Les Etats-Unis et le Royaume-Uni soutiennent-ils Al-Qaïda au Yémen?

Washington et Londres continuent à fournir l’Arabie saoudite en armements. Il est pourtant clairement établi que la coalition menée par Riyad contre le Yémen a conclu une alliance tacite avec les combattants d’Al-Qaïda. Si bien que 17 ans après les attentats du World Trade Center, les Etats-Unis sont amenés à considérer Al-Qaïda comme une force de substitution pour atteindre les objectifs de leur politique étrangère. (IGA)


 

Selon une récente enquête d’Associated Press, des milices soutenues par la coalition menée par l’Arabie saoudite — dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont membres de facto — ont recruté des centaines de combattants d’Al-Qaïda pour combattre les forces houtistes et rétablir le gouvernement déchu d’Abd Rabbuh Mansour Hadi.

 

La coalition a conclu des accords secrets avec ces combattants d’Al-Qaida. Elle en a payé certains pour qu’ils quittent des villes stratégiques avec des armes et pour qu’ils dérobent des sommes pouvant aller jusqu’à 100 millions de dollars. Cette histoire et d’autres récits similaires apparus au cours des trois années de guerre au Yémen soulèvent une question essentielle : alors qu’ils fournissent l’Arabie saoudite en armements, Washington et Londres arment-ils et soutiennent-ils aussi les combattants d’Al-Qaïda au Yémen ?

 

L’International Crisis Group a décrit les relations entre la coalition et les combattants d’Al-Qaïda comme une « alliance tacite » au Yémen. Ansar al-Sharia, un groupe d’activistes créé par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQAP) en tant que bras insurgé local, a régulièrement combattu aux côtés des forces de la coalition contre les Houthis à Aden et dans d’autres régions du sud, notamment la capitale culturelle de Taïz ; le groupe obtenant indirectement des armes de la coalition.

 

Large gamme d’armements

 

Sur le terrain yéménite, les forces de la coalition comprennent un mélange de milices anti-Houthis, de factions et de chefs de guerre tribaux. Les militants d’AQAP y sont souvent associés et présents sur toutes les lignes de front. AQAP bénéficie ainsi des énormes quantités d’armes lourdes et légères que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis envoient au Yémen pour armer les milices — tout ce qui va des fusils d’assaut aux missiles guidés antichars.

 

Selon l’International Crisis Group, AQAP « a acquis un large éventail de nouveaux armements, notamment des armes lourdes provenant de camps militaires yéménites ou obtenus indirectement auprès de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ».

 

L’année dernière, Middle East Eye a révélé que le plus important mouvement de combattants salafistes à Taïz avait reçu des armes et de l’argent de la coalition. Ce mouvement était commandé par Abu al-Abbas. Ce dernier a ensuite été désigné par les Saoudiens les États-Unis comme un soutien d’Al-Qaïda et de Daesh. Un combattant du bataillon a déclaré qu’Abu al-Abbas avait tenu des réunions mensuelles avec les dirigeants de la coalition à Aden.

 

Ces livraisons d’armes sont loin d’être nouvelles et contribuent à la croissance d’AQAP. Joke Buringa, un conseiller sur le Yémen du ministère néerlandais des Affaires étrangères, a relevé il y a près de trois ans que « l’Arabie saoudite livre des armes à Al-Qaïda (qui) étend sa sphère d’influence ».

 

Washington et Londres tentent de diaboliser l’Iran pour ses livraisons d’armes aux Houthis. Et ils prétendent que la guerre au Yémen est un conflit saoudo-iranien plutôt qu’une guerre menée par Riyad pour contrôler l’ensemble de l’Arabie.

 

Michael Horton n’est pas vraiment de cet avis. Cet expert du Yémen à la Jamestown Foundation, un groupe US d’analyse qui piste le terrorisme, a déclaré que « l’AQAP — bien plus que les Houthis — a bénéficié de l’afflux d’armes au Yémen ». Horton ajoute que « pour le moment, l’Iran n’a que très peu d’influence sur les Houthis, qui sont clairement yéménites et profondément enracinés dans un contexte socioculturel très yéménite ».

 

Armes US et britanniques

 

Les armes que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis fournissent aux combattants d’Al-Qaïda au Yémen pourraient-elles être les mêmes que Washington et Londres livrent à Riyad et à Abou Dhabi ?

 

Par exemple, depuis le début des bombardements en mars 2015, le Royaume-Uni a octroyé plus de 5.9 milliards de dollars d’armement à l’Arabie saoudite. Ces fournitures comprennent non seulement des articles pour l’aviation saoudienne, comme des avions de guerre et des missiles, mais aussi des armes idéales pour des groupes insurgés, comme des grenades, des explosifs et des armes à feu.

