Nouvelle constitution nationale cubaine : entre adaptation et permanence

Les 21 et 22 juillet 2018 l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire approuve en session ordinaire le projet de la nouvelle constitution nationale. Le préambule du projet actuel reprend exactement les mêmes paragraphes, avec les mêmes termes pour qualifier les citoyens cubains : héritiers et continuateurs de ceux qui ont lutté; guidés par l’idéal de José Marti, inscrits dans l’internationalisme, conscients de ce que seul le socialisme et le communisme peuvent libérer l’Homme de toutes les formes d’exploitation, entre autres le capitalisme.

 

Le secrétaire d’Etat Homero Acosta, rappelle dans sa présentation aux députés (Granma 1er août) que « le projet est le résultat de la réflexion menée par un groupe de travail, présidé par le général Raul Castro Ruz, créé par le Bureau politique le 13 mai 2013, et correspond aux bases législatives adoptées à cet effet par cet organe le 29 juin 2014. » Il rappelle aussi qu’ « il est cohérent avec les affirmations de Raul Castro Ruz, durant la Première Conférence nationale du Parti, le 28 janvier 2012, lorsqu’il proposait de « […] laisser derrière nous le poids de l’ancienne mentalité et forger, avec une intention transformatrice et une grande sensibilité politique, la vision vers le présent et l’avenir de la Patrie, sans abandonner, ni un seul instant, l’héritage martinien et la doctrine du marxisme-léninisme qui constituent le principal fondement idéologique de notre processus révolutionnaire ».

Le vote par l’ANPP est le dernier stade de l’élaboration du projet avant d’être soumis à la consultation populaire qui se déroule du 13 août au 15 novembre 2018.

Le projet est présenté par les responsables politiques cubains, non comme une nouvelle constitution, mais plutôt comme une actualisation de la constitution en vigueur, une adaptation aux changements intervenus depuis quarante ans.

Il convient de remarquer que la seule constitution qui fonde l’État cubain révolutionnaire est justement la constitution de 1976. C’est pourquoi elle reste la référence fondamentale. En effet l’État cubain révolutionnaire a gouverné de 1959 à 1976 avec la constitution de 1940. Une loi fondamentale proclamée le 7 février 1959 reprenait l’ensemble de la constitution de 1940, avec pour seul changement la suppression du parlement.

Cette constitution, qui n’avait pas été appliquée lors de la Dictature de Fulgencio Batista, avait des fondements politiques qui n’était pas en contradiction avec les objectifs de la Révolution. En effet l’État cubain y était défini en ces termes : « Cuba est un état indépendant et souverain, organisé en république unie et démocratique, pour jouir de la liberté politique, la justice sociale, le bien-être individuel et collectif et la solidarité humaine ». De plus elle comportait des droits humains et sociaux suffisamment progressistes pour transformer la société cubaine dans ses premiers temps révolutionnaires sans idéologie marxiste.

Le processus, assez lent, de constitution de l’état révolutionnaire en état révolutionnaire à caractère socialiste se fait par le vote de douze lois constitutionnelles, sans changer de constitution : En 1961, Fidel Castro proclame le caractère socialiste de la révolution et les organisations révolutionnaires sont regroupées dans une structure – Organisations Révolutionnaires Intégrées – qui prend le nom de Parti Uni de la Révolution Socialiste de Cuba en 1963 et deviendra le Parti Communiste Cubain en 1965. Il s’affirme martinien, marxiste-léniniste et d’avant-garde. Mais il faudra attendre 1975 pour que se tienne le 1er congrès du PCC et par suite l’approbation de la Constitution Nationale en 1976. Cette dernière n’a été que très peu modifiée depuis lors. C’est elle qui règle l’organisation de l’État et fixe l’identité politique de Cuba jusqu’à aujourd’hui.

Il est donc important de se référer à la constitution de 1976 pour commenter le projet actuel et en analyser les permanences, évolutions et ruptures éventuelles.

Le texte en tête de la constitution est le préambule. C’est le texte fondamental puisqu’ « il a pour objet de rappeler les principes fondamentaux, les droits et les libertés des citoyens, et de les compléter en vue de les mettre en harmonie avec l’évolution politique, économique et sociale ». (définition donnée par le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales).

