Joe Biden au Moyen-Orient : un voyage utile pour Israël, les autocrates et les fabricants d’armes

Le président Joe Biden fait souvent remarquer qu’il a 40 ans d’expérience dans la gestion des affaires mondiales, mais lui et Washington semblent être de mauvais élèves.

Les quatre jours qu’il vient de passer au Moyen-Orient confirment que ses propres vues et les politiques américaines dans cette région restent confuses, contradictoires et souvent contre-productives – bien que très rentables pour Israël, les autocrates arabes et leurs sbires, et les fabricants d’armes américains.

Le caractère amateur du voyage de Biden a été parfaitement résumé par l’attention que les médias ont portée à la question de savoir s’il avait serré la main ou frappé le poing du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammad Ben Salman, que la CIA a déclaré responsable du meurtre du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi, un dissident saoudien.

Biden n’a eu aucune discussion de fond avec les dirigeants israéliens et arabes susceptible d’innover en raison des nombreux facteurs limitatifs qui ont été intégrés dans la politique américaine au Moyen-Orient depuis un demi-siècle. Même la simple demande de Biden en faveur d’une augmentation de la production pétrolière arabe pour réduire l’inflation en Occident n’a abouti à rien, car les producteurs de l’OPEP+ ont une capacité supplémentaire très limitée d’exportation de pétrole à l’heure actuelle, et la plupart des dirigeants arabes ont hésité à s’aligner sur les États-Unis contre la Russie alors qu’ils envisagent eux-mêmes des liens plus étroits avec ce pays.

Le programme général de Biden pour ce voyage n’avait aucune chance, honnêtement, en raison des cinq contraintes politiques qui ont façonné le violent héritage moderne de l’implication américaine dans la région :

  • soutenir Israël au détriment des droits des Palestiniens et des Arabes, à la fois dans la région et pour des gains en politique intérieure américaine ;
  • utiliser la puissance militaire pour tenter d’atteindre des objectifs politiques ;
  • considérer les excédents énergétiques et monétaires des pays arabes comme l’axe principal de l’engagement américain ;
  • promouvoir des liens stratégiques avec les États arabes principalement pour contenir les puissances indésirables dans la région, et,
  • ignorer totalement les conditions et les droits des centaines de millions d’hommes et de femmes arabes, iraniens et turcs dans cette région à prédominance musulmane, tout en cimentant des liens avec une poignée de dirigeants autocratiques qui engagent les États-Unis sur la base des quatre premiers principes ci-dessus.

Le voyage de Biden a approfondi cet héritage, en formulant des commentaires superficiels qui prétendaient exprimer l’engagement de Washington en faveur de la paix, de la sécurité, de la démocratie et de la prospérité pour tous les peuples de la région. Mais est-ce que quelqu’un prend cet engagement au sérieux aujourd’hui, en particulier après des décennies à entendre Washington parler de droits et de valeurs tout en mettant en œuvre des politiques qui ont contribué à envoyer la région arabe et la plupart de ses habitants dans des cycles de stagnation et de régression économiques (à l’exception d’environ quelques 20 % riches citoyens de la région) ? La plupart ont le sentiment de rester des sujets coloniaux officieux dirigés par des satrapes dociles qui considèrent les intérêts américains et israéliens comme supérieurs aux leurs.

Les hommes et les femmes arabes ordinaires reconnaissent que les interventions américaines au Moyen-Orient ont surtout favorisé des mécanismes qui ravagent leur vie : guerres incessantes, extrémisme, régime autoritaire, corruption galopante, violation massive du droit international, fragmentation des États et, plus récemment, pauvreté de masse qui touche aujourd’hui une majorité de personnes dans les États arabes. D’autres analyses effectuées par l’ONU ces dernières années montrent que la pauvreté multiforme et la vulnérabilité des familles touchent quelque 67 % des Arabes, et que les conditions se sont encore aggravées en raison du Covid, de la guerre en Ukraine et du changement climatique. Les enquêtes régionales de l’Arab Center montrent que plus de 70 % des familles ne peuvent pas répondre à leurs besoins mensuels de base ou ne peuvent que répondre à ces besoins sans pouvoir épargner.

