Il y a dix ans, WikiLeaks et Assange publiaient les «fichiers de Guantánamo»

Il y a dix ans, WikiLeaks publiait une tranche de 779 fichiers secrets provenant de la prison militaire de Guantánamo Bay. Ceux-ci révélaient plus en détail que jamais le réseau mondial de détention illégale associé à la frauduleuse «guerre contre le terrorisme».


 

De l’aveu même d’agents de l’État américain, les fichiers démontrent que les autorités américaines emprisonnaient des centaines de personnes originaires d’Asie centrale, du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’ailleurs, dont ils savaient qu’elles n’étaient pas coupables de délits terroristes ni d’aucun autre crime.

Les prisonniers étaient bien plutôt victimes d’une nouvelle frontière de l’illégalité. Là, les gens étaient détenus en groupe, vendus souvent à la CIA par les autorités locales, détenus secrètement dans des prisons «sites noirs». Ils étaient transportés à l’autre bout du monde pour être détenus indéfiniment dans la prison de Guantánamo Bay, qui, en 2011, était déjà devenu synonyme de torture d’État.

Les fichiers ne sont pas seulement importants en raison de leur contenu.

Ce sont les dernières de quatre communications majeures pour lesquelles le gouvernement américain a inculpé le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, en vertu de la loi sur l’espionnage. C’est la première fois que cette législation draconienne est utilisée contre un rédacteur en chef. Selon les procureurs américains qui demandent l’extradition d’Assange, le «crime» consistait à démasquer le régime de détention illégale de leur gouvernement. Cela devait être puni d’une peine qui peut aller jusqu’à 40 ans de prison, dans un établissement ‘Supermax’ dont les conditions ressemblaient à celles de Guantánamo même.

La publication des fichiers de Guantánamo par WikiLeaks fait suite à celle des journaux de guerre de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Ces derniers ont révélé des milliers d’exécutions illégales et de violations du droit international.Wikileaks a également publié quelque 250.000 câbles diplomatiques américains, qui ont révélé des coups d’État, des opérations de surveillance illégales et d’autres violations des droits de l’homme.

Chelsea Manning, la courageuse lanceuse d’alerte de l’armée américaine, a fourni ces fichiers à WikiLeaks. Elle fut emprisonnée pendant près de sept ans dans des conditions jugées comme étant de la torture par les Nations unies, sous Obama, avant d’être détenue de nouveau par le gouvernement Trump dans une tentative ratée de la contraindre à faire un faux témoignage contre Assange.

Le gouvernement Obama, où Joe Biden était vice président, s’est montré aussi hostile à la publication des «Guantánamo Files» qu’aux précédentes publications de WikiLeaks. Elle a publié un communiqué repris par son quasi organe le New York Times et a déclaré que les documents avaient été «obtenus illégalement» et restaient «classifiés». Le gouvernement a pris la mesure orwellienne d’informer les avocats des détenus de Guantánamo Bay qu’il leur était interdit de relire les fichiers, même après leur publication sur Internet.

Dans le cadre de sa campagne électorale de 2008, Barack Obama s’était engagé à fermer Guantánamo, conformément à une posture plus large d’opposition à certains des actes les plus manifestement illégaux du gouvernement Bush. Trois ans plus tard, on utilisait toujours Guantánamo, comme aujourd’hui ; Obama intensifia fortement la guerre illégale des États-Unis contre l’Afghanistan et ouvrit de nouveaux fronts par lesquels l’impérialisme américain tentait de dominer le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, notamment en Syrie et en Libye.

Un communiqué de WikiLeaks, annonçant la publication des fichiers, déclarait qu’ils prouvaient que «l’ensemble de l’édifice construit par le gouvernement [américain] est fondamentalement dangereux et ce que les fichiers de Guantánamo révèlent, principalement, c’est que seules quelques dizaines de prisonniers sont véritablement accusés d’être impliqués dans le terrorisme. Le reste, révèlent ces documents après un examen approfondi, était soit des hommes et des garçons innocents, capturés par erreur, soit des fantassins talibans, sans lien avec le terrorisme».

Pris dans leur ensemble, les fichiers fournissaient «l’anatomie d’un crime colossal perpétré par le gouvernement américain sur 779 prisonniers. Ces derniers, pour la plupart, ne sont pas et n’ont jamais été les terroristes que le gouvernement voudrait nous faire croire qu’ils sont».

Les documents comprennent des entretiens, des évaluations et des rapports de renseignement sur les prisonniers, préparés par la Joint Task Force Guantánamo du Pentagone entre 2002 et 2009.

Les dossiers du plus jeune et du plus ancien des détenus constituent peut-être la démonstration la plus flagrante de l’illégalité dont il s’agit.

Naqib Ullah, un villageois afghan de 14 ans, avait été placé en détention par les États-Unis au motif qu’il connaissait peut-être un commandant taliban local.

