Covid-19 : révélateur d’effets délétères de la destruction du service public dans les hôpitaux et à l’assurance maladie

Issu d’une histoire millénaire, l’Hôpital public en France a été longtemps considéré, depuis la loi Debré de 1958, comme « le meilleur du monde ». Les prémices de sa destruction ont commencé dès le 1er choc pétrolier (1973) mais un temps considérable, 40 ans, s’est écoulé avant que ne se manifestent leurs effets sévèrement délétères. La pandémie CODIV-19 jette une lumière crue sur un système hospitalier paupérisé que défendent pourtant depuis longtemps et de plus en plus fort ses soignants, aides-soignantes, infirmières, médecins.

Ce texte, rédigé par un acteur du système de santé de 1970 à 2015, d’abord à l’Hôpital Public puis à la Sécurité Sociale, a pour finalité de dénoncer le déploiement programmé de politiques néo-libérales mises en orbite dans le milieu des années 1970 et déployées irrémédiablement par les gouvernements successifs depuis le début des années 1980. Ces politiques avaient pour objectif de mettre à genoux ce magnifique outil qu’était l’Hôpital public français pour le privatiser à terme en même temps que son financeur, la Sécurité Sociale. Pour rappel la Sécurité Sociale avait été créée par le ministre communiste Ambroise Croizat dans le cadre du programme du Conseil National de la Résistance à l’issue de la seconde guerre mondiale.

Ce texte vous propose :
1) Une brève histoire de l’Hôpital en France
2) Les mécanismes principaux de la destruction mis en œuvre sans faille par tous les gouvernements successifs depuis le début des années 1980
3) Pourtant, la catastrophe annoncée était parfaitement identifiée par de nombreux acteurs


 

Une brève histoire de l’Hôpital en France

A l’époque médiévale la France se couvre d’une constellation de petites structures d’exclusion et de confinement des lépreux (lazarets, maladreries, maladières, ladreries) tenues par des sœurs catholiques.

Il en subsiste de nombreuses traces dans nos villes et villages à travers le nom des rues notamment.
Un conscrit sur deux était réformé pour lèpre dans les Vosges en 1848 (1), le dernier cas de lèpre autochtone en France métropolitaine date de 1947 en Bretagne. La lèpre subsiste massivement dans la bande tropicale du globe. Des léproseries ont rouvert avec les réfugiés du sud-est asiatique à la fin de la décennie 1970.

Le grand tournant du système hospitalier en Europe a lieu au 17ème siècle. En France Louis XIV, le 27 avril 1656, créait l’Hôpital général, qui avait pour objectif de « mettre au travail les mendiants et de sauver leurs âmes. Il fut presque immédiatement considéré également comme une maison de correction et bientôt une force, c’est-à-dire une prison. Mendiants, vagabonds et prostituées étaient internés dans des asiles publics placés sous le contrôle de l’Hôpital Général»(2).

La Grande Révolution de 1789 va nationaliser les biens du clergé, l’Hôpital devient public mais ne soigne toujours pas. Le sujet à l’époque ce sont les orphelins. Mais la Révolution, malgré le Dr Joseph Ignace Guillottin, ratera sa réforme sanitaire, pourtant bien engagée. La création du statut des officiers de santé qui vont exercer des fonctions médicales sans être médecin, dressera les médecins français durablement contre la république durant le 19ème siècle (3).

C’est le développement des sciences et de la recherche qui vont faire venir les médecins à l’Hôpital, plutôt à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Ils viennent là pour innover et expérimenter les nouvelles techniques sur le matériel humain qui s’y trouve : anesthésie et chirurgie en particulier. Tant et si bien que les gens solvables, voyant la médecine devenir efficace, s’y précipitent, ce qui n’est pas du goût des gouvernements de gauche au début du 20ème siècle. L’Etat qui finance les Hôpitaux où la gratuité est la règle, va interdire l’entrée de l’Hôpital public aux gens solvables. Se développe ainsi le secteur privé, souvent confessionnel à l’époque, qui vient en quelque sorte doublonner l’offre hospitalière.