Dans le préambule de la constitution de 1976 les citoyens cubains sont définis comme « héritiers et continuateurs» des aborigènes, des esclaves, des patriotes des deux guerres d’indépendance, des militants des organismes ouvriers et paysans, des militants qui diffusèrent les idées socialistes et fondèrent les mouvements marxistes-léninistes. Le préambule inscrit Cuba dans l’internationalisme prolétarien du monde et en particulier d’Amérique du Sud et de la Caraïbe. Par ailleurs il affirme que la complète dignité de l’être humain n’est atteinte que dans le socialisme et le communisme, quand l’Homme a été libéré de toutes les formes d’exploitation : esclavage, servitude, capitalisme. Enfin il proclame s’inspirer directement de José Marti.

Le préambule du projet actuel reprend exactement les mêmes paragraphes, avec les mêmes termes pour qualifier les citoyens cubains : héritiers et continuateurs de ceux qui ont lutté; guidés par l’idéal de José Marti, inscrits dans l’internationalisme, conscients de ce que seul le socialisme et le communisme peuvent libérer l’Homme de toutes les formes d’exploitation, entre autres le capitalisme.

Il est donc clair que le projet s’inscrit dans la continuité de la constitution en vigueur et que la réflexion engagée par la commission et continuée par le peuple ne modifie en rien les fondements de l’État cubain, en particulier son identité politique. On peut même dire que le caractère révolutionnaire est doublement affirmé puisque, à la référence à José Marti, s’ajoute celle au discours de Fidel Castro Ruz le 1er mai 2000 dans lequel il a, à nouveau, exposé le concept de révolution.

La permanence de l’identité politique de Cuba est confirmée dès les premiers articles du chapitre I. Dans la constitution de 1976, l’article premier du chapitre sur les Fondements politiques, sociaux et économiques de l’État définit la République de Cuba en ces termes : « La République de Cuba est un État socialiste d’ouvriers et de paysans et d’autres travailleurs manuels et intellectuels. ».

Dans le projet le même article 1 du chapitre I stipule que « Cuba est un État socialiste de droit, démocratique, indépendant et souverain, organisé avec tous et pour le bien de tous, en tant que république unie et indivisible, fondée sur le travail, la dignité et l’éthique des concitoyens, ayant comme objectifs essentiels la liberté politique, la justice sociale, la solidarité, l’humanisme, le bien-être et la prospérité individuelle et collective. » Nous remarquons la permanence de la définition de l’identité politique de l’État cubain comme république socialiste, même si les termes ont évolué concernant les travailleurs. On note cependant le besoin d’expliciter le concept d’État socialiste par l’énumération « liberté, justice, bien-être, solidarité » et l’ajout du mot « démocratique », terme repris à la Constitution de 1940.

Dans l’article 3 de ce même chapitre des fondements, il est clairement exprimé que « le socialisme et le système politique et social révolutionnaire, établis par cette Constitution, sont irrévocables ». Cette affirmation forte, absente de la constitution de 1976, est jugée nécessaire après les événements politiques des années 90 – disparition de l’URSS et des républiques socialistes de l’Europe de l’Est – qui ont fragilisé l’économie cubaine et renforcé l’attitude agressive des États-Unis d’Amérique. Elle est aussi justifiée par le fait que le système politique en vigueur « a démontré sa capacité à transformer le pays et à créer une société totalement nouvelle et juste. »

L’article 5 est consacré au rôle du PCC comme parti d’avant-garde ; il est défini comme parti « unique, martien, fidéliste et marxiste » . C’est « la force dirigeante supérieure de la société et de l’État. Il organise et oriente les efforts communs pour la construction du socialisme. Il travaille à la préservation et au renforcement de l’unité patriotique des Cubains et au développement des valeurs éthiques, morales et civiques ». Le rôle du PCC est complété par celui, lui aussi avant-gardiste, de l’Union des jeunesses Communistes exprimé à l’article suivant. Il s’agit de former les jeunes dans les principes révolutionnaires et éthiques de la société cubaine.

Il apparaît qu’il n’existe pas de différence dans l’ensemble des principes fondamentaux exprimés au chapitre I des deux constitutions. Cependant il s’agit bien de compléter la constitution actuelle afin de l’adapter à la société cubaine contemporaine et au nouveau paysage politique.

Le nouveau texte distingue les fondements politiques des fondements à caractères économiques.

Concernant les buts essentiels de l’État on peut remarquer quelques nouveautés comme le renforcement de l’unité nationale et la préservation de la sécurité nationale, la promotion du développement durable, la protection du patrimoine naturel, historique et culturel. Mais aussi le renforcement de l’idéologie et de l’éthique et la préservation des acquis de la Révolution.

Le système économique est celui de la propriété socialiste mais s’y ajoute la reconnaissance du rôle du marché et des nouvelles formes de propriété y compris la propriété privée. Le texte réglemente le marché, dans le cadre de la planification économique, afin d’éviter les inégalités que le marché génère, en fonction des intérêts de la société.

