Guatemala-Israël : d’« excellentes relations »

Il est rare que l’on parle du Guatemala au JT. Ce fut le cas après que, ce 24 décembre, le président guatémaltèque, Jimmy Morales, ait annoncé, dans le sillage de Donald Trump le 6 décembre, que son pays allait également transférer son ambassade en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem.

 

Très logiquement, Benyamin Netanyahu s’est aussitôt félicité de cette décision. D’autant plus que, trois jours plus tôt, 128 Etats-membres des Nations-Unies sur 193 – dont la totalité de ceux du Conseil de sécurité, Etats-Unis exceptés – avaient condamné la décision américaine de reconnaître le Grand-Jérusalem comme capitale d’Israël.

Dans le même temps, le 1er ministre israélien annonçait que d’autres chancelleries allaient bientôt suivre l’exemple du petit Etat centre-américain, la radio israélienne mentionnant le Honduras, les Philippines, la Roumanie, voire le Sud- Soudan… Quant au ministère des Affaires étrangères israélien, il déclarait se réjouir d’une « merveilleuse nouvelle » et d’une « véritable amitié ». En effet.

 

« Historiquement pro-Israël »

 

J. Morales a rappelé « les excellente relations » qui lient son pays à Israël, auquel, a-t-il dit, son pays a été « historiquement » favorable. Nous savons en effet que le Guatemala avait été l’un des premiers parmi les premiers pays latino-américain à reconnaître, en 1948, le jeune Etat, puis, en 1956, à ouvrir une ambassade à Jérusalem[1]. Celle-ci était dirigée par Jorge Garcia-Granados.

Homme politique libéral, opposé à la dictature militaire du général Jorge Ubico Castañeda (1931-1944), Garcia-Granados avait représenté en 1947 son pays aux Nations-Unies. Désigné comme membre de l’UNSCOP, la Commission spéciale des NU de 11 membres à l’origine du plan de partition de la Palestine, Garcia-Granados ne faisait pas mystère de ses sympathies sionistes, lui qui avait tenu à rencontrer Menahem Begin, leader de l’extrême-droite sioniste dite révisionniste, alors dans la clandestinité[2].

Le diplomate avait formé un véritable « lobby » latino-américain en faveur d’Israël[3]. C’est lui qui, avec l’aide du Brésilien Oswaldo Aranha, président de l’Assemblée générale également très favorable au projet sioniste, avait pu obtenir que le vote du Plan de Partage, prévu pour le 27 novembre, soit reporté au surlendemain. 48 heures qui permirent d’emporter une majorité jusque-là inexistante en faveur du plan onusien. Le 29 novembre 1947, le plan fut adopté à l’Assemblée générale – dont on peut rappeler que les décisions ne sont pas contraignantes – par 33 voix contre 13 et 10 abstentions.

Alain Gresh et Dominique Vidal[4] nous ont rappelé combien ce basculement avait résulté de pressions et d’achats de voix en tous genres. Des méthodes « confinant au scandale », devait écrire dans son journal le Secrétaire à la Défense américain James Forrestal. En particulier à l’égard des petits Etats indépendants de l’époque et de ceux de « l’arrière-cour » étasunienne d’Amérique latine. Un des exemples les plus saisissant en fut les pressions exercées par le géant britannique du pneu Firestone sur les autorités libériennes, menaçant celles-ci de mettre fin à l’achat de leur caoutchouc…

Ce 21 décembre, le Guatemala figurait encore, avec son voisin hondurien, parmi les sept pays – dont on appréciera le poids géopolitique[5] – qui se sont rangés aux côtés des Etats-Unis et d’Israël pour défendre la décision de Donald Trump sur Jérusalem. The Guardian (25.12.17) rappelle que ces deux Etats centre-américains sont dépendants des financements étasuniens, e. a. dans leurs luttes contre les gangs, les maras.

Les armes sont en effet bien présentes dans les « excellentes relations » israélo-guatémaltèques. Le Guatemala a été un important acheteur d’armes israéliennes.

 

Pétrole contre dictature

 

C’est à partir de la guerre israélo-égypto-syrienne dite du Kippour (octobre 1973) et de son embargo pétrolier que l’Amérique latine semble être redevenue un objectif diplomatique pour Israël, après que, durant la décennie précédente, le tiers-mondiste Groupe des 77 ait quelque peu écorné l’image d’Israël dans le sous-continent.

