Elections au Sri Lanka : un enjeu stratégique

Sri Lanka: le candidat de la gauche souverainiste, Gotabaya  remporte les élections présidentielles, avec plus de 52% des voix, il devance de très loin le candidat soutenu par l’axe UE-USA. Cette élection intervient après des mois de crise politique – une tentative de putsch de l’ex premier ministre – et des attentats sanglants commis en avril 2019. Jean-Pierre Page, ex responsable  de la CGT et très fin connaisseur du Sri Lanka a accepté de répondre aux questions d’Initiative Communiste pour décoder les tenants, aboutissants de cette élection et les enjeux politiques et géopolitiques du Sri Lanka. Napoléon non sans raison affirmait « qui contrôlera Ceylon contrôlera l’Ocean Indien »…

 

I.C: Les deux dernières années ont été très agité au Sri Lanka, crise politique et attentat frappait le pays, quelles étaient les enjeux des élections de ce dimanche 17 novembre ?

Jean-Pierre Page: En fait, depuis l’élection d’un gouvernement ultra libéral à la botte des USA en 2015, la crise politique n’a cessé de se développer marquée entre autre par une corruption sans précédent comme celui de la Banque centrale, des abandons de souveraineté de plus en plus importants, une domestication géo politique à Washington, des mesures anti sociales, des privatisations importantes, des décisions ultra libérales du type de celles pratiquées au Chili d’ailleurs et curieusement par les mêmes protagonistes.  Tout cela a provoqué très vite, un effondrement économique et monétaire du pays et une plus grande dépendance vis-à-vis des puissances occidentales et des institutions financières comme le FMI.Cette crise a atteint son point culminant avec les attentats et le massacre de centaines de personnes en avril 2019. La manipulation et l’origine de cette tragédie n’était pas indifférente aux arrières pensées et ambitions stratégiques des États Unis face à la montée irrésistible de l’influence de la Chine dans la région. 

Dans ces conditions le rejet de ce gouvernement conservateur et la colère populaire n’ont cessé de grandir comme j’ai pu le  constater à travers de nombreuses luttes sociales et politiques, cela s’est poursuivi avec l’effondrement électoral de la droite et du parti présidentiel aux élections régionales de février 2019 et la grande bataille ces derniers mois contre le projet d’accord ACSA-SOFA-MCC imposé par les États Unis qui aboutirait à une partition du Sri Lanka, une présence militaire permanente transformant le pays en un porte avion, une vaste base pour de futures agressions contre la Chine, l’Iran et le Pakistan.

Il faut trouver là les raisons de cette défaite de la droite et l’enjeu de cette élection présidentielle qui sera dans quelques mois prolongée par des élections générales. L’ancien Président Mahinda Rajapaksa dont le charisme et la popularité demeuraient très élevés ne pouvait plus se représenter du fait d’un changement constitutionnel imposé par le gouvernement . C’est donc le frère de Mahinda, Gotabaya Rajapaksa qui s’est porté candidat. Gotabaya connu pour sa rigueur, est lui aussi très populaire car comme secrétaire à la Défense dans le gouvernement de son frère au moment de la guerre contre les séparatistes du LTTE, il a joué un rôle décisif et est associé à la victoire contre le terrorisme . La défaite politique et militaire du LTTE soutenu par les pays occidentaux et en particulier Washington explique pour une part les campagnes médiatiques mensongères comme l’illustre l’AFP, les ONG, Human rights watch, amnesty, le Crisis group, les fondations comme celle de Georges Soros qui sont financées par les banques, les multinationales et les gouvernements occidentaux. Gotabaya et Mahinda en sont les cibles d’autant que les convictions anti-impérialiste de l’ancien président sont connus, ainsi son amitié avec Yasser Arafat, Lula,  Chavez ou Raoul Castro. L’enjeu de tout cela est bien sûr géo stratégique. Il ne faut pas oublier que le Sri Lanka dispose du plus grand port en eau profonde de l’Asie du Sud  ce qui bien sûr a toujours suscité les convoitises de l’impérialisme.

