Des chars envoyés par l’OTAN en Ukraine : cauchemar ou game changer ?

Réticent au départ, l’Occident va finalement livrer des chars d’assaut à l’Ukraine. Même l’Allemagne s’est résignée franchir le cap. Un game changer dans la guerre contre la Russie ? Ancien officier de renseignement du corps des Marines ayant servi en Union soviétique, ancien inspecteur de la commission spéciale des Nations unies en Irak et célèbre pourfendeur de la fable des armes de destruction massive, Scott Ritter estime que ce nouveau cap dans la guerre d’Ukraine fait peser plus lourdement encore le risque d’un cauchemar nucléaire sans même répondre aux besoins de Kiev. (IGA)


 

Tôt le matin du 2 mai 1945, le général Vasily Chuikov, commandant de la 8e armée de la Garde soviétique, acceptait la reddition de la garnison allemande de Berlin.

Deux jours auparavant, les soldats de la 150e division de fusiliers, intégrée à la 5e armée de choc soviétique, avaient victorieusement hissé la bannière de l’Armée rouge au sommet du palais du Reichstag. Une heure plus tard, Adolf Hitler et sa maîtresse, Eva Braun, se suicidaient dans un bureau du Furhrerbunker.

Chuickov dirigeait la 62e armée qui fut hissée au rang de 8e armée de la Garde après sa résistance victorieuse face à l’assaut massif des Allemands à Stalingrad en 1943. Chuickov dirigea ensuite ses troupes jusqu’à Berlin, luttant contre de tenaces poches de résistance dans le quartier central de Tiergarten où se trouvait l’antre de la bête nazie. En récompense du courage et du sacrifice de ses soldats, le général soviétique se trouva en mesure d’accepter la capitulation allemande.  

“Lever du drapeau sur le Reichstag” photo d’Evgeny Khaldei. (Ministère de la Défense russe)

En l’honneur de cet exploit et du prix enduré, l’armée soviétique inaugurait en novembre 1945 un mémorial dans le parc de Tiergarten. Construit à partir de marbre rouge et de granit provenant des ruines de la Neue Reichskanzlei (nouvelle chancellerie impériale) d’Adolf Hitler, le monument est composé d’une stoa reposant sur six colonnes et surmontée d’une immense statue en bronze représentant un soldat victorieux de l’Armée rouge. Le monument est flanqué de deux canons obusiers de l’artillerie soviétique ainsi que d’une paire de chars T-34.

De 1945 à 1993, le monument était placé sous la surveillance de gardes soviétiques. Ensuite, lorsque l’armée russe s’est retirée de Berlin, l’entretien du monument est revenu à l’Allemagne, conformément aux dispositions du traité de réunification de 1990 entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est.

Soviet War Memorial, Tiergarten, West Berlin. (Mike Peel, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

L’inscription gravée dans le granit du monument, en lettres cyrilliques, se lit comme suit : “Gloire éternelle aux héros qui sont tombés au combat contre les occupants fascistes allemands pour la liberté et l’indépendance de l’Union soviétique“.

Aujourd’hui, Vasily Chuikov et les héros soviétiques auxquels le mémorial de Tiergarten est dédié doivent se retourner dans leur tombe. En effet, à travers un gouvernement ukrainien inspiré par l’idéologie néonazie et ultranationaliste de Stepan Bandera et ses compères, les forces du fascisme dressent une fois de plus leurs têtes odieuses.

Le commandant militaire soviétique Vasily Chuikov, deuxième à partir de la gauche, au poste de commandement de la 62e armée à Stalingrad en décembre 1942. (Mil.ru, CC BY 4.0, Wikimedia Commons)

Bandera et son mouvement meurtrier ont été physiquement vaincus par les forces soviétiques dans la décennie qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, son idéologie a survécu au sein d’une diaspora ukrainienne occidentale composée de rescapés de ce mouvement qui avaient trouvé refuge en Allemagne de l’Ouest. Bandera s’y était lui-même installé jusqu’à son assassinat par le KGB soviétique en 1959. D’autres rescapés du mouvement se sont installés au Canada. Chrystia Freeland, actuelle vice-première ministre, est la petite fille d’un ancien éditeur de propagande bandériste. Certains se sont aussi réfugiés aux États-Unis. À Ellenville dans l’État de New York, un « Monument des Héros » arbore les bustes de Bandera et d’autres ultranationalistes ukrainiens néonazis.