 

Le gouvernement britannique admet ouvertement qu’il ne contrôle pas l’usage des armes qu’il exporte après les ventes. Et il a déclaré : « Nous n’avons pas un aperçu complet de quels articles spécifiques sont utilisés au Yémen. » Par ailleurs, il n’y a manifestement aucune restriction sur la manière dont les Saoudiens pourraient utiliser les armes qu’ils reçoivent des Britanniques.

 

Ainsi, le gouvernement britannique ne peut catégoriquement réfuter que ses armes se retrouvent entre les mains d’Al-Qaïda. Ce risque perdurera aussi longtemps que Londres maintiendra ses livraisons d’armes à Riyad.

 

Le gouvernement britannique est non seulement complice des crimes de guerre saoudiens, comme en témoigne son rôle direct dans la guerre (fourniture d’armes, stockage et distribution d’armes utilisées pour les bombardements, entretien des avions saoudiens), mais il contribue également à la montée en puissance d’AQAP.

 

En juillet, le ministre des Affaires étrangères, Alistair Burt, a déclaré au Parlement : « Le conflit au Yémen a permis à des organisations terroristes comme Al-Qaïda et Daesh de s’établir et de diffuser leur message violent et extrémiste. » En effet, Jane’ s Intelligence Weekly a rapporté qu’AQAP est en train de s’affirmer comme l’acteur dominant dans la majeure partie du sud du Yémen.

 

Selon les estimations de responsables US, les forces d’AQAP se situent entre 6.000 et 8.000 combattants. Et elles augmentent, alors que la guerre fournit au groupe de nombreuses opportunités d’affiner sa tactique. Horton soulève ainsi un autre point critique : « Si les forces de la coalition sont en mesure de faire battre les Houthis en retraite, l’AQAP s’emploiera à combler certains des vides laissés par les Houthis et leurs alliés, du moins à court terme. »

 

Combattre le terrorisme ?

 

Les Etats-Unis prétendent lutter contre le terrorisme au Yémen et leurs frappes de drones contre les cibles d’AQAP ont augmenté depuis l’arrivée de Trump au pouvoir. Mais sa plus grande mission est de gagner la guerre civile contre les Houthis. Et dans ce conflit, les militants d’Al-Qaïda sont effectivement du même côté que la coalition.

 

En se positionnant comme une force sunnite disciplinée capable de contrer les insurgés houthis, AQAP s’est imposée comme partenaire de facto de la coalition.

 

C’est ce que montre la bataille en cours pour le port stratégique d’Hodeïda, à travers lequel passent une grande partie des approvisionnements alimentaires et humanitaires du Yémen. Deux des quatre principaux commandants soutenus par la coalition le long de la côte de la mer Rouge sont des alliés d’Al-Qaïda, comme l’a rapporté Associated Press. Un autre commandant yéménite placé l’année dernière sur la liste US des terroristes pour ses liens avec Al-Qaïda continue à recevoir de l’argent des Émirats arabes unis afin de diriger sa milice.

 

Une fois de plus, Washington et Londres se retrouvent — comme en Syrie, en Libye et dans de nombreux autres conflits — à considérer les milices terroristes comme des forces de substitution pour atteindre d’importants objectifs de leur politique étrangère. AQAP, né en 2009 d’une union entre les branches saoudiennes et yéménites d’Al-Qaïda, a attaqué des cibles US et britanniques dans la région, a tenté de faire exploser un avion de ligne à destination des Etats-Unis et a revendiqué l’attentat de janvier 2015 contre le magazine Charlie Hebdo à Paris qui a tué 12 personnes.

 

Renverser la croissance d’AQAP et de l’EI — et mettre fin à une guerre catastrophique — exigera un règlement politique inclusif au Yémen, un règlement qui répond aux exigences d’autonomie et de sécurité locales, tout en opérant sous le couvert d’un État transformé.

 

Nous devrions avoir peur pour le Yémen, car AQAP, loin de fondre, devrait encore se renforcer au fur et à mesure que la guerre continue. Nous devrions aussi avoir peur pour l’Occident, car les priorités de la politique étrangère de nos gouvernements restent, dans leurs choix de guerres et d’alliés, très éloignées de la promotion de l’intérêt général.

 

 

Mark Curtis est historien et analyste de la politique étrangère et du développement international du Royaume-Uni. Il est l’auteur de six ouvrages, le dernier en date étant une édition mise à jour de Secret Affairs : Collusion britannique avec l’islam radical.

 

Source originale: Information Clearing House

Traduit de l’anglais par Investig’Action

Source: Investig’Action

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