La Bataille de Vimy « fondatrice de la nation canadienne » ? un mythe offensant pour les Québécois

9 avril 1917. La Première Armée britannique constituée de quatre divisions canadiennes se lance à l’assaut de la crête de Vimy (Pas-de-Calais). Avec succès en dépit des lourdes pertes enregistrées (10 600 victimes dont 3 600 tués). Cet épisode de la Bataille d’Arras (1) sera commémoré en grande pompe et de façon ultrasécurisée ce dimanche 9 avril. 23 000 personnes sont attendues au pied du mémorial canadien de Vimy, dont François Hollande, le prince Charles du Royaume-Uni et Justin Trudeau, le Premier ministre canadien. Historien québécois, rattaché au quartier général de la Défense nationale, Jean Martin revient sur l’engagement canadien dans ce conflit.

 

Les Canadiens semblent concentrer leur attention sur la Bataille de Vimy. Pour quelles raisons ?

 

C’est le gigantesque monument érigé à Vimy (près d’Arras), qui a servi à focaliser la mémoire canadienne de la Première Guerre mondiale. Le choix de ce site cédé par la France au Canada, a été fait, dans les années 1920, sur des bases autant pratiques (caractéristique physique, localisation) qu’historiques.

Dès son inauguration en juillet 1936 par Edouard VIII, le souverain britannique, les vétérans en font un lieu de pèlerinage. Vimy est aussi resté dans la mémoire des soldats à cause du long séjour qu’ils ont fait dans son voisinage. Cantonnés en Artois de 1916 à 1918, ils ont multiplié les contacts avec les Français qu’ils trouvaient « accueillants et généreux ». Il est d’ailleurs dommage que mes compatriotes aient oublié cet aspect important de l’histoire.

Aujourd’hui, toutes les cérémonies commémoratives se tiennent donc à Vimy. Les autres batailles livrées par les Canadiens (à Ypres en 1915, dans la Somme en 1916, du côté de Lens en août 1917 où pour la première fois ils exercent le commandement, à Passchendaele la même année, à Amiens en 1918) sont presque totalement oubliées. Au Canada, les commémorations du centenaire ont officiellement commencé en 2017 seulement, pour se terminer dans une semaine.

Il n’y a rien de prévu pour rappeler les combats majeurs des trois derniers mois de 1918, et leurs 12 000 morts. La moitié des pertes ont d’ailleurs été enregistrées après Vimy. Au total, 620 000 Canadiens se sont enrôlés dans le Corps expéditionnaire, en plus de quelques milliers supplémentaires qui ont servi dans le Royal Flying Corps et dans la Royal Navy britanniques, sans compter les 12 000 Terre-Neuviens (Terre-Neuve a rejoint le Canada en 1949).

Quant au nombre de morts canadiens sur la durée du conflit, il reste encore approximatif. On l’estime à environ 65 000 dont 40 000 tombés en France et 13 000 en Belgique.

 

L’Etat français prétend que « la bataille de la crête de Vimy revêt un caractère fondateur pour le Canada en tant que nation ». Qu’en est-il?

 

En 1914, le Canada fait partie de l’Empire britannique, avec le statut de dominion. Sa souveraineté ne s’étend pas aux affaires extérieures. Lorsque le 4 août 1914, l’Empire britannique déclare la guerre à l’Allemagne, le Canada est libre de choisir la nature de son engagement, mais pas de s’y soustraire. Il aurait pu accorder une aide matérielle, il fait le choix d’envoyer des troupes.

A l’époque, un quart de ses huit millions d’habitants n’y sont pas nés ; l’ouest du pays notamment demeurant, en ce début du XXe siècle, un espace d’immigration. Jusqu’en 1917, date à laquelle la conscription est imposée, en dépit de l’opposition du Québec, tous les soldats sont des volontaires.

 

Pourquoi le Québec est-il hostile à la conscription ?

 

La conscription n’a jamais été populaire dans les pays de tradition britannique. Il y a aussi eu une forte opposition à la conscription en Grande-Bretagne quand elle a été adoptée en 1916.

