“Julian Assange parle”, ou comment l’adolescent de Townsville est devenu un résistant indomptable

Nous connaissions jusqu’ici, dans ce journal, le Julian Assange militant de la liberté d’informer, et d’être informé, le résistant indomptable face à la force écrasante du pouvoir de l’argent et des services de renseignement coalisés contre lui ; c’était déjà beaucoup. Nous connaissons aujourd’hui, grâce à Karen Sharpe et aux éditions Investig’Action, la source de la rivière ; les mécanismes intimes qui ont fait que la curiosité innée de l’adolescent de Townsville (la ville natale de Julian), cheminant de question en question, soit arrivée pas à pas à les transcender en questionnements qui ont finalement donné du sens à sa vie. Et aussi peut-être des explications de pourquoi, aujourd’hui, il risque de la perdre.

Dans ce court ouvrage, Karen a eu l’intelligence de nous présenter une sélection de fragments de textes, de bouts de phrases et de discours, touchant des sujets bien divers (la justice, le journalisme, Internet, les surveillances, l’Empire, les guerres, le pouvoir, la censure etc.), tous reliés par un dénominateur commun : l’exigence de chercher à comprendre, de ne pas se satisfaire de l’incompréhension ni des apparences et, encore moins, des explications officielles. Chercher à comprendre donc, comme seule boussole pour atteindre la vérité, les vérités. Ce cheminement est illustré dans ces pages et n’est que le copié-collé du parcours de Julian et de sa personnalité. Esprit libre, rétif aux dogmes et « vérités » officielles, surtout lorsqu’elles viennent des pouvoirs établis. D’où son penchant un peu « anar », mais non pas un de ces anarchismes stériles noyés dans l’auto-contemplation et le nihilisme. Non, le sien est engagé jusqu’à la moelle, jusqu’à en faire son instrument de combat.

Lucide, il sait que le combat est dur et très difficile, car les forces qu’il doit affronter sont aussi puissantes que dépourvues de scrupules. Pourtant, et c’est un des enseignements de ce livre, il est résolument optimiste car il croit à l’esprit sain des gens et des peuples, à leur bon sens naturel, pourvu qu’ils soient informés correctement. Si nous vivons dans un monde habité de conflits et d’interventions militaires sans que cela suscite des oppositions massives, c’est justement par défaut d’informations. « Les guerres du XXe siècle sont souvent parties de la diffusion d’informations maîtrisées par les dirigeants qui voulaient la guerre, disait Julian à Eric Schmidt, le président de Google, lorsqu’il le rencontrait en juin 2011, cela prouve que les populations n’aiment pas les guerres et qu’il faut leur mentir. Cela signifie que la vérité peut nous emmener vers la paix. » Simple, lumineux, tout simplement humain.

Mais c’est justement le problème. Arriver à la paix veut dire casser le plus grand business de notre temps, de cette civilisation qui est la nôtre, où on ne fabrique plus des armes pour faire la guerre mais où on fabrique des guerres pour vendre des armes, tout en servant des intérêts et des forces inavouables. C’est pourquoi les « fautes » de Julian ne lui seront jamais pardonnées. On ne dévoile pas impunément la collusion entre la diplomatie américaine et Al-Qaeda pour déstabiliser la Syrie dans le but de favoriser Israël. On ne dénonce pas les menaces qui nous arrivent avec les développements malsains d’Internet, des technologies numériques et de l’intelligence artificielle, et qui mettent en danger l’exercice même de nos libertés les plus basiques, sans se risquer à en payer le prix.

D’où nos pressentiments, notre pronostic, qu’à Londres se joue une comédie aussi lugubre qu’ignoble, d’appel en appel, de requête en requête, de procès en procès, car Julian Assange est déjà condamné. On joue la montre et les prolongations sans fin jusqu’à ce qu’on soit sûr qu’il n’est plus en capacité, mentalement ou physiquement, de continuer à résister. Alive or dead, peu importe en fin de compte. La procédure est connue, elle fut déjà appliquée dans l’Italie fasciste. En 1928, Michele Isgro, un collègue italien des magistrats de Londres, procureur du tribunal spécial fasciste de Rome, conclut la lecture de la sentence condamnant le dirigeant communiste Antonio Gramsci à vingt ans de prison pour « incitation à la rébellion » par la phrase « (…) nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner. » Les objectifs des deux magistratures, ceux de la cour britannique et ceux du tribunal spécial mussolinien, sont identiques ; ils ne diffèrent que dans la forme, le procureur italien ayant fait preuve de moins de perversité et de plus de franchise que ses collègues londoniens.

En effet, un mélange si explosif, et rare, d’intelligence, d’expertise technologique, de courage sans retenue et d’humanisme limpide ne peut pas être laissé en liberté et courir les rues comme si de rien n’était. Au moins que ceux, nombreux, qui croient qu’on peut encore réclamer le droit à la liberté de penser et de s’exprimer, se mobilisent pour arracher Julian des griffes de ses geôliers. C’est le sens de l’appel que nous livrent Michel Collon et Viktor Dedaj en concluant cet, si opportun, ouvrage.

 

Source: Le Drapeau Rouge

 

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