Concernant la propriété privée des terres un régime spécial est maintenu, dans lequel la vente ou la transmission des terres ne peut être effectuée que dans les limites fixées par la loi, et sans préjudice du droit préférentiel de l’État de les acquérir à travers le paiement à leur juste prix. L’interdiction de la location, du métayage, des prêts hypothécaires et de tout autre acte impliquant une taxe ou une cession sur ces terres à des particuliers est ratifiée. La possibilité de la propriété privée – souvent soulignée par les médias européens comme étant une avancée libérale – s’accompagne de mesures d’encadrement visant à empêcher une trop grande fracture sociale que l’ouverture au marché libre engendre nécessairement.

Les droits, dispersés dans la constitution actuelle, sont rassemblés sous un titre dans le projet. Les droits sont ceux reconnus dans les conventions et protocoles internationaux dont Cuba est signataire. De nouveaux droits sont définis comme l’habeas corpus (procédure pour éviter la détention arbitraire) ; le droit à être informé ; le droit de l’individu à connaître les archives le concernant.

 

 

Le contenu du droit à l’égalité est élargi avec la non-discrimination de fait du genre, de l’origine ethnique et du handicap.

Le mariage est défini dans le nouveau texte comme l’union « entre deux personnes », sans référence au sexe.

La structure de l’État reste la même avec quelques modifications. Le texte confère à l’Assemblée Nationale la possibilité d’interpréter la Constitution ; d’établir ou supprimer des impôts.

Le président de la République est élu pour 5 ans par les membres de l’Assemblée Nationale, pour, au plus, deux mandats consécutifs. Il doit être âgé de 35ans au moins et ne pas avoir plus de 60 ans pour un premier mandat. Un vice-président est élu dans les mêmes conditions.

En matière de justice, un fait nouveau : le ministère public est subordonné au Président de la République.

Les Assemblées Provinciales du Pouvoir Populaire sont supprimées et remplacées par un gouvernement provincial, présidé par le Gouverneur et un Conseil. Les municipalités acquièrent un rôle croissant à partir de la reconnaissance de leur autonomie, qu’elles exercent conformément aux intérêts de la nation. Le Conseil d’administration municipal est ratifié comme l’organe qui dirige l’administration municipale, à la charge d’un Intendant, un terme qui devrait se substituer à celui de Président et Chef utilisés actuellement.

Nous voyons bien que ce projet s’inscrit dans la continuité de la construction d’une société communiste, mais avec des références qui dépassent le cadre du marxisme-léninisme, comme celle particulièrement importante à la pensée politique de José Marti, laquelle ne s’inscrit pas dans ce cadre.

Le projet n’est pas définitif puisqu’il reviendra à l’Assemblée Nationale pour être voté après une vaste consultation populaire pendant trois mois. Des réunions se tiendront sur les lieux de travail et dans les quartiers, encadrées par des personnes formées pour mener à bien la consultation. Un procès-verbal de chaque consultation sera dressé, envoyé au Centre d’Études socio-politiques d’opinion du Comité central du Parti.

La nouvelle Constitution, prévue pour être appliquée dans le long terme, n’a pas pour objectif de bouleverser l’ordre établi. La seule vraie rupture concerne la reconnaissance des droits individuels. Elle est la continuatrice d’une pensée politique qui prend naissance dans les luttes indépendantistes révolutionnaires.

Références :
– Projet de constitution nationale : consulté sur le site de l’Assemblée Nationale cubaine
– Constitution Nationale de 1940, consultée sur internet www.cubanet.org
– Constitution Nationale de 1976, consultée sur www.filosofia.org
– Susana Anton, Lissy Rodriguez Guerrero « La nueva constitucion y los asuntos medulares para pensar Cuba » 22/07/2018
– Susana Anton, Lissy Rodriguez Guerrero « Una constitucion con todos », Granma 23/07/2018
– Luis Toledo Sande « El 26 de julio y la Nueva Constitucion » Granma 25/07/2018
– Rédaction nationale Granma « Constitution : volonté de transformation et sensibilité politique » 1/8/2018 http://fr.granma.cu

Photos : Rafael Martínez Arias (La Demajagua, Granma) / Jorge Luis Baños_IPS

 

Maître de conférences en Études hispaniques, Christine Pic-Gillard est l’auteure de l’ouvrage Révolutions à Cuba – De José Marti à Fidel Castro. Ellipses, Paris, 2007

 

 

Source : Le Journal Notre Amérique n°38

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