“Julian Assange fait l’objet d’une punition exemplaire depuis une décennie”

“Dans une démocratie, la liberté d’informer est un minimum vital et ne peut être une option, quelles que soient nos opinions politiques”. Partant de ce constat, les Mutins de Pangée ont eu la brillante idée d’éditer un coffret sur l’affaire Assange. Il comprend un livre, recueil de 260 pages de textes et d’entretiens inédits en français, accompagné d’une chronologie aussi détaillée qu’utile. Un film, Hacking Justice, agrémente le tout. Nous vous proposons un entretien avec ses deux réalisateurs, Clara Lopez Rubio et Juan Pancorbo. Entre l’échappée d’Assange au sein de l’ambassade équatorienne en 2012 et son arrestation en vue d’une extradition vers les États-Unis, les réalisateurs ont côtoyé le fondateur de Wikileaks enfermé dans l’ambassade et ont suivi son avocat Baltasar Garzon aux quatre coins du monde. Avec des accents de thriller haletant, nous voyons la défense d’Assange s’ériger pour tenter de contrer l’une des plus grandes injustices de notre époque. Une histoire aux implications politiques profondes pour la liberté d’informer. Une histoire qui résonne particulièrement alors que la justice britannique vient d’autoriser formellement l’extradition d’Assange vers les États-Unis. (IGA)


 

Comment ce projet a commencé ? Comment avez-vous eu accès aux protagonistes ?

Clara López Rubio : Nous avions pris contact avec le juge Garzón pour réaliser un film sur sa carrière. C’était l’été 2012 et nous sommes allés lui rendre visite dans sa ville natale, Torres, en Andalousie. Il venait d’être radié du barreau et était en train de se reconvertir en avocat. C’est à cette époque qu’il a reçu un appel de Julian Assange et a accepté de coordonner sa défense pro bono. Soudain, apparaissait un autre personnage fascinant et controversé, et une affaire d’actualité qui suscitait un grand intérêt au niveau international.

Comment avez-vous tenu le fil de ce récit dont l’issue était incertaine de bout en bout ?

Juan Pancorbo : Au départ, le film montre le travail de Baltasar Garzón à la tête de l’équipe juridique internationale qui défend le rédacteur en chef de WikiLeaks. En termes visuels, nous l’avons présenté ainsi : un homme enfermé dans une pièce et un autre qui voyage à travers le monde avec pour mission de le faire sortir. Mais les grandes questions sont en arrière-plan, car ce qui est en jeu dépasse largement le sort d’un seul individu. Nous parlons de l’avenir de l’Internet, la transparence des gouvernements et des entreprises, la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte, l’asile diplomatique si profondément ancré dans les pays d’Amérique latine… Avec le recul des années, la persécution de Julian Assange est la preuve sans équivoque que la liberté d’information et de la presse est menacée dans les démocraties occidentales.

Quelles ont été les plus grandes difficultés durant ces neuf ans ?

Clara López Rubio : En ces temps de pandémie, tout le monde peut désormais imaginer quelles sont les difficultés de mener un projet dans l’incertitude permanente. Il fallait se rendre sur place sans savoir si on pouvait tourner et ça impliquait forcément de dépenser de l’argent pour les billets d’avion, les hôtels, la location et le transport du matériel. Les protagonistes ne pouvaient pas trop nous tenir au courant de leurs agendas et de leurs voyages, pour des raisons faciles à comprendre. Nous avons dû faire un véritable travail de détective et prendre quelques risques pour tourner, avec un certain optimisme. (…)

Aujourd’hui, la situation a changé, davantage de gens ont compris l’injustice qui lui est faite et ce que ça signifie pour nos démocraties ; quelques voix s’élèvent en politique, jusqu’au Parlement européen… Mais il y a quelques années, presque personne ne se souciait du sort d’Assange, il était devenu un « pestiféré ». C’est pourquoi nous avons été impressionnés par le courage de ces gens que nous avons filmés. Un courage qui est vraiment « contagieux » [comme dit souvent Assange] et qui nous a aidés à surmonter de nombreux moments de désespoir pour aller au bout de ce film.

Malgré cela, pourquoi la mobilisation en faveur de Julian Assange est-elle encore si faible en 2021 ?

Juan Pancorbo : C’est avant tout le résultat des campagnes de dénigrement successives dont il a fait l’objet. On a dit de lui qu’il avait « du sang sur les mains » parce qu’il avait publié des informations non filtrées mais les procureurs états-uniens n’ont présenté aucune preuve de cette accusation lors des audiences d’extradition. Puis sont venues les allégations de viol en Suède, ce qui a ruiné sa réputation. Qui peut prendre fait et cause pour un violeur ? Mais il s’avère que l’affaire n’a jamais dépassé le stade d’une « enquête préliminaire » en Suède, que le parquet suédois n’a jamais porté plainte et que l’affaire a été classée plusieurs fois jusqu’à sa clôture définitive en 2019.

Comment Julian Assange a-t-il changé entre cette première rencontre et la dernière fois que vous l’avez vu ?

Juan Pancorbo : La transformation des personnages au fil du temps ne peut se refléter que dans des projets longs comme celui-ci. Julian Assange fait l’objet d’une punition exemplaire depuis maintenant une décennie. La méthode employée est classique : elle consiste à « tuer le messager » et dissuader ceux qui pourraient être tentés de suivre ses traces. Et le poids de cette punition se reflète dans l’apparence physique de Julian tout au long de notre film. Tant qu’il a pu rester actif et travailler, il n’a jamais montré de signes de faiblesse, son apparence physique reflète l’enfermement prolongé dans un espace très confiné, sans air frais, etc.

Où le film a-t-il été vu ?

Clara López Rubio : Depuis sa première version, le film a déjà été montré dans de nombreux festivals dans le monde entier : au Mexique, en Californie, à Bruxelles, en Autriche, en Argentine, au Chili, au Venezuela, en Équateur, en Espagne… Nous avons obtenu quelques prix en Amérique du Sud. Une plateforme indépendante en Australie le met en ligne maintenant. Notre petite frustration est que le film n’a pas encore été montré au Royaume-Uni et aux États-Unis (à l’exception de la Californie). Nous avons postulé à de nombreux festivals là-bas, mais nous n’avons reçu que des réponses négatives… Et bien sûr, il a été diffusé sur les télévisions européennes qui ont participé à la production : Canal Sur (Espagne), WDR (Allemagne), RTS (Suisse), VRT (Belgique). Et aussi sur la RAI (Italie), RT (Russie), 3sat (Allemagne) et vous pouvez le voir en ligne dans la médiathèque du principal radiodiffuseur allemand ARD.

 

 

Rendez-vous ce samedi 23 avril à Bruxelles!

 

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