Le Québec mais aussi beaucoup de monde au Canada (la population agricole, en particulier) y étaient opposés. Au Canada, il n’y a pas eu de referendum sur la conscription, mais une élection générale. Le Québec, tout comme la province de l’Île-du-Prince-Édouard d’ailleurs, a voté majoritairement contre le gouvernement qui reniait ainsi sa promesse de ne jamais imposer la conscription. Des manifestations ont eu lieu partout à travers le pays, mais comme l’une d’elles au Québec a fini dans le sang, on ne parle plus aujourd’hui que de celle-ci.

Il faut toutefois rappeler que l’opposition à la conscription ne signifiait pas nécessairement l’opposition à la participation à la guerre. On refusait simplement l’enrôlement obligatoire, même si on encourageait souvent l’enrôlement volontaire.

 

Qui composent les troupes canadiennes dont un premier contingent part en octobre 1914 s’entraîner au Royaume-Uni ?

 

Les divisions canadiennes font partie d’un corps colonial de l’Armée britannique. Les Amérindiens y auraient été au nombre de 3 à 4 000, noyés dans la masse. Ils ne forment pas d’unités spécifiques. Leurs qualités de tireurs d’élites étaient appréciées. Au Canada, ils vivent dans des réserves et sont des « sous-sujets ». Ils échapperont d’ailleurs à la conscription.

Quant à l’élément francophone, il y est sous-représenté dans le corps expéditionnaire. Selon un rapport d’octobre 1917 (avant l’apport des nouvelles recrues produites par la conscription), 55% de ces enrôlés sont nés hors du Canada, au Royaume-Uni pour la plupart, où ils ont conservé des attaches. Ce sont des Anglais ou des Ecossais de cœur ou de naissance. Ces sujets loyaux de Sa Majesté sont avant tout fiers d’appartenir à l’Empire. Ils partent se battre pour servir la Grande-Bretagne, son roi, son empire…

Parler de patriotisme canadien à l’époque relève donc de l’anachronisme. La bataille de Vimy n’a donc rien à voir avec la naissance d’une nation, bien qu’il s’agisse d’un moment important de son histoire.

 

Comment alors cette idée d’une nation fondée à Vimy s’est-elle imposée ?

 

Elle a été exprimée pour la première fois en 1967 par le général Alex Ross, un vétéran, ancien président de la Légion canadienne, dans la fièvre du centenaire de la création de la confédération canadienne (1867) et du cinquantenaire de la bataille de Vimy.

Jamais, à notre connaissance, cette bataille n’avait été aussi directement identifiée à la naissance d’une nation. Les politiciens et les journalistes s’en sont ensuite emparés car ça fait bien. L’idée est populaire chez les anglophones. Mais aucun historien sérieux ne l’a reprise à son compte. Elle est d’ailleurs plutôt insultante pour les Québécois. A l’époque, nous étions installés au Canada depuis plus de deux siècles. Nos ancêtres avaient consacré leur vie à bâtir ce pays. Les Français aussi aiment ce mythe qu’une nation serait née sur leur territoire. Ils en sont fiers.

Lorsque je le remets en question, ça fait des mécontents en France. Pourtant une nation ne se crée pas en une journée. La France n’est pas née à Bouvines ou lors de la prise de la Bastille… J’ai consacré en 2011 un article au thème de la construction de la nation canadienne (2). Le cadre de cette étude se limite à l’idée que les populations d’origine européenne établies sur ce continent depuis le XVIe siècle se font du pays. Concernant, les différentes nations autochtones peuplant ce territoire avant l’arrivée des Européens, les sources sont trop peu explicites et l’enquête serait à peu près impossible à mener.

