De la violence dans les relations sociales: Démocratie et libertés en péril!

Les conflits sociaux n’ont jamais été une partie de plaisir.  Quand bien même ont-ils au travers des siècles contribué à une amélioration de la condition humaine.  Ces derniers temps, aussi bien dans le chef des pouvoirs politiques (Macron et sa volonté de faire disparaître les corps intermédiaires, son 49.3 …) que dans celui d’un patronat décomplexé, le passage en force, dans le mépris des règles démocratiques et des principes de la concertation sociale, reprend du poil de la bête.  Au détriment des citoyens, des travailleurs et de leurs représentants, traités comme des malfaiteurs dès qu’ils osent contester l’ordre établi.  C’est la démocratie représentative et les libertés fondamentales qui sont ainsi attaquées sous le prétexte de l’intérêt général ou de la pérennité des affaires.  Avilir l’adversaire plutôt que pratiquer le dialogue social, dans le respect mutuel des parties, semble être le nouveau crédo de ces leaders en costumes trois-pièces avec des dessous kaki.

 

Sus au droit de grève

Depuis plusieurs années déjà, les employeurs et leurs complices politiques n’ont eu de cesse de briser dans l’œuf toute velléité de contestation sociale et de grève.  En opposant le droit de travailler à celui de faire grève, ils trouvent un mobile pour diviser la population en pro- et anti-grévistes.  Et mettent en œuvre toute une série d’actions pour affaiblir les séditieux :  appel à des huissiers, à la police, aux tribunaux, à des sociétés privées de sécurité, etc.  Tout est bon pour casser du gréviste.

On a ainsi traduit en justice des syndicalistes pour entrave grave à la circulation parce qu’ils ont bloqué une autoroute.  Ils ont même été accusés d’avoir provoqué la mort d’une personne qui n’a pas pu, à cause d’un piquet, être soignée à temps.  Le dessein est ici de dégoûter la plus grande partie de la population des actions de grève, afin d’affaiblir encore davantage des syndicats qui se demandent ce qu’ils peuvent encore mettre en œuvre pour relayer le malaise et le mal-être de leurs membres.

C’est la disparition des corps intermédiaires, chère à Emmanuel Macron quoi qu’il en coûte en matière de chaos et de chienlit dans des affrontements spontanés, imprévisibles et désorganisés (Les gilets jaunes), qui devient le but, dans le mépris de toute expression d’insatisfaction de la part des citoyens et des travailleurs.

Le même Macron n’hésitait pas il y a peu de proclamer qu’il fallait réformer les retraites car il avait été élu pour cela.  C’est du révisionnisme politique, quand on se rappelle que les Français l’ont choisi pour ne pas avoir Marine Le Pen à l’Elysée …  Et ce n’est pas en envoyant ses policiers les plus brutaux casser du manifestant ou en réquisitionnant les travailleurs des raffineries qu’il se montre exemplaire défenseur des valeurs républicaines.  Entre Marianne et Rothschild, il y a longtemps qu’il a choisi.

La chasse aux délégués

Même en l’absence de conflit social, les employeurs ne pardonnent rien aux représentants syndicaux au sein de leur entreprise.  Ces derniers font fréquemment l’objet de reproches, de menaces, de surveillance abusive, de discriminations, etc. et d’autant plus s’ils sont remuants, populaires et qu’ils exercent efficacement leur rôle de contre-pouvoir.

A un an des prochaines élections sociales, la période de protection des délégués approchant de son terme, plusieurs délégués dans le collimateur ont été licenciés pour faute grave, souvent pour des causes bénignes, inventées de toute pièce.  Et quand bien même la faute grave ne serait-elle pas reconnue par le tribunal du travail, l’employeur paiera ce qu’il faut, car l’objectif était de se débarrasser du gêneur et surtout pas de le réintégrer dans ses fonction et mission.

En outre, cette stratégie a l’avantage de dissuader nombre de travailleurs de se porter candidats aux prochaines élections.  Coup double donc.

Espionnage chez ING

Faisant suite à un licenciement d’un délégué pour faute grave chez ING, son organisation syndicale a découvert que les délégués, au sein de l’institution bancaire, faisaient l’objet d’une surveillance de leurs fichiers et courriels.  Plainte à été déposée au pénal par le SETCa qui a également saisi l’Autorité de protection des données[1].

Cet énième épisode démontre à souhait la décomplexion des employeurs, malgré leurs chartes des valeurs, par rapport aux législations, à leurs travailleurs, ainsi qu’au respect de leur vie privée.  Leur modèle de gestion, à ces potentats financiers, c’est le XIXe siècle avec sa loi Le Chapelier et l’interdiction d’association des travailleurs.  Tous les moyens sont bons, quoi qu’il en coûte

Interdiction de manifester chez Monoprix

En France, ce n’est guère mieux : trente-neuf salariés sont jugés à Paris pour avoir manifesté dans leur établissement, dénonçant le manque de personnel et le licenciement d’un collègue[2].  Leur crime : des huissiers, mandatés par l’enseigne, ont constaté que les agissements des salariés excédaient les limites du droit de manifester au sein de l’entreprise.  Une question se pose : où auraient-ils dû aller ?  Et comment auraient-ils pu exercer leur droit sans l’excès qui leur est reproché ?