La plupart des sociétés arabes sont profondément endettées et incapables de générer des économies productives équilibrées (en dehors des quelques producteurs d’énergie). Plusieurs pays comme le Liban, l’Irak, la Jordanie, la Syrie et le Yémen manquent d’eau, et parfois même d’électricité. La plupart des gouvernements semblent, dans une certaine mesure, avoir renoncé à leur souveraineté, car ils ne peuvent prendre des décisions importantes concernant l’achat d’armes ou l’importation d’électricité et d’eau qu’après avoir obtenu le feu vert d’une puissance étrangère (les principales étant les États-Unis, la Russie et l’Iran, mais aussi la Turquie, Israël et même l’Arabie saoudite).

C’est pourquoi la majorité des Arabes de la rue, s’ils étaient autorisés à s’exprimer librement, s’offusqueraient de la déclaration de Biden au sommet des dirigeants arabes à Djeddah samedi dernier : « Les États-Unis ne vont nulle part. Nous ne nous retirerons pas pour laisser un vide qui sera comblé par la Chine, la Russie ou l’Iran. Nous chercherons à tirer parti de ce moment grâce à un leadership américain actif et fondé sur des principes. »

Qu’en dites-vous ? Mais l’Iran, la Russie et la Chine ne cessent d’étendre leurs relations avec les pays arabes et les autres pays du Moyen-Orient, alors que les États-Unis tentent de les contenir. Certains de ces dirigeants arabes présents à Djeddah le week-end dernier mènent même leurs propres discussions bilatérales pour faire baisser les tensions avec l’Iran, ou dépendent fortement du commerce ouvert ou illicite avec l’Iran.

La tentative de Biden de rassembler le soutien des pays arabes et d’Israël pour contenir des puissances comme l’Iran, la Russie et la Chine est le dernier rebondissement en date d’un modèle américain bien établi qui consiste à essayer de se coordonner avec les pays locaux pour repousser les ennemis perçus des États-Unis ou de leurs alliés du Moyen-Orient. Parmi ces ennemis, on trouvait l’Union soviétique, les Frères musulmans, le nassérisme, l’Irak et la Syrie baasistes, les mouvements de guérilla palestiniens, le Hamas, le Hezbollah, I’EI et, aujourd’hui, l’Iran, la Russie et la Chine.

Pourquoi la Russie, l’Iran et la Chine continuent-ils à étendre leurs relations dans les pays arabes ? Toute analyse honnête montrerait que c’est l’impact des politiques américaines qui ont fermé les yeux ou directement encouragé les menaces structurelles dans la région arabe : une plus grande corruption arabe et l’incompétence de l’État, la colère populaire et souvent le désespoir, et un sentiment de découragement parmi des centaines de millions de personnes qui pousse beaucoup d’entre elles à vouloir émigrer. Cela ouvre les portes à tout parti qui prêche pour remédier à leurs maux.

Les présidents américains n’ont jamais compris qu’il est impossible d’aller très loin en essayant de promouvoir les relations d’Israël avec les États arabes, ou des coalitions arabo-israélo-américaines sérieuses pour affronter un tiers, tant que Washington regarde passivement Israël poursuivre son annexion coloniale des terres palestiniennes occupées et continue à offrir de l’argent et de la technologie pour maintenir la supériorité militaire d’Israël dans la région.

Alors que de nombreux dirigeants arabes recherchent désespérément le soutien des États-Unis et d’Israël pour survivre, la majorité des citoyens arabes considère toujours Israël et les États-Unis comme leurs principales menaces pour leur sécurité, respectivement 89 % et 81 %. Un autre sondage récent montre que la majorité des Arabes interrogés aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite et au Bahreïn voient désormais d’un mauvais œil la normalisation des relations dans le cadre des accords d’Abraham.

C’est pourquoi beaucoup de personnes au Moyen-Orient s’inquiètent lorsque Biden déclare, comme il l’a fait ce week-end : « Laissez-moi dire clairement que les États-Unis vont rester un partenaire actif et engagé au Moyen-Orient. » Beaucoup s’inquiètent parce que l’engagement actif et le militarisme sans relâche des États-Unis ont largement contribué à transformer la région arabe en champ de ruines.

Source : Responsible Statecraft

Traduction: Les Crises

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