Infox au moyen d’un “expert de la Chine” douteux

Qui est Adrian Zenz, ce journaliste présenté comme étant le plus grand spécialiste de la situation des musulmans en Chine ? Portrait.

 

Ces derniers jours, Adrian Zenz a été l’une des sources les plus citées dans les médias allemands. A commencer par le Tagesschau (l’émission d’information de la 1e chaine de télé allemande), le SPIEGEL, le Süddeutsche Zeitung, le ZEIT et les stations de propagande américaines comme Radio Free AsiaZenz est pour eux un partenaire d’interview et une source de citations très apprécié. Le FAZ (Frankfurter Allgemeine Zeitung), dans l’un des rares articles un peu plus équilibrés sur le sujet, l’appelle “L’homme au million” (derrière un paywall) – le nombre de plus d’un million d’Ouïghours qui seraient internés dans des camps de rééducation chinois. Ce chiffre vient de Zenz, et il est une perche tendue qu’on saisit souvent et volontiers dans la campagne actuelle contre la Chine. Le profil (le contexte) d’Adrian Zenz est passé sous silence. C’est compréhensible, car l'”expert” vient d’un milieu très douteux de guerriers de la guerre froide, de la communauté américaine des think tanks et des services secrets. Cela fait douter du sérieux de ses déclarations.  

 

Qui est Adrian Zenz ? Le Tagesschau reste très discret lorsqu’il s’agit de présenter son “expert de la Chine” : Zenz “est considéré dans le monde entier comme un expert reconnu de la situation des musulmans en Chine. Zenz vit et travaille aux Etats-Unis d’Amérique”. Quelqu’un de sérieux, donc. Mais où exactement cet “expert de renommée mondiale” a-t-il travaillé ? Selon la base de données scientifiques ORCID, Zenz travaille à la European School of Culture and Theology (Ecole européenne de culture et de théologie) de Korntal, au Bade-Wurtemberg. Très peu de gens ont probablement entendu parler de cette école et on le comprend. L’ESCT appartient à l’Akademie für Weltmission, une institution d’enseignement évangélique plutôt marginale, étroitement liée à lArbeitsgemeinschaft Evangelikaler Missionen, également établie à Korntal, à laquelle appartient aussi la communauté évangélique “ Communauté des missions chinoises“. Dans ses déclarations au FAZZenz se dit “profondément religieux” et parle d’une “vocation” ainsi que de Dieu qui l’a conduit sur un “chemin tout tracé“. 

 

Selon sa propre entrée à “Academia”, Zenz travaille également à la Columbia International University , où il supervise des doctorants à l’ESCT de Korntal. Des doctorants d’une école privée évangélique de l’Université de Columbia ? Oui, parce qu’il ne faut pas confondre la Columbia International University avec la célèbre Columbia University de New York ; il s’agit en l’occurrence d’une école biblique évangélique douteuse sise à Columbia, en Caroline du Sud. Ses “doctorats”, que l’on peut obtenir en ligne, sont plus à considérer comme des bizarreries que comme le signe d’une quelconque « renommée scientifique » » D’ailleurs, Zenz a confiê au FAZ qu’il ne gagne pas son argent en tant que scientifique, mais en tant que “pigiste dans l’industrie informatique”. Ses études concernant la Chine sont donc plutôt un passe-temps qu’il poursuit dans ses temps libres. Ce contexte scientifique n’est pas particulièrement prestigieux. Tout cela fait penser plutôt à un dilettante scientifique guidé par la religion. 

 

La réputation supposée de Zenz vient d’une toute autre source. Adrian Zenz est également Senior Fellow pour les études sur la Chine au sein d’un groupe de réflexion douteux appelé la Victims of Communism Memorial Foundation. Dans cette fonction, grâce à ses déclarations extrêmes sur la politique chinoise, il est devenu membre d’un cartel de citation formé par des think tanks transatlantiques de droite. Pour le Tagesschau, cela suffit évidemment pour qu’il soit considéré comme un “expert de renommée mondiale”. 