L’avocat de Monoprix, à peine excessif lui aussi, condamne de façon péremptoire cette action :  Si ça n’est pas un trouble illicite à l’ordre public, alors l’Etat de droit est menacé.  Sur ce, l’entreprise demande au juge d’ordonner à tout salarié, de la société ou d’une autre, de ne pas renouveler leur participation sous peine d’être condamné à 1.000 € par personne et par infraction.  Il est donc demandé au juge d’empêcher le personnel d’exercer son droit de grève !  On croit cauchemarder !

Ahold-Delhaize, un pont plus loin

Avec d’autres chroniqueurs de ces pages, nous avons déjà maintes fois alarmé sur les dangers de l’ubérisation de l’économie.  L’éclatement et la marginalisation du salariat, avec ses droits et obligations, sont en cours et deviennent peu à peu pour d’aucuns une évidence, pour d’autres une fatalité.  La décision de franchiser ce qui peut encore l’être est une étape supplémentaire dans la destruction du contrat de travail salarié, au profit de financiers qui rêvent d’entreprises sans travailleurs, voire sans usines (Exemple : Dell en ce qui concerne le matériel informatique).

Les libéraux louent ce progrès et cette anticipation pour survivre, fustigent des syndicats rétrogrades qui instrumentalisent le conflit pour asseoir leur mainmise sur un personnel influençable et naïf, défendent les franchisés qui ne sont pas des esclavagistes, condamnent les actions de blocage du centre de distribution du groupe qui sont tellement dommageables aux magasins, à leur personnel et aux clients qui n’ont plus accès à leurs produits préférés.

Outre la manipulation médiatique, les dirigeants d’Ahold-Delhaize ne cachent rien du mépris qu’ils couvent en eux pour la concertation sociale.  Et quand le ministre Dermagne, en désespoir de cause tant le politique se révèle impuissant dans ce genre d’affaire, désigne un médiateur, ils jouent la montre en espérant que le mouvement de protestation s’épuise d’ici-là.  Dans tout conflit, c’est celui qui demeure le maître du temps qui emporte la partie.  Les patrons d’Ahold-Delhaize et leurs conseillers connaissent Machiavel …

Autre forme de mépris de la concertation sociale, ils font fouiller, comme s’il s’agissait de terroristes, les représentants du personnel par une société de gardiennage avant leur entrée aux conseils d’entreprise et autres réunions dédiées à la procédure en cours, faisant suite à l’annonce de leur décision de franchiser les magasins encore intégrés.

Ils interdisent également, à force d’huissiers et de policiers, aux travailleurs de bloquer les magasins et centres de distribution.  Et louent le pragmatisme (la résignation ?) du personnel flamand qui veut continuer à travailler, alors que les Wallons ne pensent qu’à tout bloquer.  Le communautarisme est également ici instrumentalisé pour dénigrer ceux qui résistent.

Prendre des vessies pour des lanternes …

Quand le ministre Clarinval enjoint aux syndicats de cesser de considérer les franchisés comme des esclavagistes, il déplace à dessein les responsabilités.  Car nous sommes d’accord que les franchisés ne sont pas des esclavagistes, mais des esclaves eux-mêmes, sous le joug d’un groupe qui leur imposera ses règles et ses tarifs, sans aucune marge de manœuvre.

Ce joug se traduira inéluctablement par une pression accrue, via flexibilité des horaires et rognage sur les salaires, indemnités et avantages extra-légaux, sur le personnel en matière de charges et sur la clientèle quant au service et aux prix.  Le seul gagnant dans toute cette histoire étant le donneur d’ordres, à savoir Ahold-Delhaize.  Et nous pouvons parier, malheureusement, que d’autres enseignes suivront cet exemple.

Complicité et silence du monde politique

Malgré quelques gesticulations autant hypocrites que vaines, les partis soi-disant de gauche n’ont guère pu infléchir la volonté patronale de transférer vers des indépendants et leur personnel la responsabilité de rentabiliser leur activité.  Les partis de droite quant à eux estiment, comme il se doit, qu’il s’agit d’un signe de progrès et d’adaptation au monde actuel.  Impuissance et résignation d’un côté, cynisme de l’autre, nous sommes bien gouvernés …

Quelles actions futures ?

Sans vouloir en appeler aux émeutes, nous pouvons décemment nous demander si, face à des adversaires qui ont pour modèle le système d’exploitation du XIXe siècle, la seule réponse crédible à leur donner n’est pas celle de nos grands-aïeuls qui, eux, n’avaient d’autres recours que des actions dures pour faire valoir ou conquérir leurs droits.

En décrédibilisant l’action syndicale, en mettant sciemment tout le monde devant un fait accompli sans aucune marge de négociation, en réprimant toute forme de contestation sociale conforme aux droits des travailleurs et des citoyens, les employeurs et les politiques usent d’un bâton qui pourrait se transformer en boomerang.  Qui sème le vent, récoltera la tempête …

 

Source: Le Drapeau Rouge

Photo: Miguel Discart – Flickr – CC 2.0

Notes:

[1] Le Soir, 14 avril 2023

[2] Le Monde, 31 mars 2023

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