Faire grève, c’est pratiquer la démocratie

Une carte blanche de Bruno Bauraind dans les colonnes du Soir. Plus qu’un droit qu’il faudrait « encadrer », la grève est avant tout une pratique nécessaire au fonctionnement de la démocratie politique et sociale.

 

La grève préavisée des cheminots ce mardi 10 octobre n’échappera pas à la règle. Comme les autres, cette action sera la source d’une bataille médiatique. Les fédérations patronales vont démontrer, chiffres à l’appui, ce que la grève a couté à l’économie belge. Un exercice pourtant impossible même à l’heure du Big data.

 

Les syndicats, la CGSP dans ce cas précis, vont compter leurs troupes et tenter de populariser ce blocage auprès des usagers. Il leur faudra surtout garder le contrôle sur le mouvement afin d’éviter de donner du grain à moudre aux partis de la majorité qui veulent encadrer juridiquement la pratique de la grève.

 

 

L’objectif de cette bataille est toujours le même : faire endosser la responsabilité de la grève et ses conséquences par l’autre camp. Dans ce contexte très polarisé, est-il possible d’objectiver la grève ?

 

Les statistiques sur les grèves en Belgique sont lacunaires. On peut néanmoins observer une augmentation du nombre de jours de grèves à partir de 2011. Après une décennie 2000 peu conflictuelle avec une moyenne annuelle de 63 jours de grève par 1000 salariés, la moyenne s’établit à 99 jours de grèves pour 1000 salariés à partir de 2011.

 

Ces chiffres, si imparfaits soient-ils, montrent par contre un regain de conflictualité sociale en Belgique. Regain lié principalement à la réaction des salariés et des syndicats aux politiques d’austérité budgétaire menées par le gouvernement Di Rupo et, surtout, par le gouvernement Michel (exclusion des chômeurs, saut d’index, réforme du marché du travail).

 

Si la grève semble toujours être une pratique de contestation légitime en Belgique, il n’en va pas de même dans tous les secteurs d’activité. On observe d’ailleurs depuis la fin des années 1980, un déplacement de la conflictualité sociale du secteur privé vers le secteur public et le non-marchand. Ce glissement sectoriel de l’usage de la grève a de multiples explications.

 

L’évolution du secteur privé en Belgique en est une. Les anciens bastions ouvriers (Ford, Caterpillar, ArcelorMittal…) se sont vus progressivement restructurés par des centres de décisions éloignés du territoire belge.

 

La « disparition du patron », le recours à la sous-traitance ou encore le chantage à l’investissement par les directions ont progressivement disqualifié la grève aux yeux d’une partie des salariés et même de certaines délégations syndicales.

 

Si on continue à observer des grèves chez des sous-traitants ou de plus petites entreprises, elles échappent très souvent au radar médiatique. A l’inverse, la conflictualité sociale a été le fait de nombreux secteurs et agents du secteur public : policiers, gardiens de prison, pompiers, fonctionnaires régionaux, cheminots. Ces derniers mènent depuis plusieurs années des actions contre les réductions budgétaires et les politiques de flexibilité dont ils font l’objet.

 

Comme pour les anciens bastions ouvriers, la SNCB est une entreprise en restructuration permanente. Mais, à la différence des travailleurs de Caterpillar ou d’ArcelorMittal, la colère des cheminots trouve un interlocuteur, fut-il intransigeant, en la personne de l’Etat belge. A leurs yeux, l’usage de la grève reste donc plus pertinent.

 

Le débat sur l’encadrement de la conflictualité sociale est le dernier élément permettant de caractériser les contours des grèves d’aujourd’hui. Il n’est pas seulement le fait du gouvernement au travers du service minimum garanti que celui-ci veut imposer à certains services publics.

 

Le patronat, au travers d’un activisme judiciaire très intense, tente lui aussi d’obtenir des décisions de justice permettant de limiter la pratique de la grève. Enfin, les syndicats ont toujours encadré la grève afin d’éviter que le mouvement leur échappe.

 

Il est vrai que dans une société voulue « consensuelle » et « pacifiée » par ses élites, la grève fait tache.

 

Pourtant, d’un point de vue historique, plus la grève est encadrée, voire interdite au milieu du 19e siècle, plus les actions se font imprévisibles et violentes.

 

A la lumière de l’histoire sociale belge, le service minimum garanti ou les tentatives patronales de criminaliser la grève relèvent plus du feu de camp dans une zone Seveso que d’une tentative de pacification des relations professionnelles.

 

 

Dans le contexte d’une économie qui produit des inégalités de plus en plus forte, la grève ne peut être réduite à une question juridique.

 

Plus qu’un droit qu’il faudrait « encadrer », la grève est avant tout une pratique nécessaire au fonctionnement de la démocratie politique et sociale.

 

Source : Gresea

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