Cette idéologie a également survécu dans l’ombre des districts de l’ouest de l’Ukraine qui avaient d’abord été absorbés par l’Union soviétique après le démembrement de la Pologne en 1939 puis occupés à nouveau par les forces de l’URSS en 1945.

Un mouvement politique clandestin financé par la CIA

À partir de 1956 et à la suite des politiques de déstalinisation instituées par le Premier ministre Nikita Khrouchtchev lors de son « discours secret » aux membres du Parti communiste, des milliers de membres de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) et de l’Organisation des nationalistes ukrainiens-Bandera (OUN-B) qui avaient été arrêtés et condamnés par les autorités soviétiques furent libérés du goulag et renvoyés chez eux. Apparemment, l’idée était de les réintégrer dans la société soviétique. Mais cette réintégration ne s’est jamais concrétisée.

Au lieu de cela, les fascistes ukrainiens, financés par la C.I.A., ont opéré comme une organisation politique clandestine. Ils ont mené des opérations de sabotage et ont diffusé une idéologie antisoviétique et antirusse au sein d’une population où  les préceptes de l’idéologie nationaliste ukrainienne étaient forts.

Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, ces nationalistes ukrainiens sont sortis de l’ombre et ont commencé à s’organiser en partis politiques. Ils étaient soutenus par des bandes d’extrémistes enclins à la violence qui ont érigé, notamment par l’intimidation physique, un véritable culte autour de la personnalité de Stepan Bandera.

Des manifestants avec le drapeau rouge et noir de l’OUN-B parmi les manifestants de la place Maidan à Kiev, en décembre 2013. (Nessa Gnatoush, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)

Des partis politiques tels que Svoboda (“Liberté”) et le Secteur droit ont ainsi vu le jour. Bien que ne bénéficiant pas d’un large soutien de la population ukrainienne, ces groupes ont profité de leurs capacités d’organisation et de leur penchant pour la violence afin de jouer un rôle dominant dans les émeutes qui ont éclaté sur la place Maidan à Kiev en 2014 et qui ont conduit à l’éviction du président ukrainien démocratiquement élu, Victor Ianoukovitch. Un gouvernement composé de personnes triées sur le volet par les États-Unis, dont le Premier ministre Arseniy Iatseniouk, a alors été mis en place.

Dans les jours qui ont suivi l’éviction de Ianoukovicth en février 2014, la secrétaire d’État adjointe Victoria Nuland s’est entretenue avec l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine, Geoffrey Pyatt. La conversation a été interceptée. On y entend Nuland positionner Iatseniouk comme le futur dirigeant de l’Ukraine. Dans ce contexte, elle encourageait activement Iatseniouk à se coordonner avec Oleh Tyahnybok, le chef de Svoboda, qui était ouvertement soutenu par des radicaux armés du Secteur droit.

La coordination étroite entre le nouveau gouvernement ukrainien post-Maidan et les partis politiques pro-Bandera tels que Svoboda et Secteur droit a octroyé un rôle surdimensionné à ces groupes dans les affaires de sécurité ukrainiennes.

À titre d’exemple, Dmytro Yarosh, l’ancien chef du Secteur droit, est devenu conseiller du commandant en chef des forces armées ukrainiennes, le général Valerii Zaluzhnyi. Avec cette casquette, Yarosh a supervisé l’intégration de nombreuses unités de volontaires du Secteur droit au sein des forces armées régulières de l’Ukraine.

L’une des unités créées à la suite de cette réorganisation est la 67e brigade mécanisée séparée, qui suit depuis novembre 2022 un entraînement au Royaume-Uni.

Le fait que les membres de l’OTAN, comme le Royaume-Uni, participent activement à la formation des forces ukrainiennes est bien établi. En juillet 2022, le ministère britannique de la Défense a annoncé qu’il commencerait à former environ 10 000 soldats ukrainiens tous les quatre mois.

Mais les médias occidentaux semblent vouloir esquiver le fait qu’un entraînement au combat est octroyé à des formations militaires composées d’ardents néonazis.

Groupe de contact sur la défense de l’Ukraine

La question est toutefois bien plus complexe – et controversée – que le simple octroi d’une formation militaire de base à quelques milliers d’adeptes de l’idéologie haineuse de Stepan Bandera.

