessaire de mettre en exergue la nature progressiste de la Déclaration. Ce texte est un outil clé de la lutte des communautés rurales contre le système économique actuel qui les asservit aux intérêts des grandes entreprises transnationales de l’agrobusiness. D’ailleurs, la Déclaration surgit véritablement comme instrument construit par le bas, dans une perspective de changement social et économique. Un outil construit par les paysan.ne.s pour les paysan.ne.s tout en tenant compte de la nécessité de trouver une harmonie et un équilibre entre le développement économique et social de la paysannerie et celui des sociétés urbaines.

Le développement économique et social harmonieux et équilibré entre toutes les communautés, les populations et les secteurs, tel est le postulat défendu par le CETIM, La Vía Campesina et les autres organisations rurales dans le cadre du processus en faveur de la Déclaration. En d’autres termes, ce n’est qu’à travers le respect des droits des paysan.ne.s qu’on pourra assurer un développement rural socialement, économiquement et environnementalement durable, focalisé sur la justice sociale. À son tour, cela aura des implications positives sur le développement et le bien-être de l’humanité dans son ensemble, en reconnaissant l’apport crucial des paysan.ne.s à la lutte pour une alimentation saine, pour la défense de la biodiversité et contre la dégradation environnementale. Protéger la paysannerie, c’est protéger l’humanité et l’environnement.

 

Une nouvelle étape : mise en œuvre de la Déclaration

Mais gardons les pieds sur terre. La Déclaration en question n’est qu’une première étape, certes fondamentale, dans la lutte pour le respect et la reconnaissance des droits des paysan.ne.s et autres personnes qui travaillent dans les zones rurales. Suite à son adoption, une nouvelle étape voit le jour, celle de sa mise en œuvre. Dans cette perspective, les organisations paysannes et leurs alliés devront bâtir une stratégie commune et coordonnée pour assurer l’aboutissement de cette nouvelle étape, complexe et non exempte d’entraves. Elles devront mobiliser toutes les forces afin de pousser les autorités publiques à effectivement mettre en œuvre la Déclaration, conformément à son esprit ; à rendre cet instrument effectif et favorable à la paysannerie, à l’échelle nationale comme à l’internationale. Il appartient aux paysan.ne.s, aux autorités publiques et à nous tou.te.s d’agir coude à coude pour que le rêve qui a guidé cette lutte se transforme en une réalité tangible.

Pour appuyer ces efforts, le CETIM a publié, début 2019, un ouvrage sur cette Déclaration historique, intitulé « La Déclaration des droits des paysan.ne.s : Outil de lutte pour un avenir commun ». 

 

RETROUVEZ LE LIVRE SUR LA DÉCLARATION DES DROITS DES PAYSANS SUR LA BOUTIQUE EN LIGNE DU CETIM EN CLIQUANT ICI OU SUR L’IMAGE CI-DESSOUS

 

Notes : 

(1) A noter qu’il existe une Déclaration sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2008 par l’Assemblée générale de l’ONU, traitant des droits spécifiques de ces peuples.

 

Source : Centre Europe Tiers Monde

 

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.