Jaime Caceido sur la Colombie: “Le régime ne peut plus être classé comme démocratique. Il a pris le chemin de la tyrannie”

Les protestations se maintiennent en Colombie après une semaine de mobilisation. La vague répressive des forces publiques contre les manifestants s’est poursuivie ce lundi soir notamment à l’ouest de la Colombie, dans le département de Valle del Cauca et sa capitale Cali, provoquant à nouveau des morts et des blessés dans la population. Le peuple exige tout d’abord l’abandon des diverses réformes législatives défavorables à la classe moyenne et aux milieux populaires. Les jeunes Colombiens, désespérés par un avenir incertain, descendent dans la rue pour réclamer des améliorations en matière de santé, d’éducation, des possibilités de travail décent et aussi pour une vie digne.

La réponse du gouvernement a été la militarisation du pays, laissant comme conséquence une vague de sang, de blessés, de détenus, de torturés, de disparus, de femmes violées par les forces de sécurité qui tirent et assassinent sans discernement. Le peuple colombien lance un S.O.S. au monde pour dénoncer le gouvernement tyrannique de Duque guidé par Uribe. La lutte continue, la grève et la protestation continuent, malgré le fait que nous sommes pratiquement confrontés à un coup d’État puisque l’armée a pris le contrôle de la situation en déplaçant certains gouverneurs et maires.

Nous avons réalisé un entretien par voie téléphonique avec Jaime Caicedo, secrétaire général du Parti communiste colombien PCC, au 7ème jour des mobilisations et protestations en Colombie. 

– Nous voudrions d’abord connaître l’analyse du Parti communiste colombien sur la situation qui prévaut en Colombie depuis sept jours.

– La situation est très critique. La nuit dernière, il y a eu une véritable occupation militaire de la ville de Cali, qui a été très active dans la protestation sociale, en particulier la jeunesse. Il y a eu de nouveaux épisodes de meurtres dans la ville. Nous sommes face à une situation vraiment insoutenable car ce plan d’occupation militaire des villes conçu par M. Duque avec le soutien de l’armée entraîne des dizaines de morts et de blessés. Il s’agit d’une situation de terreur et d’intimidation de la population civile, qui viole non seulement les libertés et les droits de l’homme mais aussi le droit humanitaire international. Nous pensons qu’une grande solidarité est nécessaire en termes de messages clairs et de définitions exigeant que le gouvernement colombien prenne des mesures pour surmonter et supprimer cette attaque de l’État contre les citoyens sans défense. Je crois qu’ici nous n’avons pas affaire à une rébellion armée, c’est le peuple non armé, ce sont les jeunes, ce sont les travailleurs qui sont soumis à un véritable massacre, à une boucherie absolument inédite. Cela n’a pas été vu depuis des époques de dictature militaire. Dans ces circonstances, nous appelons à l’action, à la mobilisation et à la résistance populaire dans le pays pour que les libertés puissent prévaloir. Les droits constitutionnels sont violés par le pouvoir exécutif et, par conséquent, la plus grande responsabilité incombe au président Duque qui a donné les ordres pour ce massacre.

– Le ministre des Finances Alberto Carrasquilla et son vice-ministre ont démissionné. En quoi cela change-t-il les perspectives quant à la possibilité de trouver une solution à cette rébellion populaire ?

– La démission de Carrasquilla et de son vice-ministre était absolument indispensable et nécessaire. Le gouvernement l’a fait pour donner l’impression qu’il y aura une nouvelle politique économique et, surtout, fiscale. Cependant, ils ont déjà nommé un universitaire comme nouveau ministre des finances pour adopter le paquet économique qui était déjà en place avec la réforme fiscale. Il prévoit également une réforme de la santé qui signifie encore plus de privatisation des soins. Nous savons que la Banque mondiale fait pression en faveur de ce paquet économique de taxes. Il faut comprendre que le gouvernement colombien obéit aux définitions de la Banque mondiale et de l’OCDE, qui sont intéressées par ces politiques d’extorsion du peuple colombien. La finalité est de payer la dette extérieure qui a augmenté avec la crise économique du pays et avec la pandémie dont la situation en Colombie est vraiment critique. C’est pourquoi la démission du ministre n’est qu’une chose très limitée par rapport à ce que le gouvernement prévoit. Il tente de parvenir à un accord avec certains partis de droite et essaie de les persuader par l’achat des consciences pour qu’il y ait tout de même une semi-réforme fiscale. Cette situation est naturellement remise en question par le mouvement social qui se développe dans le pays et qui génère toute une vague de résistance à la militarisation et aux actions violentes des forces de l’État. En ce moment, l’agression de l’État par l’armée et la police contre la population civile désarmée qui proteste est le problème principal. Le peuple qui s’oppose aux mesures économiques lutte également contre un régime qui est totalement illégitime et qui a pratiquement pris le chemin de la tyrannie.