La 67e brigade mécanisée séparée est en effet susceptible d’être l’une des trois formations ukrainiennes qui seront formées et équipées avec les milliards d’aide militaire récemment approuvés lors de la huitième session du groupe de contact pour la défense de l’Ukraine.

Le groupe de contact s’est réuni pour la première fois en avril 2022 sur la vaste base aérienne américaine de Ramstein, en Allemagne. Il sert de principal mécanisme de coordination entre les forces armées ukrainiennes et l’OTAN pour la fourniture de formations et de soutien matériel à l’armée ukrainienne.

La dernière réunion de Ramstein donne écho à l’interview accordée en décembre 2022 à The Economist par le commandant des forces armées ukrainiennes, le général Valerii Zaluzhnyi. Il y déclarait que le principal souci de l’Ukraine était de « tenir cette ligne [c’est-à-dire la ceinture défensive Soledar-Bakhmut] et de ne pas perdre davantage de terrain. »

Depuis cet entretien, Soledar est tombé aux mains des Russes et Bakhmut est menacé d’être encerclé. De plus, les forces russes sont à l’offensive au nord et au sud du front de Bakhmut, avançant dans certains cas jusqu’à sept kilomètres par jour.

Zaluzhnyi a également déclaré que la deuxième priorité pour l’Ukraine était « de se préparer à cette guerre qui peut se produire en février [2023]. Être capable de mener une guerre avec des forces fraîches et des réserves. Nos troupes sont toutes attachées à des batailles maintenant, elles saignent. Elles saignent et ne tiennent que par le courage, l’héroïsme et la capacité de leurs commandants à garder la situation sous contrôle. »

Le commandant ukrainien a noté que la “guerre” de février verrait l’Ukraine reprendre l’attaque : « Nous avons fait tous les calculs – combien de chars, d’artillerie nous avons besoin et ainsi de suite. C’est sur cela que tout le monde doit se concentrer en ce moment. Que les soldats dans les tranchées me pardonnent, il est plus important de se concentrer sur l’accumulation de ressources dès maintenant pour les batailles plus longues et plus lourdes qui pourraient commencer l’année prochaine. »

L’objectif de cette offensive, a déclaré Zaluzhnyi, sera de repousser la Russie aux frontières qui existaient le 23 février 2022, date du début de l’invasion russe. Il a également indiqué que la libération de la Crimée était un objectif.

« Pour atteindre les frontières de la Crimée, à ce jour, nous devons couvrir une distance de 84 km jusqu’à Melitopol [une ville stratégique au sud de la République de Donetsk]. D’ailleurs, cela nous suffit, car Melitopol nous donnerait un contrôle total du feu sur le corridor terrestre. Car depuis Melitopol nous pouvons déjà tirer sur l’isthme de Crimée[1]. »

Le général Valerii Zaluzhnyi, à droite, avec le général-colonel Oleksandr Syrskyi pendant la bataille de Kiev, mars 2022. (Commandant en chef de l’Ukraine, CC BY 4.0, Wikimedia Commons)

Zaluzhnyi respirait la confiance. « Je sais que je peux battre cet ennemi », a-t-il déclaré. « Mais j’ai besoin de ressources. J’ai besoin de 300 chars, 600-700 IFV [véhicules de combat d’infanterie], 500 Howitzers. Ensuite, je pense qu’il est tout à fait réaliste d’arriver sur les lignes du 23 février. »

Zaluzhnyi a parlé d’une prochaine rencontre avec le général américain Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées. « Je lui dirai [à Milley] combien cela vaut, combien cela coûte. Si nous ne l’obtenons pas, nous nous battrons bien sûr jusqu’au bout. Mais comme l’a dit un personnage de cinéma, ‘je ne me porte pas garant des conséquences’. Les conséquences ne sont pas difficiles à prévoir. C’est ce que nous devons faire. »

En bref, Zaluzhnyi a dit qu’il pouvait gagner la guerre contre la Russie s’il recevait la quantité d’équipement militaire demandée. Sinon, l’Ukraine perdrait probablement le conflit.

La huitième session

La huitième session du Groupe de contact de Ramstein s’est tenue le 20 janvier. Et les Ukrainiens ont fait pression sur leurs alliés occidentaux pour qu’ils fournissent le soutien matériel demandé par Zaluzhnyi.