 

D’après les résultats publiés, Gotabaya Rajapasksa a remporté les élections. Qu’est ce que cela signifie de la situation Sri Lankaise ?

Gotabaya à effectivement gagné les élections sans contestation possible avec plus de 7 millions de voix, chiffre sans précédent dans une élection présidentielle et près d’1,5 million de voix d’avance sur le candidat de droite. Le troisième avec un résultat dérisoire est le dirigeant du JVP un parti pseudo marxiste léniniste dont l’alliance avec la droite et le soutien financier des américains est bien connu, ce parti escroc est dorénavant totalement disqualifié. Les partis traditionnels de la gauche notamment  le PC et le LSSP trotskiste, tout comme les deux partis de la gauche souverainiste soutenaient Gotabaya. Sans aucun doute ces forces politiques de gauche reviendront tous au pouvoir comme cela était le cas dans les gouvernements précédents de Mahinda.

Toute la question maintenant est de savoir si Gotabaya tiendra ses promesses sociales, économiques, de lutte contre la criminalité financière et la corruption et surtout si il adoptera une attitude ferme et claire sur tout ce qui touche à la souveraineté du pays. Les pressions n’ont d’ailleurs pas tardé de la part des occidentaux, il en ira de même du très réactionnaire Modi premier ministre de l’Inde. Il y a des attentes fortes de la part de la population, celle-ci devra se battre. Ce n’est pas la fin de l’histoire, même si les USA et l’UE enregistrent un échec politique avec le résultat de ces élections. Ils ne vont pas renoncer à leurs objectifs dans une région considérée comme une priorité par Washington. Tout dépendra en dernière analyse des luttes populaires , des solidarités internationalistes. Le Sri Lanka ne manque pas de moyens pour faire face.

 

Immédiatement, les capitales occidentales se sont inquiétées de cette victoire. Le Sri lanka occupe t il une position géopolitique particulière qui expliquerai ces réactions ?

Oui c’est indiscutable. Il suffit de regarder une carte de géographie pour comprendre que le Sri Lanka cette île dont Octave Mirbeau disait « si il existe un paradis sur  terre, c’est Ceylon »( le nom ancien du Sri Lanka), a toujours à travers les siècles suscité l’intérêt des grands voyageurs comme Ibn Battûta mais aussi des colonisateurs portugais, puis hollandais, français et britannique. Pendant près de 450 ans Ceylan a connu la colonisation . La culture du pays est très ancienne, près de 5000 ans. La proximité géographique, historique, culturelle , religieuse et linguistique avec l’Inde détermine également les relations économiques et politiques essentielles du Sri Lanka. C’est une dimension que l’on ne peut ignorer. Napoléon non sans raison affirmait « qui contrôlera Ceylon contrôlera l’Ocean Indien ». En effet, le pays outre sa position stratégique, possède d’importantes richesses caoutchouc, pétrole, gaz, pierres précieuses,….et depuis un certain temps elles donnent lieu à d’importantes recherches pour l’ exploitation de « terres rares » comme le lithium, enjeu dont le contrôle je le rappelle,  n’est pas étranger au coup d’état en Bolivie.

Par conséquent, oui les pays occidentaux s’inquiètent d’autant que la Chine est très présente au Sri Lanka, qu’elle finance et participe à de grands projets de développement dont « les routes de la soie » constituent un enjeu considérable. Le Sri Lanka en est partie prenante. Par conséquent Gotabaya est confronté des aujourd’hui à  des enjeux considérables. Il faudra pour cela qu’il s’appuie sur ses alliés naturels tout particulièrement les pays émergents et en voie de développement, n’oublions pas que le Sri Lanka fut un des 5 pays fondateurs du Mouvement des non alignés .

 

Source : Initiative Communiste

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