Fête de l’indépendance d’Israël : commémoration de la dépossession des autochtones et de la montée de l’avant-poste de l’Occident au Moyen-Orient

Aujourd’hui, les Israéliens insistent sur le fait que leur État est issu d’une résolution de l’ONU que les Arabes ont rejetée et que les colons juifs ont acceptée. Si les habitants arabes ont certes rejeté la résolution, les colons en ont aussi rejeté la plus grande partie, n’en acceptant qu’une petite part, l’appel à la création d’un État juif. Ils ont rejeté toutes les autres parties, y compris l’appel à la création d’un État arabe à l’intérieur de frontières précises, l’interdiction d’exproprier des terres arabes à l’intérieur de l’État juif, la désignation de Jaffa comme exclave arabe, la création d’une Jérusalem internationale et la création d’une union économique entre les deux États.

 

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies a approuvé la Résolution 181 appelant à la partition de la Palestine en États juif et arabe séparés, liés par une union économique, Jérusalem étant un territoire international ne relevant de la juridiction d’aucun des deux États. La Palestine serait divisée en huit parties. Trois parties constitueraient l’État juif tandis que l’État arabe serait constitué de trois autres parties, plus une quatrième, Jaffa, qui serait une exclave arabe sur le territoire de l’État juif. Jérusalem — envisagée comme un corpus separatum, ou une ville internationale — était la huitième partie.

La population juive avait crû rapidement sous l’administration coloniale britannique à partir de la Première Guerre mondiale, passant de 10% approximativement à environ un tiers de la population. Pourtant, alors que les colons juifs restaient minoritaires et que les Arabes autochtones étaient deux fois plus nombreux, la résolution accordait à l’État juif 56% du territoire palestinien, tandis qu’on ne donnait que 42% aux Arabes, qui constituaient pourtant deux tiers de la population. Le reste, 2%, représentait Jérusalem.

Certaines personnes continuent à voir la résolution sur la partition — et sa descendante, la solution à deux États — comme juste et pratique, mais ce n’était ni l’un ni l’autre. Si on fait abstraction de la répartition inéquitable d’un territoire plus vaste pour un État juif à la population plus faible, d’autres problèmes plus importants restent à traiter.

Le premier est le déni de la souveraineté palestinienne. Il ne fait aucun doute que la population autochtone était farouchement opposée à l’expropriation de sa terre. Alors qu’elle constituait la majorité des habitants de la Palestine, ses souhaits ont été complètement ignorés par les Nations unies. C’était prévisible. À l’époque, l’organisation mondiale était dominée par les puissances du Premier Monde imprégnées de tradition coloniale. Beaucoup des pays qui ont voté pour la résolution étaient eux-mêmes des États coloniaux : la Grande-Bretagne, la France et la Belgique, et les rejetons des colons britanniques, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. Il n’y avait aucune chance qu’une telle résolution soit adoptée à partir des années 1960, lorsque l’équilibre des pouvoirs à l’Assemblée générale des Nations Unies passait du Premier Monde au Tiers Monde. Les pays au passé colonial considéraient le sionisme comme une idéologie politique légitime, tandis que les pays victimes du colonialisme le considéraient comme une forme de colonialisme.

Le second problème, découlant du premier, est que la résolution sur la partition appelait à créer une institution inacceptable : un État colonisateur. Les États colonisateurs ont été vaincus un par un par la résistance déterminée de la Gauche politique — en Algérie, en Rhodésie, en Afrique du Sud et ailleurs — avec les applaudissements mérités de la majorité de l’humanité. La disparition de chaque État colonisateur signale un progrès de l’humanité.  La question de savoir si l’État juif envisagé par la résolution sur la partition, ou Israël aujourd’hui, est un État colonial ne fait même pas controverse. Ni Theodore, le fondateur du sionisme politique, ni David Ben Gourion, le père de l’État d’Israël, ni encore Le’ev Jabotinsky, le fondateur du sionisme révisionniste, ne doutaient du fait qu’un État juif construit par des colons sur la terre d’un autre peuple était sans équivoque du colonialisme.

