La Colombie résiste au “fracking” : implications de la décision adoptée par la commission d’experts

Le gouvernement colombien -fidèle à sa pratique habituelle de suivre les ordres donnés par la Maison Blanche-, cherche à créer une aura de « neutralité et de responsabilité » autour du “fracking” qui est loin de la réalité. Le risque pour la santé lié à la pollution des eaux souterraines est élevé, mais la commission a voulu l’ignorer. Au-delà des études techniques et de considérer les habitants comme “ignorants” et sans capacité de décision, les universitaires devraient limiter davantage l’utilisation de cette méthode afin de protéger les espèces animales et végétales dans un monde déjà trop en marche vers l’autodestruction. Le “fracking” c’est finir avec l’eau pour obtenir un peu de feu. La résistance à la fracturation hydraulique est par conséquent d’une importance vitale.

 

La prétendue commission d’experts « indépendants », convoquée par le gouvernement de Colombie afin d’analyser les conséquences du “fracking” dans le pays, a produit un rapport contestable basé sur l’arrogance d’une classe d’individus, qui de façon ostentatoire exhibe « connaissance » et pouvoir. Cette commission est composée de onze académiciens nationaux et deux étrangers. Elle a ouvert la porte aux essais pilotes d’exploitation d’hydrocarbures non-conventionnelle qui vont avoir lieu dans le Nord du pays. Selon ce rapport, le “fracking” ne représente pas une menace environnementale à condition de suivre de stricts protocoles. D’une part, existe une série de conditions préalables aux tests pilotes, comme le respect de la loi de transparence, la formation de personnel, la prise en compte de risques de santé et la mise en place de mécanismes de participation citoyenne. D’autre part, les conclusions de la commission ont été concentrées sur les recommandations concernant la mise en œuvre des pilotes en vue d’assurer la participation communautaire et de clarifier comment transférer aux communautés les bénéfices qui adviendront de cette activité. Tel on peut le lire entre les lignes, les experts ont autorisé le gouvernement à débuter l’exploitation et la pollution des ressources au détriment de populations entières.

 

En effet, les essais vont avoir lieu au Nord du pays, sur une superficie de 33 915 km². Les départements les plus impactés par cette initiative seront Santader -dont la surface à exploiter par fracturation hydraulique représente 56 % du total-, suivi par Cesar avec 28 %, Bolívar avec 8 % et finalement Antioquia avec 7 % [1]. Selon la commission « indépendante », le refus du “fracking” dans les communes de San Martín (Cesar), Puerto Wilches et Barrancabermeja (Santander), est régi par l’absence d’information des habitants ; il est également dû à la méfiance à l’égard de l’extraction des richesses dans les territoires et la connaissance de génération de pauvreté qui en résulte. Les rapporteurs tentent de démontrer que le rejet sans appel des communautés est dû à « l’ignorance et à la méconnaissance », aux mythes et rumeurs sur la fracturation plutôt qu’à des preuves empiriques. Cette manière d’invalider les discours des populations paysannes est un exemple de la façon par laquelle le gouvernement cherche à tout prix l’exploitation des ressources en se protégeant derrière un masque de technicisme. En résumant, quiconque contrevient aux soi-disant preuves et études est un « ignorant qui veut arrêter le progrès de l’économie orange ». C’est de la mesquinerie !

 

Conformément aux recommandations des « experts », au moins cinq étapes doivent être suivies pour l’exploitation non-conventionnelle d’hydrocarbures. D’abord une ligne de base environnementale -décrit le domaine d’influence du projet ou de l’activité, afin d’évaluer ultérieurement les impacts qui peuvent être générés ou présentés sur l’environnement [NdT]-, puis des études hydrologiques -pour analyser les conséquences de la pollution des aquifères- ; ensuite, la levée de la ligne de base de sismicité -pour tenter de répertorier le réseau de failles et de fractures naturelles  [NdT]-, le forage du puits et enfin l’analyse des eaux de retour -rejets. Voici le protocole qu’appliquera Ecopetrol -l’entreprise pétrolière d’État-, pour utiliser cette technique controversée qui a de fervents partisans, dont Julio Cesar Vera, ex-président de l’Association Colombienne d’Ingénieurs Pétroliers. Selon Vera, le fait que le “fracking” produise des séismes est « techniquement un mensonge », parce que la profondeur atteinte est de 3 à 5 kilomètres de sorte que toute fracturation va générer un effet de 200 mètres et une sismicité associée équivalente à l’impact d’une bouteille d’eau jetée dans le sol [2]. Toute cette collection d’arguments en faveur de la fracturation hydraulique démontre l’empressement du gouvernement à prouver « l’innocence » de cette technique. Il faudra rappeler à Vera et à tous les fonctionnaires qu’en 2014 la compagnie Aruba Petroleum Inc. a dû payer une amende de 2,9 millions de dollars à une famille au Texas pour des dommages causés à leur santé [3]. Pourquoi la parole d’experts pèse-t-elle dans certains cas mais pas dans d’autres ? La réponse est simple : pour l’argent et le pouvoir.