La révolution khomeyniste de 1979 priva de plus Israël des importantes fournitures pétrolières que lui octroyait le Chah. Du coup, le Venezuela, le Mexique, le Brésil et l’Équateur retrouvaient un intérêt majeur[6]. Et les firmes privées de sécurité israéliennes allaient trouver en Amérique latine des débouchés inespérés.

The Times of Israël (13.9.17) écrit qu’au cours des années 1970, « tous les pays d’Amérique centrale – sauf Cuba et le Nicaragua, mais d’autres aussi en Amérique latine – ont acheté des armes en provenance d’Israël […] l’Amérique latine avait besoin d’armes israéliennes et Israël avait besoin du pétrole de l’Amérique latine ». Ainsi, « Israël a rempli le vide temporairement laissé par l’Amérique [de Jimmy Carter, 1977-1981] en devenant un important fournisseur d’armes pour la plupart des pays d’Amérique latine comme l’Argentine, l’Équateur, le Guatemala et le Honduras.

En 1980, par exemple, Israël aurait fourni 80% du matériel militaire salvadorien ». The Times of Israël ne s’attarde cependant pas sur la situation politique que connaissaient ces pays. A savoir des dictatures militaires[7] et, pour ce qui est de l’Argentine, du Guatemala et du Salvador, des « sales guerres » dont les atrocités ont défrayé la chronique : en Argentine, après le régime militaire du général Ongania (1966-1973), le dit Processus de réorganisation nationale aurait fait, de 1976 à 1983, 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques, 1,5 million d’exilés et près de 30 000 desaparecidos (« disparus »), dont près de 500 bébés ont été confiés à des partisans du régime.

A l’époque, une éminente personnalité de la communauté juive argentine, l’écrivain Jacobo Timmerman, avait dénoncé avec virulence l’appui des autorités israéliennes à une junte dont bien des membres et partisans ne cachaient pas leur antisémitisme. De 1980 à 1992, le Salvador fut le théâtre d’un conflit qui a fait plus de 100 000 morts et dont les exactions ont été imputées, selon la Commission de Vérité patronnée par les Nations-Unies à 85 % aux militaires et aux « escadrons de la mort » pro-gouvernementaux.

Au Guatemala, en l’occurrence, la guerre sociale[8] fera 200.000 morts et 45.000 disparus et se muera en une guerre d’extermination ethnique qui s’exacerbera sous les dictatures des généraux Efraïn Rios Montt (mars 1982-août 1983), inculpé pour « génocide », et Oscar Humberto Mejias Victores (1983-1986) : selon la Commission pour la vérité historique des NU, 83% des personnes assassinées étaient des Mayas et 93% de ces crimes sont imputables aux forces gouvernementales et paramilitaires[9].

Dans un rapport publié par le Centre d’Etudes Stratégiques de l’Université de Tel-Aviv[10], il est admis que les ventes nationales d’armes et d’équipements de défense à travers le monde représentent environ un milliard de dollars US par an. C. à d. 20% des exportations israéliennes.

Parmi les principaux clients pour la période 1977-1982, précise The Times of Israël, l’on trouvait le Salvador, le Honduras et le Nicaragua du dictateur Anastasio Somoza, en lutte contre les sandinistes jusqu’à son renversement en 1979. Comme l’a révélé le scandale de l’Irangate, l’aide israélienne fut ensuite transférée à la guérilla antisandiniste, la Contra, qui fera quelque 29.000 morts.

 

Jimmy et Bibi

 

A en croire Jimmy Morales, au demeurant de confession évangélique, ce sont les « conceptions chrétiennes » des Guatémaltèques qui imposeraient l’alliance avec Israël. L’on pourra certes voir dans la décision du président du Guatemala un nouvel effet de ce « sionisme chrétien » qui anime par ailleurs la base électorale de Donald Trump[11].

Mais l’on peut aussi se demander si, tout comme le président des Etats-Unis envers Benyamin Netanyahu, que les Israéliens appellent souvent Bibi, le geste de J.Morales n’a pas aussi comme objectif de détourner l’attention d’une opinion, israélienne comme guatémaltèque, focalisée sur les « affaires ».