– Combien de temps le peuple pourra continuer à résister, surtout s’il est massacré et qu’il se mobilise plutôt dans l’ouest de la Colombie ?

– En ce moment, la situation est d’une telle nature et d’un tel désespoir que les jeunes des secteurs populaires qui ont été à l’avant-garde de la résistance sont prêts à se faire tuer dans une confrontation totalement asymétrique et inégale. Les forces publiques tirent à balles réelles. Nous avons vu les vidéos qui montrent les piles de douilles de fusil qui sont tirées dans la ville de Cali contre la population désarmée. C’est du jamais vu, on ne l’a vu que dans les pires dictatures militaires. Le système politique colombien est un système génocidaire, il ne peut plus être classé comme une démocratie. Nous voulons que les citoyens européens comprennent que la démocratie n’existe pas ici et qu’aucune démocratie ne peut se maintenir sur la base d’un génocide contre les forces de gauche, comme ils l’ont fait avec l’Union Patriotique, comme ils le font aujourd’hui avec les leaders sociaux et avec les ex-combattants qui ont signé l’accord de paix. En outre, un gouvernant ne peut pas imposer par la force un modèle économique d’extorsion et de misère pour l’immense masse de la population colombienne quand bon lui semble. Je crois que cela explique pourquoi des jeunes sans aucun avenir se font tuer en affrontant ce gouvernement. Et donc nous avançons l’idée qu’en ce moment nous ne devrions même pas demander la démission de Duque. Nous devons tout faire pour le faire sortir du gouvernement et créer les conditions d’un changement démocratique maintenant ou dans la perspective électorale de 2022, mais ceci est absolument insoutenable dans n’importe quelle société.

– Finalement, quel est le message que vous envoyez aux Colombiens, aux organisations politiques et sociales colombiennes et aussi à la communauté européenne, à la communauté internationale et aux organisations sociales européennes ?

– L’appel pour nos amis européens, les organisations sociales, le mouvement syndical, les partis et courants de la gauche européenne, est de continuer à ouvrir le débat et la discussion. Je crois que les débats qui ont eu lieu au Parlement européen, où plusieurs amis de la Colombie se sont exprimés avec un contenu clair et critique ont été utiles, malgré le fait que la droite européenne ait réussi à freiner des positions beaucoup plus critiques. Dans cette nouvelle situation qui a surgi en Colombie depuis le 28 avril et les premiers jours de mai, il faut que ce type de dénonciations, de critiques et de débats puisse déboucher sur une demande directe d’arrêt immédiat de l’action militaire et de la militarisation des villes colombiennes dans les conditions actuelles. Parce que cette militarisation n’apporte pas l’ordre mais la mort et la destruction, la panique, les blessés et les arrestations dans les villes colombiennes, en particulier parmi les jeunes et les personnes les plus vulnérables. Concernant la communauté colombienne qui se trouve en Europe, nous voulons l’appeler à continuer à promouvoir la solidarité, l’accompagnement, la dénonciation et les sit-in devant les ambassades, les lieux publics et où cela est possible. Nous devons démontrer qu’il existe un sentiment de patrie, de défense de la vie et, donc, que les Colombiens jouent ce rôle pour un changement démocratique et pour la consolidation de la vie et de la paix dans notre pays.

 

Source: Nouvelles Génération Chili-Suisse

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