Les ministres de la Défense de plus de 50 pays y ont participé, dont l’Ukrainien Oleksii Reznikov. Quelques jours auparavant, au Forum économique mondial de Davos, il déclarait : « Nous [l’Ukraine] remplissons aujourd’hui la mission de l’OTAN. Ils ne versent pas leur sang. Nous versons le nôtre. C’est pourquoi ils sont tenus de nous fournir des armes. »

Le Groupe de contact a pris en considération la demande ukrainienne de soutien matériel et, à la fin de la réunion, s’est engagé à fournir à l’Ukraine un ensemble de mesures de soutien de plusieurs milliards de dollars, comprenant des armes de défense aérienne, des munitions d’artillerie, des véhicules de soutien et (ce qui est peut-être le plus important) environ 240 des 500 véhicules de combat d’infanterie demandés. Ces véhicules seront répartis approximativement en un bataillon (59 véhicules) de M-2 Bradley de fabrication américaine, deux bataillons (90 véhicules) de M-1126, un bataillon (40 véhicules) de Marders allemands et un bataillon (environ 50 véhicules) de CV90 de fabrication suédoise.

Le Groupe de contact de Ramstein a également promis la livraison de quatre bataillons d’artillerie automotrice, composés de 19 Archer de fabrication suédoise, 18 AS-90 de fabrication britannique, 18 M-109 Paladin de fabrication américaine et une douzaine de CEASAR de fabrication française. Si l’on ajoute les 24 pièces FH-70 remorquées, le total des pièces d’artillerie envoyées en Ukraine s’élève à un peu moins de 100 pièces d’artillerie, ce qui est loin des 500 pièces demandées par Zaluzhnyi.

Et la liste de Ramnstein ne comprenait alors rien qui ressemblait de près ou de loin aux 300 chars demandés par Zaluzhnyi ; le mieux que les alliés européens de l’Ukraine avaient pu rassembler [jusqu’à mardi], c’était une promesse britannique de fournir l’équivalent d’une compagnie (14 unités) de chars de combat Challenger 2.

Dans son entretien avec The Economist, Zaluzhnyi avait indiqué qu’il ne pourrait pas mener à bien l’offensive prévue s’il obtenait moins que les équivalents de trois brigades blindées et trois brigades mécanisées qui étaient demandés.

L’Occident avait répondu en fournissant à peine l’équivalent de deux brigades de matériel.

Ces deux brigades, ajoutées à une troisième brigade mécanisée déjà formée et en cours d’entraînement en Pologne, donnaient donc au général ukrainien la moitié de ce dont il prétendait avoir besoin pour lancer une offensive réussie contre la Russie.

Pour le général américain Milley, le problème n’était pas le manque d’équipement, mais le manque d’entraînement. Avant d’arriver à Ramstein, le général Milley a visité les vastes terrains d’entraînement de Grafenwoehr en Allemagne. Là, l’armée américaine est en train d’entraîner quelque 600 soldats ukrainiens à déplacer et coordonner efficacement leurs unités de la taille d’une compagnie ou d’un bataillon au combat, en utilisant l’artillerie, les blindés et les forces terrestres.

S’adressant aux journalistes, le général Milley a déclaré que cet entraînement était essentiel pour aider l’Ukraine à reconquérir le territoire perdu au profit de la Russie l’année dernière.  L’objectif de cet entraînement, a déclaré le général, est de livrer à l’Ukraine les armes et les équipements promis afin que les forces nouvellement formées puissent les utiliser “quelque temps avant l’arrivée des pluies printanières. Ce serait l’idéal”.

Ce que l’Occident donne

La formation opérationnelle, quelle que soit la compétence avec laquelle elle est dispensée et assimilée, ne donne pas une image précise de la véritable capacité de combat transmise à l’Ukraine par l’Occident. La réalité est que la plupart de ces équipements ne dureront pas un mois dans des conditions de combat : si les Russes ne les mettent pas hors service, les problèmes de maintenance le feront.

Prenez par exemple les 59 véhicules M-2 Bradley fournis par les États-Unis. Selon des informations anecdotiques obtenues sur Reddit, le Bradley est “un cauchemar de maintenance”.

