Débaptisation du rond-point « Edward-Gierek » à Sosnowiec (Pologne) : c’est la mémoire ouvrière qu’ils assassinent !

Le 20 mars 2019, la « Justice » se prononçait pour la débaptisation du rond-point « Edward-Gierek » à Sosnowiec. Comme un pied de nez aux pratiques révisionnistes de l’extrême droite au pouvoir en Pologne, les amis d’Edward Gierek invitent la population, la communauté franco-polonaise, les élus, les partis politiques, les syndicats et associations à multiplier les initiatives mémorielles afin de rappeler le souvenir de cette figure du prolétariat mondial ! Un mineur de charbon devenu dirigeant de la Pologne populaire… Animateur de l’association « Les Amis d’Edward Gierek », Jacques Kmieciak réagit à la décision de la « Justice » polonaise.

 

 

Qui était Edward Gierek ?

 

 

Émigré en France depuis l’âge de dix ans, Edward Gierek (1913 – 2001) travaille dans les mines de charbon du Nord et de potasse d’Alsace.  En raison de sa participation à une grève à la fosse 10 de Leforest (Pas-de-Calais) en août 1934, ce militant communiste et syndicaliste est expulsé de France. Quelques années plus tard, on le retrouve dans les mines du Limbourg, en Belgique. En 1948, soucieux de participer à la reconstruction d’un pays sorti exsangue de la Seconde Guerre mondiale, il fait le choix d’un retour en Pologne. En Silésie d’où il est originaire, il exerce alors d’importantes responsabilités au sein du Parti ouvrier unifié polonais (POUP) au pouvoir. Il est élu député puis dirige la Pologne populaire de 1970 à 1980.

 

 

Pourquoi le régime l’a-t-il pris pour cible ?

 

 

Revenu aux affaires à l’automne 2015, le parti Droit et Justice (PiS) a fait d’Edward Gierek un symbole du « communisme ». Hystériquement anticommuniste, d’inspiration cléricale, nationaliste et russophobe, cette organisation considère aussi qu’Edward Gierek aurait bradé la souveraineté (sic !) de son pays au profit de l’URSS, via l’adoption, en 1975, d’une nouvelle constitution. Edward Gierek a donc été placé sur la « liste noire » établie par l’Institut polonais de la mémoire (IPN) en charge de cette « chasse aux sorcières ».

 

Se conduisant comme un véritable ministère de la Mémoire, l’IPN, soumis à cette extrême droite qui tient les rênes du pays, prétend effacer de la mémoire collective toute référence à la Pologne populaire (1944 – 1989) et au mouvement ouvrier en général. Ainsi, en vertu d’une loi dite de « décommunisation » adoptée en avril 2016, il a été suggéré à la municipalité de Sosnowiec où repose Edward Gierek, de débaptiser le rond-point qui, depuis 2002, porte son nom.

 

 

Comme a-t-elle réagi ?

 

 

La municipalité a refusé s’appuyant sur le fait que les habitants de cette ville industrielle de Silésie, consultés par voie de référendum, n’y étaient pas favorable. Je vous rappelle en effet qu’à une écrasante majorité, la population de Sosnowiec, s’était, en 2017, prononcée contre cette débaptisation. 12 000 citoyens avaient pris part au vote ; 96 % d’entre eux se déclarant pour le maintien du rond-point « Edward-Gierek », tant ce militant ouvrier reste populaire en Silésie. Une région dont il a favorisé le développement dans la deuxième partie du XXe siècle.

 

 

Le gouvernement tente alors de passer en force ?

 

 

Effectivement, en décembre 2017, le voïvode de Silésie (préfet de région) imposait le changement de nom. La municipalité faisait alors appel de cette décision. Finalement, après plusieurs épisodes judiciaires, le 20 mars dernier, la cour administrative centrale de Varsovie donnait raison au représentant de l’Etat.

 

 

Que vous inspire cette décision ?

 

 

Il s’agit tout simplement d’un déni de démocratie. Le PiS qui se vante d’avoir rompu avec les prétendues « années de dictature » de la Pologne populaire, ne tient aucun compte de l’avis de la population.  En imposant aux collectivités locales, une ligne de conduite dans le domaine de la dénomination de rues ou d’équipements publics, le pouvoir rogne par ailleurs leurs prérogatives. L’autonomie communale est mise à mal ; ce qui a d’ailleurs entraîné, un peu partout dans le pays, des recours en justice…

 

 

L’association « Les Amis d’Edward Gierek » a impulsé, ces quinze derniers mois, une forte mobilisation pour le maintien du rond-point « Gierek »…

 

 

La vocation de notre association est « de rappeler le rôle incontournable joué par les travailleurs polonais dans les luttes sociales en France ». Il était naturel que nous nous saisissions du sujet dans la mesure où Edward Gierek s’est, lui aussi, illustré sur le front de classe en s’opposant aux méthodes répressives du patronat des Mines dans l’entre-deux-guerres. Il est vrai également que cette atteinte à la mémoire ouvrière a suscité une vive émotion dans le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Nous n’avons pas été les seuls à mener la contre-offensive.

