Élections en Italie : quelles perspectives pour les travailleurs ?

Les pires réformes du travail ont déjà été approuvées en Italie…

 

Suite à une lettre de la Banque Centrale Européenne (BCE) envoyée en 2011, un certain nombre de réformes structurelles du marché du travail furent approuvées, d’abord par le gouvernement technique dirigé par Mario Monti, ensuite par le gouvernement PD dirigé par Matteo Renzi, avec la “Loi de l’Emploi”.

Je ne vais pas détailler toutes ces réformes qui sont nombreuses et profondes. Mais permettez-moi de mentionner la réforme qui a le plus bouleversé le droit du travail italien tel qu’il était connu depuis les années 1970 et qui a par conséquent contribué à affaiblir la solide fonction protectrice de la législation du travail italienne.

La principale réforme a porté sur la suppression de la réintégration en tant que remède à un licenciement abusif pour les contrats à durée indéterminée signés après le 7 mars 2015. Le nouveau contrat appelé trompeusement «contrat avec protection croissante» établit que, s’ils sont licenciés sans justification, subjective ou objective, les travailleurs embauchés pour une durée indéterminée après le 7/3 2015 ont exclusivement droit à une indemnité préétablie et n’ont plus aucun droit à être réintégrés.

Évidemment, la raison d’éliminer le véritable remède (la réintégration) est due aux pressions exercées par les institutions de l’UE et à la nécessité de FLEXIBILISER le marché du travail pour stimuler la croissance de l’emploi.

Après s’être engagée seulement de manière partielle dans des stratégies de confrontation, la CGIL, principale confédération italienne, a opté pour une stratégie judiciaire nationale et a fait appel à un organe supranational. Ainsi, elle a intenté une procédure devant la Cour constitutionnelle en faisant valoir que le nouveau type de contrat enfreint un certain nombre de normes constitutionnelles, notamment le droit à l’égalité de traitement, le droit au travail et le devoir de respecter un certain nombre de Traités internationaux: les conventions de l’OIT, la Charte de Nice et la Charte sociale européenne, qui ne permettent pas une protection aussi limitée, je dirais: une telle flexibilisation.

En plus de l’affaire de la Cour constitutionnelle, la CGIL a encore déposé une plainte auprès du Comité de la Charte sociale européenne, plaidant contre la violation de l’art. 24 de la Charte sociale européenne révisée qui prévoit, je cite, “le droit des travailleurs privés de leur emploi sans motif valable à une indemnisation adéquate ou à une autre réparation appropriée”.

Espérons ainsi que la décision du Comité condamnera la loi italienne et qu’elle sera rendue à temps pour fournir d’autres arguments à la Cour constitutionnelle en faveur de l’inconstitutionnalité de ladite norme et, en conséquence, son retrait du système juridique italien.

Mais permettez-moi de prendre un peu de recul. Alors que les gouvernements Berlusconi avaient également essayé de supprimer la clause de réintégration pour licenciement abusif, comment se fait-il que le gouvernement Renzi ait réussi une réforme néolibérale que même le gouvernement de droite n’avait pas réussi à approuver ? Une réforme qui était de toute façon initiée par le gouvernement Monti…

Il est patent que, pendant le “gouvernement technique” (2011-2013), la baisse des mobilisations a été massive et que la CGIL et le PD ont cessé de soutenir les mouvements sociaux et les initiatives des syndicats de base. Au contraire, sous le gouvernement Berlusconi, les trois confédérations, en particulier la CGIL, ont été très actives dans la mobilisation et la résistance aux manifestations et aux grèves (rappelez-vous qu’en Italie, la grève politique est légale et largement utilisée). La raison d’un tel déclin de l’activisme peut être expliquée principalement par la crainte généralisée d’un désistement, et par un discours appelant à agir de manière responsable, de sorte que les partenaires sociaux et la société civile en général ont été appelés à être modérés.

Cependant, lorsque la CGIL a recommencé à se mobiliser (notamment en organisant une grande manifestation en octobre 2014) durant le processus législatif qui a débouché sur la “loi de l’emploi”, l’activisme et l’opposition n’ont eu aucun impact positif. Peut-être était-ce dû à la forte division des trois principales confédérations (CISL et UIL étaient encore dans la phase «Je suis responsable») ? Un autre élément a peut-être joué (et c’est mon opinion): le lien traditionnel avec une partie du parti au pouvoir. Le PD, a peut-être incité le syndicat le plus représentatif à limiter sa stratégie de confrontation en espérant un soutien venant de l’intérieur du parti.