Je ne peux même pas décrire à quel point l’entretien d’un Bradley est une p*** d’horreur“, a déclaré l’auteur, qui se décrit comme un vétéran de l’armée américaine ayant servi dans une unité Bradley en Irak. “Deux équipes expérimentées pourraient peut-être changer la chenille d’un Brad en 3 ou 4 heures, si tout va bien (il y a toujours un problème). Ensuite, il y a les bras d’ajustement de la chenille, les bras de l’amortisseur, les roues porteuses, le pignon lui-même, qui doivent tous être entretenus et remplacés si nécessaire. Je n’ai même pas encore commencé à parler de l’ensemble moteur/transmission. Lorsque vous effectuez des travaux d’entretien, il ne suffit pas de soulever le couvercle du moteur. Il faut enlever le blindage du Bradley pour qu’un véhicule de dépannage M88 puisse utiliser sa grue pour sortir le moteur/la transmission de la coque“.

Le Stryker n’est pas mieux. Selon un article récent paru dans Responsible Statecraft, les soldats américains qui ont utilisé ce véhicule en Irak et en Afghanistan ont qualifié le Stryker de “très bon véhicule de combat, tant qu’il circulait sur les routes, qu’il ne pleuvait pas – et qu’il ne fallait pas se battre.

Stryker Infantry Carrier Vehicle, M1126. (U.S. Army, Public domain, Wikimedia Commons)

Le Stryker est également un système difficile à entretenir correctement. L’une des caractéristiques essentielles du Stryker est le “système de gestion de la hauteur“, ou HMS. En bref, c’est ce qui empêche la coque de rouler sur les pneus. Si le système HMS n’est pas entretenu et surveillé en permanence, la coque frottera contre les pneus, ce qui entraînera une défaillance des pneus et rendra le véhicule inutilisable.

Le HMS est complexe, et l’absence d’entretien ou de fonctionnement d’un composant entraînera la défaillance de l’ensemble du système. La probabilité que les futurs opérateurs ukrainiens du Stryker entretiennent correctement le HMS dans des conditions de combat est proche de zéro – ils n’auront pas la formation ni le “soutien logistique” nécessaire (comme les pièces de rechange).

Le VFI allemand Marder semble représenter un casse-tête similaire pour les Ukrainiens : selon un article paru en 2021 dans The National Interest, “le véhicule était considéré comme peu fiable dès le départ : les chenilles s’usaient rapidement, les transmissions tombaient souvent en panne, et les soldats ne pouvaient pas facilement retirer le moteur du véhicule pour l’entretenir sur le terrain.

L’Allemagne se prépare à investir une somme importante pour moderniser le Marder, mais cela n’a pas encore été fait. L’Ukraine hérite d’un vieux système d’armes qui entraîne un problème de maintenance considérable et elle n’est pas prête à le gérer correctement.

Le CV 90 suédois a connu quelques combats limités en Afghanistan lorsqu’il était déployé avec l’armée norvégienne. Bien qu’il n’existe pas suffisamment de données publiques sur la maintenance de ce système, il suffit de noter que même si le SV 90 s’avère facile à entretenir, il représente un problème de maintenance complètement différent de celui du Bradley, du Stryker ou du Marder.

En bref, pour faire fonctionner correctement les équivalents de cinq bataillons de véhicules de combat d’infanterie promis par ses partenaires de l’OTAN, l’Ukraine devra former ses troupes à la maintenance de quatre systèmes complètement différents, chacun ayant ses propres problèmes et ses propres exigences en matière de soutien logistique et de pièces de rechange.

C’est, littéralement, un cauchemar logistique qui s’avérera finalement être le talon d’Achille de la tranche d’équipements lourds promis à Ramstein.

Et pourtant, même à ce stade, ni l’OTAN ni l’Ukraine ne semblent capables de voir la forêt cachée par l’arbre. Ainsi, plutôt que de reconnaître que le matériel promis est inadéquat pour permettre à l’Ukraine de mener des offensives à grande échelle contre la Russie, les deux parties ont commencé à se chamailler ouvertement sur la question des chars. Sous le feu des critiques, l’Allemagne et sa réticence à tenir la hauteur des engagements pris à Ramstein qui impliquent d’ouvrir la voie à la livraison de chars de combat modernes, les Leopard 2.

Histoire et perceptions allemandes

La session de Ramenstein a été perturbée par les réticences du Parlement allemand qui s’inquiétait de l’image que donnerait la fourniture de chars allemands pour combattre les Russes en Ukraine.