 

Notes :

(1) Avril 1917. A Verdun, dans la Somme ou en Flandre, la Première Guerre mondiale a déjà fait des centaines de milliers de victimes. En Artois, sur le front occidental, les Alliés imaginent une percée des lignes allemandes en direction de Douai et Cambrai pour désenclaver Arras et libérer le Bassin minier. Il s’agit surtout d’une manœuvre de diversion pour affaiblir la partie teutonne du côté du Chemin des Dames en Champagne où une autre offensive d’envergure se prépare. La zone d’assaut va s’étendre de Vimy à Bullecourt avec à la clé la prise de Monchy-le-Preux ou de meurtriers combats à Arleux, Fresnoy ou Roeux. Le bilan de la Bataille d’Arras ? 200 000 militaires Britanniques ou Allemands morts ou blessés, selon l’historien Yves Le Maner. Pour de minimes gains territoriaux…

(2) « Vimy, avril 1917 : la naissance de quelle nation ? », de Jean Martin. Revue militaire canadienne, volume 11, n°2, printemps 2011. Le lien : http://www.journal.forces.gc.ca/vo11/no2/doc/06-martin-fra.pdf

Source: Investig’Action


Centenaire de la Grande Guerre : un air de déjà vu

 
Par Jacques KMIECIAK
 

En France, de multiples manifestations marquent le centenaire de la Bataille d’Arras (avril – mai 1917) dont Vimy est un épisode (1). Des célébrations en forme d’hommage à « ceux qui ont combattu sur nos terres pour la Liberté », ose Frédéric Leturque, le maire UDI (centre-droit) d’Arras.

Comme si la IIIe République fondée sur le massacre de la Commune de Paris pouvait alors se poser en parangon de vertu à l’heure des tueries de masse dans ses colonies d’Algérie ou du Tonkin ou encore de la répression tous azimuts à l’endroit du mouvement ouvrier de l’Hexagone (Fourmies, Courrières) ?

Et aujourd’hui encore la social-démocratie et la Droite, associées comme au bon vieux temps de l’Union sacrée, de reproduire les clichés déployés à l’époque. Les soldats alliés sont ainsi qualifiés de « héros » par le conseil départemental du Pas-de-Calais (à majorité PS) qui salue leur « sacrifice ». Comme si celui-ci avait été volontaire et non imposé par les élites de Grande-Bretagne, de France ou d’Allemagne responsables de la déflagration mondiale d’août 1914… Des responsabilités savamment éludées depuis 2014 et le début des commémorations liées au centenaire de la Grande Guerre.

Pourtant à l’époque, ces puissances impérialistes en quête de nouveaux marchés rêvaient chacune d’imposer, à leur profit, un nouveau partage du monde et de ses matières premières. L’Allemagne en plein essor industriel réclame sa « juste » part d’un gâteau en partie négocié dans le cadre du Traité de Berlin (1885) (2).

Pour la bourgeoisie et l’aristocratie, « les guerres, comme les épidémies, sont aussi une façon de réduire le nombre des pauvres. A l’époque, les masses font peur. La guerre, c’est l’antidote contre la Révolution », commente l’historien belge Jacques Pauwels (3).

Continuer de soutenir que cette guerre aux allures d’hécatombe avec ses dix millions de morts, a été menée pour la défense de la Démocratie, de la Liberté, du Droit ou de la Civilisation, relève donc du mensonge d’Etat. Certes, les envolées bellicistes et militaristes propres à un Churchill (qui considérait la guerre comme une « affaire glorieuse et délicieuse », une « activité normale comme le jardinage », selon Jacques Pauwels) ne sont plus de mise. Nos élites revendiquent désormais le « plus jamais ça ».

Tout en encourageant les interventions néo-colonialistes de l’Etat français en Libye, en Syrie, au Mali ou en Centrafrique. « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels », scandait Anatole France. Hier comme aujourd’hui…

 

 Notes:

(1) Le programme sur le site du conseil départemental du Pas-de-Calais : http://www.pasdecalais.fr

(2) Voir « On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour des industriels. » Film produit et réalisé par Investig’Actions avec Michel Collon, Jacques Pauwels et Anne Morelli. Le lien : http://www.investigaction.net/14-18-on-croit-mourir-pour-la/

(3) Lire « 1914 – 1918, La grande guerre des classes », de Jacques R. Pauwels. Editions Aden.

 

Source: Investig’Action

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