En revanche, les syndicats de base tels que COBAS et USB sont restés très actifs également sous le gouvernement Renzi, tant au niveau politique qu’au niveau des relations sur le terrain et dans l’industrie. Et les mêmes syndicats de base ont continué à se mobiliser avec les mouvements sociaux et diverses réalités locales contre les politiques d’austérité.

Cependant, les mouvements sociaux, comme San Precario, ont souffert de l’instabilité sociale et économique provoquée par la crise et, à cause de la crise, ils sont devenus nettement plus faibles après 2009, même s’ils ont continué à soutenir les manifestations anti-austérité et sont restés dans certains cas proches des syndicats de base.

Il est nécessaire de souligner que les pires réformes du travail ont déjà été approuvées en Italie. Pensons par exemple à la décentralisation de la négociation collective, qui est également un problème en Italie.
Maintenant, que faire ? La question est cruciale en Italie : les élections générales ont lieu en mars prochain. Comme vous pouvez l’imaginer, nous sommes déjà submergés par de bonnes – ou moins bonnes – intentions.

Si nous regardons à gauche ou au centre-gauche, nous lisons dans les journaux que le PD peut reconsidérer certains éléments de la “loi sur l’emploi ” (que le PD a approuvé).

Un peu plus à gauche, nous pouvons trouver une nouvelle coalition nommée «liberi e uguali» (libres et égaux), qui a réuni quelques partis de gauche mineurs et semble vouloir réformer fortement le cadre légal en augmentant considérablement les protections des travailleurs.

En outre, une nouvelle formation à l’extrême gauche voit le jour, qui vise à représenter les mouvements sociaux et les réalités locales et est proche du syndicalisme de base. Cette liste a été nommée «potere al popolo» (pouvoir au peuple) et a des idées beaucoup plus radicales sur le droit du travail, comme l’élimination de toutes les formes de contrats de travail atypiques.

Cependant, il est actuellement très difficile de prévoir qui gagnera les élections ou ce qui sera réellement fait. Il convient de souligner que, selon de récents sondages, le premier parti serait le Movimento 5 Stelle et la première coalition une coalition de droite.

À mon avis, le seul élément qui semble un peu concret à l’heure actuelle est la fin apparente du lien entre la CGIL et le PD (le parti Renzi) et la convergence de la CGIL avec la coalition, espérons-le, de gauche, “liberi e uguali “. Ce choix du plus grand syndicat peut au moins permettre à la CGIL d’être prête à reprendre part aux débats et à construire une stratégie de confrontation, même dans le cas où le PD gouvernerait pour les 5 prochaines années. Mais, encore une fois, c’est seulement une réflexion très personnelle.

Pour conclure, la législation italienne du travail a déjà subi d’importantes réformes structurelles et la crise a certainement été le déclencheur de ces amendements, à la fois parce qu’elle a affaibli l’opposition des syndicats et des mouvements sociaux et qu’elle a convaincu la société civile de la nécessité du «sacrifice collectif».

Actuellement, l’Italie est dans une phase transitoire, dans l’attente des décisions judiciaires d’une part et des élections d’autre part. De toute évidence, les résultats des élections détermineront également les réactions des partenaires sociaux et des représentants de la société civile, réactions que l’on peut difficilement prédire.

 

Avocate du travail et chercheuse à l’Université de Trento, Giulia Frosecchi a étudié les mouvements sociaux et le syndicalisme. Ce texte est son intervention dans la conférence “Lois travail : et après ?”, tenue à Bruxelles le 8 décembre 2017.

 

Source : Altersummit


 

Eux n’hésitent pas : loi travail, négociations secrètes TTIP, retraites à la casse, chômeurs exclus en masse. Dans une Europe du fric, qui n’a jamais voulu être sociale.

 

Et en face ? Du côté des travailleurs ? D’abord, malgré tout, cette très bonne nouvelle : le peuple est dans la rue, partout en Europe et au-delà. Debout.

Mais quelle sera, demain, la place des syndicats? Cogérer la misère imposée, de recul en reculade ? Ou bien renouer avec les glorieuses traditions de résistance ?Camarades, je demande la parole ! propose des pistes pour rénover, démocratiser et moderniser le syndicalisme. Afin de ne pas rater le rendez-vous avec la jeunesse agressée, mais révoltée aussi et en recherche. Elle a droit à un avenir.

 

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