Petr Bystron, du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne, a ainsi résumé cette angoisse. “N’oubliez pas que vos grands-pères ont essayé de faire la même chose, avec les [nationalistes ukrainiens] Melnik, Bandera et leurs partisans“, a-t-il lancé à ses collègues.

Le résultat a été une immense souffrance, des millions de victimes des deux côtés et, finalement, les chars russes sont arrivés ici, à Berlin. Deux de ces chars sont exposés en permanence à proximité, et vous devez garder cela à l’esprit lorsque vous passez devant eux chaque matin“, a déclaré Bystron[2], en faisant référence aux deux chars soviétiques T-34 du mémorial de Tiergarten dédié aux soldats soviétiques morts au combat.

La question des chars Leopard, cependant, était plus politique que technique. En effet, La Pologne menaçait d’ignorer le refus allemand d’autoriser l’envoi des chars à l’Ukraine. Elle avait annoncé qu’elle était prête à envoyer dans un avenir proche 14 des chars Leopard 2 qu’elle possède. De leur côté, les Britanniques avaient promis autant de chars Challenger 2. L’Ukraine recevrait ainsi 28 des 300 chars dont elle dit avoir besoin pour toute offensive future. [Et avec les Abrams américains, on arrive à environ 58 chars.][3]

Disparités numériques et difficultés de maintenance mises à part, les responsables politiques de l’OTAN semblaient plutôt satisfaits de ce qui a été accompli à Ramstein. Selon un discours tenu au Parlement par le secrétaire britannique à la Défense au Parlement : « La communauté internationale reconnaît qu’il est important d’équiper l’Ukraine non seulement pour qu’elle puisse repousser la Russie hors de son territoire mais aussi que pour qu’elle puisse défendre ce qu’elle possède déjà. Le paquet d’aujourd’hui représente une augmentation importante des capacités de l’Ukraine. Cela signifie qu’ils peuvent passer de la résistance à l’expulsion des forces russes du sol ukrainien. »

Un point que Wallace semble ignorer : en donnant à l’Ukraine les moyens de repousser les troupes russes de ce qui fait partie de la Fédération de Russie depuis l’annexion des quatre anciens territoires ukrainiens (Lougansk, Donetsk, Zaporizhia et Kherson), l’OTAN créerait les conditions dans lesquelles la Russie pourrait théoriquement appliquer sa doctrine des armes nucléaires. Ces conditions consisteraient à se défendre contre l’accumulation d’une puissance militaire conventionnelle capable de menacer la survie existentielle de la Russie.

Ce point, la Russie ne l’a pas ignoré. S’exprimant après la fin de la réunion de Ramstein, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré aux journalistes : « Potentiellement, c’est extrêmement dangereux. Cela signifiera porter le conflit à un tout autre niveau, ce qui, bien sûr, ne sera pas de bon augure du point de vue de la sécurité mondiale et paneuropéenne. »

De hauts responsables russes se sont exprimés sur les médias sociaux. Anatoly Antonov, l’ambassadeur russe aux États-Unis, a déclaré sur sa chaîne Telegram : « Cela doit être clair pour tout le monde – nous détruirons toutes les armes fournies au régime de Zelensky par les États-Unis ou l’OTAN. C’est vrai aujourd’hui comme c’était vrai pendant la Grande Guerre patriotique. L’apparition de chars, portant l’insigne nazi, sur le sol de l’ancienne Union soviétique nous incite sans équivoque à renverser le régime néonazi en Ukraine et à créer des conditions normales pour que les peuples voisins de la région puissent vivre en paix comme autrefois. »

Dmitri Medvedev, ancien président russe et proche conseiller du président Vladimir Poutine, a ajouté sur Twitter que ceux qui encouragent une défaite russe risquent de déclencher une ruine mondiale. « Aucun d’entre eux ne comprend que la défaite d’une puissance nucléaire dans une guerre conventionnelle peut conduire à une guerre nucléaire. Les puissances nucléaires n’ont pas été vaincues dans les grands conflits cruciaux pour leur destin. »

Les conséquences pour l’Ukraine

En réalité, les conséquences de la dernière réunion de Ramstein seront bien plus préjudiciables à l’Ukraine qu’à la Russie.