En 2002, une évaluation de Mohammed Sadiq, un Afghan de 89 ans, notait sans détour que ses «problèmes médicaux actuels comprennent un trouble dépressif majeur, une démence sénile et de l’arthrose, pour lesquels il reçoit un traitement prescrit», ainsi qu’un cancer de la prostate. Sadiq a été emprisonné parce que des «documents suspects» qui ne lui appartenaient pas ont été trouvés lors d’une descente à son domicile.

Leurs cas étaient loin d’être uniques. Les fichiers montrent que durant la période qu’ils couvraient les autorités américaines estimaient comme innocents de tout crime au moins 150 prisonniers sur 800. La plupart des autres étaient considérés comme des fantassins de bas niveau, une évaluation souvent fondée sur des preuves peu convaincantes d’association non documentée avec les forces talibanes ou d’Al-Qaïda.

Quelque 204 des 223 détenus afghans ont finalement été rapatriés, ce qui constitue un aveu tacite de leur innocence, de même que 121 des 135 ressortissants saoudiens et la plupart des prisonniers yéménites. Nombre d’entre eux avaient auparavant été considérés comme «à haut risque» par leurs geôliers américains.

Un article du WSWS a documenté ces révélations en 2011. Il soulignait plusieurs exemples qui révélaient la criminalité délibérée des rafles. Dans un cas, on a envoyé un Pakistanais à Guantánamo qui s’était attiré les foudres des autorités de son pays pour avoir révélé leurs liens avec les forces extrémistes islamiques. Un détenu libyen était décrit comme ayant été capturé en Espagne et au Pakistan en même temps, sans que l’on tente de réconcilier cette contradiction.

Sami al-Hajj, cameraman d’Al Jazeera, a été arrêté au Pakistan et détenu à Guantánamo pendant six ans. Selon les fichiers, le but de son emprisonnement était de le forcer à «fournir des informations sur… le programme de formation, les équipements de télécommunications et les opérations de collecte d’informations de la chaîne d’information Al Jazeera en Tchétchénie, au Kosovo et en Afghanistan, y compris l’acquisition par la chaîne d’une vidéo d’UBL [Oussama ben Laden] et une interview ultérieure d’UBL».

Une image similaire se dégage de nombreux fichiers. Les détenus étaient arrêtés, souvent vendus aux États-Unis contre argent, puis détenus indéfiniment dans le but de les transformer en informateurs américains. Pour justifier la poursuite de l’emprisonnement massif, les geôliers américains ont cultivé une poignée de sources à Guantánamo, qui ont fourni des «preuves» contre des centaines d’autres détenus.

Les documents démontraient que les victimes comprenaient des citoyens de nations alliées des États-Unis, y compris des ressortissants britanniques. Les États-Unis savaient que de nombreux prisonniers avaient été torturés en cours de route, notamment dans les «sites noirs» de la CIA et dans les prisons des partenaires de l’Amérique dans la «guerre contre le terrorisme».

Près de 100 prisonniers ont été répertoriés comme souffrant de troubles psychiatriques majeurs résultant de leur traitement brutal.

Les publications de WikiLeaks ont galvanisé l’hostilité populaire aux guerres néocoloniales au Moyen-Orient et en Asie centrale et aux attaques contre les droits démocratiques qui les accompagnent. Elles ont exposé non seulement la criminalité du gouvernement de George W. Bush, mais aussi celui d’Obama et Biden, ainsi que d’une foule d’alliés des États-Unis, de la Grande-Bretagne à l’Australie.

Les médias américains ont tenté d’en étouffer l’impact en se concentrant sur les déclarations non corroborées des prisonniers contenus dans les dossiers, qui ont raconté des fables sur la portée et les ambitions mondiales d’Al-Qaïda, certains sous la torture. En 2011, le New York Times, qui s’était auparavant associé à WikiLeaks, s’est résolument retourné contre l’organisation, se joignant à la campagne menée contre Wikileaks et Assange, son rédacteur en chef de l’époque, par les services de renseignement.

Dix ans plus tard, les dossiers n’ont rien perdu de leur importance. Alors que les guerres menées par les États-Unis se poursuivent, que Guantánamo reste ouvert, Washington se prépare à une calamité encore plus grande que celle qui s’est produite au cours des vingt dernières années, en affrontant agressivement la Chine et la Russie. L’assaut brutal contre les droits démocratiques auquel Guantánamo est associé s’étend, car les gouvernements du monde entier répondent à une opposition sociale croissante en se tournant vers des formes autoritaires de gouvernement.

Cet anniversaire souligne la nécessité pour les travailleurs et les jeunes du monde entier de lutter pour la liberté immédiate d’Assange et contre son extradition vers les États-Unis.

(Article paru d’abord en anglais le 1er mai 2021)

 

Source: WSWS

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