Le Comité internationaliste pour la solidarité de classe (CISC), le PCF, le PRCF, la CGT, des militants de la France Insoumise, des élus du PS, des démocrates, des républicains sont montés au créneau. Christian Musial, maire de Leforest dont Edward Gierek est « citoyen d’honneur » depuis 1972, a assuré son homologue de Sosnowiec de son soutien. Des pétitions ont été signées et des rassemblements organisés, devant le Colisée à Lens notamment.

Des municipalités comme Grenay, Courrières ou Bully-les-Mines ont adopté des motions de protestation. Cette mobilisation a eu pour point d’orgue, l’inauguration d’une rue « Edward Gierek » à Auby, en juillet 2018, à l’initiative de Freddy Kaczmarek le maire communiste. Comme un pied de nez aux pratiques révisionnistes en vigueur au-delà de l’Oder !

 

 

Ne pourrait-on pas vous reprocher d’entretenir une forme de culte de la personnalité à l’endroit d’Edward Gierek ?

 

 

Edward Gierek n’a guère besoin que son nom soit attribué à un rond-point pour continuer à exister dans la mémoire collective. Comme le soulignait, il y a quelques mois, son fils Adam, aujourd’hui député européen, son œuvre, ses mérites, sont ancrés dans le cœur de la population polonaise, en Silésie tout particulièrement. 

Edward Gierek, selon un sondage publié il y a quelques années, demeurait l’une des « personnalités politiques » les plus populaires de Pologne, avec un certain Karol Wojtyla… Néanmoins, nous ne sous-estimons pas la portée « symbolique » de cette débaptisation. Cet acte est intimement lié à l’image caricaturale de la Pologne populaire renvoyée par le régime.

Pour notre part, nous défendons le bilan « globalement positif » d’une expérience inédite dont les mérites se mesurent aussi à l’aune des dégâts provoqués par la restauration capitaliste en Pologne entamée en 1990.

 

 

Comptez-vous poursuivre la mobilisation ?

 

 

Oui parce qu’il s’agit également de rappeler, ici en France, l’engagement au service d’un idéal émancipateur d’Edward Gierek et de ses semblables. Dans le Nord-Pas-de-Calais notamment, un siècle de présence polonaise est trop souvent réduit à sa seule dimension culturelle, folklorique ou religieuse, au détriment de son aspect social.

 

Or l’écrasante majorité des travailleurs polonais exerçant en France dans l’entre-deux-guerres ont subi l’exploitation capitaliste tant dans l’industrie qu’en milieu rural. Mais dès les années 1920, des ouvriers et paysans polonais ont revendiqué sur les carreaux de fosse, au cœur des cités, dans les usines ou à la campagne, de meilleures conditions de vie et de travail…

 

Lors des grèves de 1936, au sein des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) dans la résistance armée à l’occupant nazie puis comme artisans de l’héroïque grève des mineurs de l’automne 1948, nombreux ont été les Polonais à faire le choix de la lutte des classes et de l’internationalisme… Il est de notre mission d’évoquer ces combats !

 

 

Quelles actions comptez-vous alors entreprendre ?

 

 

 Tout d’abord, les amis d’Edward Gierek convient les municipalités du Bassin minier à suivre l’exemple d’Auby. Un appel va leur être lancé en ce sens. Nous invitons aussi les organisations se revendiquant du mouvement ouvrier (syndicats, etc.) et la communauté franco-polonaise, à prendre des initiatives visant à rappeler le parcours d’un homme qui a payé en 1934, d’un licenciement puis d’une expulsion, son engagement au service du prolétariat. Le contexte de la célébration, en 2019, du centenaire de l’arrivée massive de travailleurs polonais en France, s’y prête forcément.

 

 

Pensez-vous saisir les autorités polonaises ?

 

 

Nous avons déjà interpellé l’ambassadeur de Pologne en France par voie de pétitions. Tomasz Mlynarski est resté muet, figé dans une attitude de mépris. Le maire d’Auby envisagerait d’ailleurs volontiers l’organisation d’un rassemblement devant l’ambassade de Pologne à Paris.

 

Nous comptons aussi signifier aux autorités polonaises qu’elles ne sont pas les bienvenues dans le Nord-Pas-de-Calais, dans le cadre de la célébration de ce centenaire justement… Elles doivent s’attendre à des manifestations de protestation partout où elles mettront les pieds. On ne peut à la fois prétendre célébrer cent ans de présence polonaise en France et, dans le même temps, fouler au pied la mémoire des résistances ouvrières.

 

Non seulement des syndicalistes comme Edward Gierek sont aujourd’hui, en Pologne, dans le collimateur des autorités, mais c’est tout autant le cas des brigadistes internationales ayant combattu le fascisme en Espagne ou des résistants polonais qui se sont élevés contre l’occupation allemande de la France. La Pologne renoue décidément avec ses démons fascisants de l’entre-deux-guerres…

 

 

Le verdict rendu par la cour administrative centrale de Varsovie est-il irrévocable ?

 

 

Certes. Jusqu’au prochain changement de régime…

 

 

 

Source : Investig’Action

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