Sous la pression de l’Occident pour qu’il mène une offensive majeure destinée à expulser les forces russes des territoires capturés l’année dernière, le général Zaluzhnyi sera contraint de sacrifier les éventuelles réserves qu’il aurait pu rassembler au terme de la réunion de Ramstein. Il devra s’engager dans des attaques stériles contre un adversaire russe qui est désormais bien différent de celui auquel l’Ukraine a été confrontée en septembre et octobre de l’année dernière.

À l’époque, une armée ukrainienne reconstituée, soutenue par des dizaines de milliards de dollars d’équipement, de formation et de soutien opérationnel de l’OTAN, a pu profiter de forces russes trop dispersées pour reprendre de larges pans de territoire à Kharkov et Kherson.

Aujourd’hui, la présence militaire de la Russie en Ukraine est bien loin de ce qu’elle était à l’automne 2022. À la suite de la décision de Poutine en septembre 2022 de mobiliser 300 000 réservistes, la Russie a non seulement consolidé la ligne de front dans l’est de l’Ukraine, adoptant une position plus défendable, mais elle a également renforcé ses forces avec quelque 80 000 soldats mobilisés. Ce qui lui a permis de soutenir des opérations offensives dans les régions de Donetsk tout en renforçant ses défenses à Kherson et à Lougansk.

Du 24 février à l’automne 2022, la Russie s’est écartée de manière significative de sa doctrine en matière de conflits armés. Désormais, la Russie mènera la guerre selon les règles. Les positions défensives seront établies de manière à faire échouer une attaque concertée de l’OTAN, à la fois en termes de densité de troupes le long de la ligne de front, mais aussi en profondeur (ce qui manquait à l’offensive de Kharkov en septembre 2022) et avec un appui-feu dédié suffisant (là encore, cela manquait en septembre 2022).

De l’aveu même du général Zaluzhnyi, l’Ukraine dispose de forces insuffisantes pour cette tâche. Même si l’Ukraine parvenait à concentrer en un même lieu et au même moment les trois brigades d’hommes et de matériel prévues à la suite de la réunion de Ramstein, les quelque 20 000 soldats que cela implique seraient incapables de percer une position défensive russe définie de manière doctrinale.

L’Ukraine et l’OTAN devraient tenir compte de la leçon d’histoire que Petr Bystron a présentée à ses collègues parlementaires allemands : historiquement, les chars allemands ne font pas bon ménage avec les chars russes sur le sol ukrainien.

De plus, Ben Wallace et Mark Milley devraient prêter attention à l’ordre de bataille des forces russes qui s’opposent à l’armée ukrainienne, en particulier dans les zones de conflit autour de la ville stratégique de Bakhmut. Là-bas, les soldats russes de la 8e armée de la Garde semblent prêts à perpétuer la tradition des héros de Vassili Tchouïkov à Stalingrad et à Berlin, en détruisant les forces du fascisme sur le champ de bataille.

Si les soldats d’aujourd’hui de la 8e armée de la Garde ne devraient pas exposer une nouvelle génération de chars dans le parc de Tiergarten à Berlin, nul doute qu’ils connaissent parfaitement leur héritage historique et ce qui est attendu d’eux.

Ceci, plus que toute autre chose, est la véritable expression de l’effet Ramstein : une relation de cause à effet que l’Occident ne semble ni capable ni désireux de discerner avant que cela ne soit trop tard pour les dizaines de milliers de soldats ukrainiens qui risquent d’être sacrifiés sur l’autel de l’orgueil national et de l’ignorance.

 

Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines des États-Unis qui a servi dans l’ancienne Union soviétique pour la mise en œuvre des traités de contrôle des armements, dans le golfe Persique pendant l’opération Tempête du désert et en Irak pour superviser le désarmement des ADM. Son livre le plus récent est Disarmament in the Time of Perestroika, publié par Clarity Press.

 

Source originale : Consortium News

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

 

Notes:

[1] L’isthme de Perekop est une langue de terra dont la largeur minimale est inférieure à 10 km. C’est le seul point de passage continental vers la presqu’île de Crimée. (NDLR)

[2] Le fait que ce genre de commentaire doive venir d’un député de l’AFD en dit long sur le militarisme qui gangrène la classe politique allemande. (NDLR)

[3] Depuis l’annonce du feu vert allemand, le chiffre d’une centaine de chars Leopard venant de différentes puissances occidentales a été évoqué. (NDLR)

 

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