 

Qu’est-ce que cette VOC (Fondation commémorative pour les Victimes du Communisme”) ? C’est un groupe de réflexion qui s’est donné pour mission de libérer le “monde libre” des “faux espoirs du communisme”. Il provient des groupes anticommunistes autour du Comité de McCarthy contre les activités anti-américaines et des groupes réactionnaires basés sur eux, qui ont été installés autour des services secrets à l’époque de la guerre froide. VOC a été fondée en 1993 par les  du froid combattants de la guerre froide Lev Dobriansky, Lee EwardsGrover Norquist et Zbignew Brzezinski. L’actuel président Lee Edwards était membre du Comité pour une Chine libre de Chiang Kai-shek et fondateur de la section américaine de la Ligue anticommuniste mondiale, une organisation internationale d’extrême droite – également initiée par Chiang Kai-shek – qui comprenait des personnalités “illustres” comme Otto Skorzeny (Waffen-SS, organisation des anciens membres SS), Ante Pavelić (Ustasha de Croatie) et plusieurs chefs des escadrons latinoaméricains de la mort. 

 

Le conseiller du VOC est John K. Singlaub, 98 ans, un ancien général de division de l’armée américaine qui a été l’un des fondateurs de la CIA et a dirigé les opérations de la CIA pendant la guerre civile chinoise. En 1977, Singlaub a dû démissionner après avoir critiqué publiquement le retrait annoncé par le président Carter des troupes américaines de Corée du Sud. Il a ensuite fondé la “Western Goals Foundation” avec des personnes aux vues similaires, un service secret privé qui a organisé la livraison d’armes aux Contras d’extrême droite au Nicaragua pendant l’affaire Iran-Contra. La “Western Goals Foundation” a été décrite par un ancien membre comme un ramassis de nazis, de fascistes, d’antisémites, d’ignobles  racistes et d’égoïstes corrompus”. M. Singlaub a également été président de la Ligue anticommuniste mondiale et de sa filiale américaine, le United States Council for World Freedom. Le United States Council for World Freedom a été fondé avec le soutien financier du gouvernement réactionnaire de Taiwan – Lev Dobriansky, co-fondateur du VOC, était également à bord. 

 

On ignore qui finance le VOC aujourd’hui. Le think tank de droite prospère grâce à des dons anonymes d’un million de dollars et apparaît avant tout comme un fournisseur de mots-clés pour les think tanks proches du complexe militaro-industriel lorsqu’ils ont besoin de munitions contre les gouvernements de gauche en Amérique du Sud ou contre la Chine. Peut-on attendre de ces milieux une analyse sérieuse et objective de la politique chinoise ? 

 

Selon Adrian Zenz, il n’a visité la province du Xinjiang qu’une seule fois – en 2007 en tant que touriste. Pour ses études, il a fait des recherches sur des sources Internet librement accessibles, telles que des appels d’offres et des offres d’emploi du gouvernement chinois dans la province du Xinjiang, et sur cette base, il a estimé le nombre de détenus dans les camps de rééducation chinois. Contrairement au quotidien FAZ, il qualifie lui-même ces estimations de “spéculatives”. 

 

Toutes ces informations générales ne signifient pas, bien sûr, qu’il n’y ait pas de camps de rééducation dans la province du Xinjiang. Cependant, le nombre d“un million de détenus” passés par nos médias via l'”expert” Zenz est plus que discutable. Ecomment un chercheur Internet comme Zenz, qui n’a plus visité la région depuis 12 ans, peut faire des déclarations fiables sur les détails, cela reste un mystère. 

 

Bien sûr, les médias ont le droit de couvrir l’oppression des Ouïghours dans la province du Xinjiang de manière critique. On peut toutefois se demander ss’appuyer sur des “experts” aussi douteux sert leur crédibilité. Le silence sur l’arrière-plan de l'”expert” Zenz est tout à fait inacceptable. Parce que si les téléspectateurs et les lecteurs ne connaissent pas ce contexte, ils ne peuvent pas se faire leur propre idée sur le sérieux des déclarations et des informations. Mais on ne voulait probablement pas qu’ils le fassent. C’est comme ça que la propagande fonctionne. 

 

 Source : Nachdenkseite

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