 

La fracturation hydraulique tue et détruit. « Protect our water »- Protégeons notre eau.

 

Bien que les recommandations formulées par la commission d’experts indépendants présentent quelques limites dans la mise en œuvre des essais pilotes, la réalité est que le gouvernement et en particulier la ministre des mines, María Fernanda Suárez, garderont uniquement ce qui leur convient : l’approbation du début de l’exploration d’hydrocarbures [4]. Pour cette raison, il est nécessaire d’établir des motifs pour lesquels les secteurs écologiques et alternatifs en Colombie doivent résister à l’escalade promue par le gouvernement colombien.

 

En premier lieu, d’après l’activiste contre le “fracking” de « Alianza Colombia Libre » Óscar Sampayo, les populations n’accèdent qu’à très peu d’information. L’État cherche ainsi à dissimuler les véritables conséquences de la fracture hydraulique afin de la réduire à une question technique. Il n’y a ni clarté ni transparence dans la procédure et quoique les partisans de la fracturation aient affirmé « plus il y a des connaissances, moins il y a de risques », la vérité est que plus cette technique sera connue, plus les secteurs s’y opposant seront nombreux. C’est pourquoi celui qui a la connaissance a le pouvoir de décision. 

 

Deuxièmement, il existe ce que nous pouvons appeler « méconnaissance programmée », c’est-à-dire qu’il n’y a pas actuellement d’inventaire des ressources en eau, plantes, animaux ni autres espèces, de même que le potentiel des eaux souterraines est inconnu (et il n’est pas important de le connaître). En d’autres termes, aucune évaluation des conséquences possibles de la fracturation hydraulique n’est considérée. La commission d’experts aurait effectué un certain nombre de travaux sur le terrain pour analyser d’éventuelles répercussions, mais aucun résultat n’a été présenté. Le rapport a simplement été approuvé sans tenir compte des biens et des ressources qui pourraient être affectés. Cette méconnaissance programmée a pour but de sous-estimer les dangers, voire même de les ignorer en simplement les qualifiant de « réclamations d’écologistes ». Toutefois, le problème fondamental est que le gouvernement et ses institutions créent une dissimulation stratégique pour éviter une mobilisation plus imposante contre le “fracking”.

 

La troisième raison de s’opposer et de résister est la mythomanie à propos d’un “fracking responsable”, car il ne peut y avoir de telles absurdités. Comme l’Alliance Colombie Libre contre la fracturation l’a constamment affirmé, il n’existe pas dans le monde une technologie capable de forer et de produire des puits sans extraire de matières radioactives et toxiques [5]. Si tel était le cas, des pays qui se considèrent à l’avant-garde de l’industrialisation comme l’Allemagne ou la France n’interdiraient pas cette technique. Le gouvernement colombien -fidèle à sa pratique habituelle de suivre les ordres donnés par la Maison Blanche-, cherche à créer une aura de « neutralité et de responsabilité » autour du “fracking” qui est loin de la réalité. Au contraire, l’approbation de la commission d’experts a porté un coup sévère aux secteurs indépendants et souverains qui comprennent les dangers qui en découlent. L’illusion créée par le gouvernement d’Iván Duque est que la production supplémentaire de pétrole est un succès de son plan gouvernemental, tandis qu’il cherche à masquer les terribles conséquences environnementales provoquées par la fracturation des roches.