Président du Front de convergence nationale (FCN), un parti que sa rivale malheureuse, Madame Sandra Torres, accusera de représenter « une vieille garde de militaires douteux », Jimmy Morales a été élu en octobre 2015, après une campagne anti-corruption. Quoiqu’enseignant à l’Université San-Carlos de Guatemala City, le candidat Morales a surtout été présenté par les médias occidentaux comme “acteur, humoriste” et “comique”, ajoutant son nom à une liste déjà longue de personnalités du spectacle et des médias appelés à de hautes destinées.

Il y a deux ans, J.Morales avait emporté la présidence avec plus de 68% des voix grâce à la vague d’exaspération qu’avait suscitée l’implication de son prédécesseur, l’ex-général Otto Perez-Molina – également mêlé à la « sale guerre » des années ’70 et ’80 – , de sa vice-présidente et de plusieurs de ses ministres dans l’énorme scandale de pots-de-vins dit de La Linea. 

Dès le mois de mars dernier toutefois, J. Morales est devenu lui-même la cible de manifestations exigeant sa démission après l’incendie d’un foyer pour enfants ayant fait 39 morts. Un drame considéré comme illustrant l’indifférence des dirigeants guatémaltèques à l’égard des déshérités. Puis, en août, le président – dont les deux fils sont déjà suspectés dans une importante affaire de fraude – suscitait un nouveau tollé en limogeant le président de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (désignée par l’ONU), qui l’avait accusé d’avoir financé illégalement sa campagne électorale.

A Jérusalem comme à Guatemala-City, tant Jimmy que Bibi semblent bel et bien rattrapés par « les affaires ». Cela expliquerait-il ce sursaut de solidarité ?

 
Notes:

 

[1] Avant qu’en 1980, la résolution 478 des NU n’enjoigne à tous les pays ayant alors une mission diplomatique à Jérusalem de l’en retirer: c’était le cas de la Bolivie, du Chili, de la Colombie, du Costa Rica, de la République dominicaine, de l’Equateur, du Salvador, du Guatemala, de Haïti, des Pays-Bas, du Panama, de l’Uruguay et du Venezuela qui déplacèrent leur ambassade à Tel-Aviv. Dans les années 1990, le président Ramiro de León Carpio tentera de réinstaller l’ambassade guatémaltèque à Jérusalem, mesure à laquelle il dût renoncer devant la menace des pays arabo-musulmans, ses principaux clients, de fermer leur marché aux exportations de cardamone du Guatemala, premier exportateur mondial de cette épice

[2] The Times of Israël, 13.9.17

[3] 13 pays d’Amérique latine votèrent en faveur du Plan de partage (la Bolivie, le Brésil, le Costa-Rica, la République dominicaine, l’Equateur, le Guatemala, Haïti, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, l’Uruguay et le Venezuela. Un seul, Cuba, vota contre, et 6 s’abstinrent (l’Argentine, le Chili, la Colombie, le Salvador, le Honduras et le Mexique)

[4] Palestine 1947. Un partage avorté, André Versaille éditeur, 2008

[5] Le Guatemala, le Honduras, les Îles Marshall, la Micronésie, Nauru, Palau et le Togo

[6] The Times of Israël, 13.9.17

[7] De 1972 à 1979 en Equateur, de 1972 à 1783 au Honduras

[8] Un recensement foncier de 1979 établissait que 65% des terres appartenaient à 2% des propriétaires, alors que 90% de petits paysans n’en possédaient que 16%. Selon Le Monde Magazine (4.06.11), 8% d’exploitants (descendant de colons européens) contrôlaient 78% des terres arables, et, pour la période 1980-90, 71% des Guatémaltèques vivaient sous le seuil de pauvreté

[9] L’Hebdo/Courrier international, 17-23.11.11 & Le Monde, 3-4.02.13

[10] Blog JosephHokayem, 29.12.12

[11] Lire mon article Israël-Palestine. Coupures ombilicales, Entre-les-lignes, 13.12.17 – https://www.entreleslignes.be/le-cercle/paul-delmotte/isra%C3%ABl-palest…

 

Dans un village maya, une fresque représente les atrocités de la guerre sociale doublée de nettoyage ethnique, qui a fait des centaines de milliers de morts. Photo © Gabrielle Lefèvre

 

Source : Investig’Action

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