Quant à la praticabilité de la Résolution 181, elle est aussi indéfendable que la prétendue équité du plan de partition. Un règlement pratique du conflit aurait été celui que toutes les parties acceptaient. Mais aucune partie n’a accepté la résolution. La population autochtone l’a rejetée pour la raison évidente qu’elle leur déniait toute souveraineté sur 56% de leur territoire et remettait ceux-ci à une population minoritaire d’immigrants récents. Aucun peuple sur la terre n’aurait accepté cette proposition pour lui-mêmes ; la raison pour laquelle on attendait que les Palestiniens l’acceptent est ahurissante. Ben Gourion a accepté la résolution en paroles, mais seulement comme manœuvre tactique, reconnaissant que la gestation d’un État juif embryonnaire pourrait se faire sur la terre d’Israël par la conquête militaire. Les révisionnistes ont rejeté la partition projetée parce qu’elle ne répondait pas vraiment aux aspirations sionistes d’un État juif dans tout le sud de la Syrie (nom sous lequel la Palestine et la Jordanie étaient connues par la population autochtone).

Pour les colons, les aspects démographiques de la partition étaient faux. L’État juif contiendrait 500 000 juifs mais presque autant d’Arabes. Il y aurait 440 000 Arabes vivant sur le territoire envisagé pour l’État juif par la Résolution 181. Les juifs, ensuite, ne constitueraient donc qu’une faible majorité. Une faible majorité pourrait rapidement devenir une minorité, dépendante de l’immigration et des taux de natalité des deux communautés. En outre, comment 500 000 juifs pourraient-ils gouverner presque autant d’Arabes, alors que les Arabes rejetaient la domination juive ? Le plan était complètement irréalisable. La seule manière de créer un État juif viable serait de réduire radicalement le nombre d’Arabes vivant à l’intérieur de ses frontières tout en étendant celles-ci pour absorber autant de 10 000 colons juifs que la résolution avait assignés à l’État arabe.

La proclamation de la résolution a immédiatement provoqué des combats entre les Arabes autochtones et les colons juifs immigrants. Les colons étaient déterminés à chasser le plus grand nombre possible d’autochtones du territoire attribué par l’ONU à un État juif, tout en s’emparant le territoire attribué par l’ONU à un État arabe. Lorsque la poussière est retombée, un État juif, nommé Israël, a été proclamé, comprenant 78% du territoire palestiniens et non les 56% envisagés par la résolution. Entretemps, 700 000 Arabes avaient été chassés de chez eux et les colons refusaient leur retour, soucieux de protéger le résultat de leur ingénierie démographique.

Aujourd’hui, les Israéliens insistent sur le fait que leur État est issu d’une résolution de l’ONU que les Arabes ont rejetée et que les colons juifs ont acceptée. Si les habitants arabes ont certes rejeté la résolution, les colons en ont aussi rejeté la plus grande partie, n’en acceptant qu’une petite part, l’appel à la création d’un État juif. Ils ont rejeté toutes les autres parties, y compris l’appel à la création d’un État arabe à l’intérieur de frontières précises, l’interdiction d’exproprier des terres arabes à l’intérieur de l’État juif, la désignation de Jaffa comme exclave arabe, la création d’une Jérusalem internationale et la création d’une union économique entre les deux États.

La domination britannique sur la Palestine prit fin le 15 mai 1948. Le 14 mai, Ben Gourion a proclamé l’État d’Israël, déclenchant ce qui est connu aujourd’hui comme la guerre israélo-arabe de 1948. C’était la première d’une série de guerres entre colons et habitants autochtones — des conflits armés entre l’armée de l’État colonial juif et diverses armées arabes et irréguliers arabes.

