Jacques-Marie Bourget à l’Expression: “Il y a longtemps que la presse occidentale a perdu son honneur”

Jacques-Marie Bourget est un écrivain, essayiste et grand reporter de guerre. Il analyse la propagande des médias occidentaux et leur couverture scandaleuse de la guerre en Ukraine. Il aborde le nouvel ordre mondial qui s’esquisse actuellement en soulignant qu’«il se met chaque jour en place». Il ne ménage pas les États-Unis, en martelant que « la trajectoire des USA est descendante. Ce pays a perdu toutes ses guerres après avoir détruit des pays comme le Vietnam, le Cambodge, l’Irak, la Libye, la Syrie et l’Afghanistan ». Il aborde le rôle de l’Algérie à l’aune de la crise énergétique qui frappe le monde en général et l’Occident en particulier. À ce propos il souligne que « L’Algérie avec la montée des coûts de l’énergie fossile, qui n’est pas à la veille d’être concurrencée par le « renouvelable », devrait puiser plus de richesse de ce chaos».


 

L’EXPRESSION : Quelle analyse faites-vous du traitement médiatique de la guerre en Ukraine par les médias occidentaux ?

JACQUES-MARIE BOURGET :  Pour répondre il est nécessaire de garder son calme tant la situation est extravagante, jusque-là inconnue même lors des autres guerres néo coloniales de l’Otan et de la « Communauté Internationale ». Nous assistons à un épisode historique que l’on peut qualifier de disparition de l’intelligence, de la pratique du doute et de tout exercice de la logique. Intellectuellement cette guerre a provoqué un chaos. Il est bon de rappeler qu’au début de la première Guerre Mondiale, des journaux français ont titré : « Les balles boches ne tuent pas ». Nous sommes revenus à cette époque.

Un exemple, la « Charte de Munich », née en 1971 mais reprenant la « Charte des devoirs professionnels des journalistes français » de 1918, sert aujourd’hui de paillasson. Cette Charte précise par exemple qu’un journaliste ne doit pas hésiter à prendre des risques pour respecter la vérité. L’article 9 exige de ne pas confondre le métier de journaliste avec un acte de propagande. Je ne vais pas plus loin, mais vous mesurez où en est rendue la folie de presse. Toute « l’information » publiée, diffusée est de source inconnue, et quand elle l’est, elle provient uniquement des États-Unis, de Grande Bretagne ou de l’OTAN et bien sûr d’Ukraine. Nous n’avons aucun contrepoids ou contre mesure. Tout est propagande. Mieux on mobilise la psychologie de café du commerce pour se mettre, au choix, « dans la tête de Poutine », ou globalement dans la peau de la Russie. Heureusement pour la presse ce n’est pas grave puisqu’il y a longtemps qu’elle a perdu son honneur. Il suffit de rappeler l’horrible séquence des Armes de Destruction Massive de Saddam Hussein, un bobard sciemment forgé à Washington. Autant que possible, lors des guerres précédentes de l’Otan, la presse tentait mollement d’avoir un ennoyé spécial du côté de « l’ennemi » … C’est fini. Qui rapporterai un crime commis contre les Russes serait professionnellement liquidé comme un « complice de Poutine ». Je n’ai jamais vu une telle haine, unanime.

Sommes-nous à la veille d’un nouvel ordre mondial qui se fera dans la douleur ?

Oui il se met chaque jour en place. La Russie fait géographiquement partie de l’Europe, et culturellement aussi, Voltaire et Diderot se refugiaient à St Pétersbourg. En 1990, lors de la fin de l’URSS, la logique voulait que la Russie renoue avec ce passé et forme un bloc. Cette perspective a effrayé les intérêts américains qui veulent garder « leur » Europe des 27 comme cette colonie spécialement fondée pour eux par Jean Monet, agent de la CIA, et Schumann, ministre de Pétain. Autre but parallèle, si possible détruire les capacités économiques et militaires de la Russie.

Poutine était en quelque sorte « contraint » de se protéger à l’ouest des avancées de l’OTAN… Et dès lors de se retourner vers l’Asie et l’Afrique. Le nouvel ordre mondial est en marche, sous nos yeux. Et il est positif pour l’Afrique du Nord et tout le continent.

Quel est le rôle des USA dans l’exacerbation de la crise en Ukraine et quelles seront les conséquences de cette guerre sur l’Europe ?