 

Enfin, il convient de se demander qui prend en considération les demandes démocratiques des populations ? L’administration actuelle a clairement tendance à nier les opinions et les objections des opposants à de tels projets. La commission a résolu cette affaire en accusant ces communautés d’ignorer les procédures. Au-delà de cette manifestation de mépris et d’élitisme, la Colombie n’est-elle pas en train de prouver qu’elle n’est qu’une prétendue démocratie ? Les exemples de Jericó (Antioquia), Fusagasugá (Cundinamarca), Curumam (Meta), Plata (Huila) et Cajamarca (Tolima), montrent clairement que la participation est la clef de voûte de tout processus démocratique, raison pour laquelle les essais pilotes doivent également passer par le tamis d’un mécanisme participatif, au risque de voir la souveraineté des populations bafouée [6]. Nul n’ignore que le gouvernement Duque est autoritaire, antidémocratique et violent envers les plus démunis.

 

Le “fracking” endommage la Terre.

 

En témoigne le discours « développementiste » de l’économie orange qui cherche à masquer les graves dangers environnementaux auxquels seront soumis des milliers de personnes.

Pour la ministre des mines et de l’énergie, les recommandations de la commission sont “intégrales parce qu’elles comprennent une variable sociale et pas seulement technique”. Tellement d’hypocrisie pour valider quelque chose qu’on ne respectera pas. En effet, le gouvernement est le premier à critiquer les consultations populaires ; ce mécanisme de souveraineté empêche le développement de projets miniers et énergétiques considérés comme essentiels au développement du pays. Les implications négatives -effets sanitaires, climatiques et environnementaux- de la fracturation hydraulique, le “fracking”, ne sont pas la préoccupation du président ni de la ministre concernée, sinon cette technique serait interdite immédiatement.

 

 

Derrière la notion de développement se présente une question non moins grave : l’approfondissement de l’impérialisme économique. Les mêmes sociétés qui exploitent historiquement le pétrole dans le pays ont déjà manifesté leur intérêt pour les puits non conventionnels. Et ce n’est pas une surprise si ces compagnies sont d’origine nord-américaine. L’Exxon Mobile et la Conoco Phillips veulent prendre le contrôle des ressources trouvées dans le Magdalena Medio [7]. À cet égard, les accords commerciaux avec le magnat-président Donald Trump prévoient la remise de la souveraineté nationale à l’impérialisme transnational. Cela signifie que la fracturation hydraulique n’a pas seulement des effets socio-environnementaux, mais aussi économiques, d’où les nombreux motifs de la résistance.

 

À titre d’exemple, on peut dire que le “fracking” entraîne des dommages irréversibles pour l’environnement, dont les habitants de la zone concernée sont tributaires. C’est la raison pour laquelle l’annonce de la commission d’experts s’est avérée être un moment fort décevant car annihilant les espoirs des communautés qui résistent à l’exploitation de leurs territoires. Le risque pour la santé lié à la pollution des eaux souterraines est élevé, mais la commission a voulu l’ignorer. Au-delà des études techniques et de considérer les habitants comme “ignorants” et sans capacité de décision, les universitaires devraient limiter davantage l’utilisation de cette méthode afin de protéger les espèces animales et végétales dans un monde déjà trop en marche vers l’autodestruction. La résistance à la fracturation hydraulique est donc d’une importance vitale.

 

« Agua por fuego »- Le “fracking” c’est finir avec l’eau pour obtenir un peu de feu. « Shale Gas »- Gaz de Schiste.

 

 

Notes :

[1]-https://www.eltiempo.com/colombia/otras-ciudades/asi-es-como-ecopetrol-planea-hacer-fracking-en-colombia-327390

[2]-https://www.eltiempo.com/economia/sectores/recomendaciones-de-expertos-para-hacer-fracking-en-colombia-327126

[3]-https://sostenibilidad.semana.com/medio-ambiente/articulo/tribunal-favorece-familia-afectada-fracking/31177

[4]-https://www.semana.com/nacion/articulo/fracking-en-colombia-comision-de-expertos-dijo-que-si/601668

[5]-http://www.uniminutoradio.com.co/es-conveniente-o-no-el-fracking-en-colombia/

[6]-https://www.eltiempo.com/colombia/otras-ciudades/municipios-en-colombia-que-le-han-dicho-no-al-fracking-298502

[7]-http://caracol.com.co/radio/2019/02/15/economia/1550250155_611304.html

 

Source : La Otra Opinión

Traduit du castillan par Paulo Correia pour le Journal Notre Amérique

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