Les belligérants arabes en 1948 — l’Égypte, la Jordanie, l’Irak, le Liban et la Syrie — ont envoyé quelque 20 000 soldats pour aider leurs compatriotes à résister aux efforts coloniaux pour transformer la Palestine en Terre d’Israël. Seuls trois de ces États — l’Égypte, la Jordanie et l’Irak — avaient des armées importantes, et seulement un, la Jordanie, avait une armée préparée à la guerre. Ces trois États étaient des clients des Britanniques, gouvernés par des rois qui servaient le bon plaisir de Londres. Tous étaient armés par John Bull, à savoir la Grande-Bretagne, et l’armée jordanienne était sous le commandement direct de 21 officiers britanniques qui prenaient leurs ordres de Londres. C’était important, car la Grande-Bretagne favorisait les colons et pouvait — et elle l’a fait — limiter les flux d’armes et de munitions vers leurs États clients. Ce n’est pas un hasard si les principales armées arabes ne sont intervenues en Palestine qu’après le départ des forces armées britanniques de Palestine, même si les forces coloniales avaient commencé leurs opérations pour chasser les Arabes de Palestine cinq mois auparavant. Lorsque les armées arabes contrôlées par les Britanniques sont finalement intervenues, les colons avaient largement nettoyé ethniquement la Palestine et leur entrée dans la bagarre était presque une force.

Les forces arabes n’avaient ni commandement central ni coordination. On a fait remarquer qu’une des raisons pour lesquelles cinq armées arabes ont été vaincues par une seule armée israélienne était précisément qu’il y avait cinq armées arabes.

Pire, il y avait des rivalités interarabes qui ont encore plus affaibli les forces arabes combinées. La Jordanie et l’Irak, dirigées par des rois installés par les Britanniques, frères de la dynastie hachémite, étaient impatients de voir la défaite de l’armée égyptienne du roi Farouk. Farouk était un rival pour l’influence dans le monde arabe, et les Hachémites désiraient sa défaite. La Jordanie et l’Irak n’avaient donc pas l’intention de faire quoi que ce soit pour aider les forces armées de leur rival.

À tous ces problèmes s’ajoutait la faiblesse générale des armées arabes. Les forces égyptiennes étaient sous-équipées et mal dirigées. Elles n’avaient pas de cartes, pas de tentes et un soutien logistique insuffisant. Leurs officiels étaient généralement incompétents, ayant obtenu leur grade grâce à leurs relations politiques. Les ordres transmis aux soldats sur le terrain étaient souvent contradictoires. L’armée irakienne était encore pire : elle a été envoyée au combat sans munitions.

Enfin, il y a eu trahison. Abdullah, le roi de Jordanie, avait secrètement négocié un arrangement avec les colons pour annexer la Cisjordanie à son royaume. Glubb Pacha, l’officier britannique qui commandait l’armée d’Abdullah, a délibérément retenu ses forces, leur ordonnant de ne pas pénétrer sur un territoire attribué par l’ONU à un État juif, bien que les forces israéliennes aient saisi du territoire attribué à un État arabe.

Il aurait déjà été assez difficile pour les armées arabes de l’emporter dans ces circonstances pénibles, mais le fait qu’elles étaient en infériorité numérique rendait leur victoire presque impossible. Manquant d’hommes, de coordination, mal dirigées, mal équipées, pas formées, trahies dans leur camp par Abdullah et sabotées par leurs maîtres britanniques, 20 000 soldats arabes n’avaient aucune chance contre 60 000 colons unis, déterminés et en armes, dont bon nombre étaient des soldats hautement qualifiés, ayant servi dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les Israéliens ont qualifié à tort la première entre les colons et les autochtones de Guerre d’Indépendance, comme si c’était la lutte de libération nationale d’un peuple opprimé contre une puissance coloniale, la Grande-Bretagne. Au contraire, c’était une guerre coloniale menée par des colons juifs dont la victoire a été aidée en arrière-plan par les Britanniques. C’était une guerre de dépossession, pas une guerre de restitution.

 

 

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action

 

Extrait du nouveau livre de S. Gowans, Israel, A Beachhead in the Middle East: From European Colony to US Power Projection Platform. Il est tiré du troisième chapitre, intitulé Nakba. Le livre est disponible chez Baraka Books.

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