Son rôle est essentiel, moteur, puisque les USA se sont discrètement installés en Ukraine juste après la fin d’Hitler. A partir de 1990 ils ont agi à visage découvert jusqu’au coup d’état de Maïdan, provoqué par Washington. C’est lui qui marque l’arrivée de la Maison Blanche au pouvoir en Ukraine, aidée par le Royaume-Uni dont le rôle de supplétif est primordial.

Les conséquences pour l’Europe ? C’est la ruine, la division, peut-être l’éclatement avec une Allemagne qui rompt les amarres de la « solidarité » et se lance dans la construction d’une armée toute neuve et surpuissante. Berlin peut se vivre enfin, sans entraves, en pion américain et israélien, ce qui est dans ses gènes depuis 1950. Pour l’Europe vont rester le chômage, une augmentation folle des prix et une extrême paupérisation.

Assistons-nous à un déplacement de centre de décision mondial sur fond de résistance de l’Occident en général et les USA en particulier ?

La trajectoire des USA est descendante. Ce pays a perdu toutes ses guerres après avoir détruit des pays comme le Vietnam, le Cambodge, l’Irak, la Libye, la Syrie et l’Afghanistan. Il ne peut aller plus loin et l’Ukraine est sa dernière carte en dépit des désirs du lobby militaro-industriel qui, de fait, dirige le pays. Après, si la folie continue de présider, il faudra s’attaquer à la Chine, peut être à l’Inde, et alors l’Amérique reviendra au temps des cowboys. D’autant que la situation intérieure du pays ne tient que grâce à la planche à imprimer des dollars. Indubitablement Washington va devoir descendre de la première marche du podium des maîtres du monde.

Comment expliquez-vous l’attitude de l’Europe à l’égard de l’Ukraine alors quand il s’agit de la Palestine elle fait dans l’indifférence tous azimuts ?

Nous venons d’avoir une terrible suite d’assassinats de Palestiniens. Israël réduit chaque jour ses règles qui n’ont rien à voir avec le droit. Tout cela ne fait pas une ligne dans les journaux occidentaux. Après l’attentat du 11 septembre, les USA et Tel Aviv ont réussi à faire croire au monde que les Palestiniens étaient tous des « terroristes islamiques ». Dès lors ils ont cessé d’apparaitre dans la presse otanesque. Israël occupe une terre, la Palestine, puis Jérusalem et le Golan… Pas de protestations. L’Otan décide de retirer le Kosovo à la Serbie, son cœur historique, et bombarde cette nation d’Europe… Tout va bien. En 1991 à Bagdad, les Américains pulvérisent 400 femmes et enfants dans l’abri d’Al-Amiriya. Cela n’est pas un crime de guerre et cette honte n’est jamais mentionnée. Seule la mise en place d’un nouvel ordre mondial peut placer Israël en situation de fragilité et l’obliger à changer sa politique criminelle. Par ailleurs il faut noter le rôle joué par l’Algérie dans la réconciliation des factions palestiniennes alors que, sur le terrain, de nouvelles entités combattantes voient le jour, non directement liées à l’OLP, avec pour but l’instauration d’une véritable guérilla contre l’état d’occupation.

Pensez-vous que le monde unipolaire est devenu obsolète ?

Oui, ce monde se conjugue au passé. A l’intérieur même de l’Europe de nouveaux pôles vont apparaitre. Antonio Gramsci l’avait annoncé, mais cette fois le « vieux monde » est mort.

Quel rôle pourrait jouer l’Algérie au niveau international à l’aune de la crise gazière inédite qui affecte l’Europe ?

L’Algérie avec la montée des coûts de l’énergie fossile, qui n’est pas à la veille d’être concurrencée par la « renouvelable », devrait puiser plus de richesse de ce chaos. Un moment stratégique afin d’investir ces revenus de façon égalitaire et visionnaire. Ce qui n’est pas facile. Il faut en même temps préparer la fin du gaz et du pétrole, même si cela survient dans un siècle. Cette richesse du sous-sol, et une position de « non alignée », doit permettre à l’Algérie d’être un lieu d’échange entre de nouveaux alliés. La Russie, la Turquie, l’Inde et même les Émirats vont désormais compter ici. Ce qui repousse les rêves américains -et français- dans les limbes. Un indicateur de l’incompréhensible politique française : quand Emmanuel Macron, en visite d’État à Alger, montre que son interlocuteur est plus Kamel Daoud qu’Abdelmadjid Tebboune, c’est que la partie est mal engagée.

 

Source: L’Expression

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