La particularité de la structure des dépenses hospitalières françaises est issue de cette suroffre autoconcurrentielle. En effet, au début des années 1980 les dépenses hospitalières représentent 60% des dépenses de santé soit 10 points de plus qu’en Allemagne. Rapportée au PIB et à la population, les dépenses hospitalières françaises restent en 2017 supérieures de 15 milliards d’euros aux dépenses allemandes, soit 1487 euros par habitant en France contre 1264 euros en Allemagne (4). Nous reviendrons sur ce point qui peut sembler paradoxal.

Il faudra attendre 1958, quelques années après la création de la Sécurité Sociale à la Libération en 1945 et un tournant médical dans la prise en charge des cancers, des maladies infectieuses, des maladies psychiatriques, pour que Michel Debré, devenu Premier ministre du général de Gaulle, produise la première grande loi hospitalière créant les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) et le statut de mono-appartenant temps plein pour les médecins qui y travaillent. Désormais les médecins hospitaliers vont passer leur temps à l’hôpital pour soigner et faire de la recherche scientifique. Comme l’écrivent l’économiste Philippe Batifoulier et le Professeur de Santé Publique Pierre-Henri Bréchat, « ce ne sont pas ces innovations qui ont soigné les malades, mais la Sécurité Sociale qui leur a permis d’y accéder » (5).

En fait la réforme est largement inspirée par Robert Debré, fondateur de la pédiatrie française, le père du Premier ministre, sous l’œil bienveillant de la Confédération Générale du Travail, syndicat dominant dans la santé à l’époque, puisqu’il avait été médecin des Francs-Tireurs et Partisans à Paris pendant la seconde guerre mondiale. Les 20 ans qui suivront mettront le système hospitalier à l’apogée des systèmes mondiaux grâce à l’articulation indissociable avec son financeur la Sécurité Sociale.

Comment cela fut-il possible ? C’est assez simple. Sous la pression du Comité National du Patronat Français (CNPF, devenu plus tard le Mouvement des Entreprises de France, MEDEF) les cotisations sociales étaient restées bloquées à 8% des salaires depuis 1945 (cotisation patronales et ouvrières). Avec de Gaulle au pouvoir, les cotisations sociales maladie vont passer de 8 à 16% et rendre possible un financement public de l’Hôpital sans précédent par la Sécurité Sociale. Mais, donnant donnant, les syndicats de salariés qui étaient majoritaires dans les caisses de sécurité sociale seront désormais à égalité avec le CNPF. L’alliance du patronat avec le syndicat Force Ouvrière, créé en 1947 dans le cadre du plan Marshall, va permettre au CNPF de dominer les conseils d’administration des caisses. En même temps le pouvoir crée la nouvelle école de formation des agents de direction de la Sécurité Sociale, le Centre National d’Etudes de la Sécurité Sociale (devenu depuis Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale, EN3S). Ces nouveaux professionnels, formés sur le modèle économique dominant, se verront progressivement transférer les pouvoirs des conseils d’administration (6). Aujourd’hui ces conseils ont même perdu leur qualificatif « d’administration ». Ils ne sont plus que des « conseils ».

Puis le choc pétrolier de 1973 survient et les gouvernements dirigés par Raymond Barre vont commencer à élaborer les projets de réformes qui seront appliqués plus tard par les gouvernements socialistes à partir de 1983.

 

Les mécanismes principaux de la destruction mis en œuvre sans faille par tous les gouvernements successifs dès le début des années 1980

Remettons-nous en mémoire la chronologie de la destruction annoncée.
– En 1981 Jean de Kervasdoué est nommé directeur des Hôpitaux au ministère de la Santé dirigé par Jack Ralite, ministre communiste. Il est là pour contrebalancer les orientations du ministre issu du milieu culturel. Il change, avec le décret du 1er août 1983, le mode de financement de l’Hôpital public en imposant la Dotation Globale de Financement (DGF) en remplacement du financement au prix de journée.

En effet le prix de journée s’avérait inflationniste. C’est pourquoi lui est substituée la DGF que l’on peut contraindre en réduisant le taux directeur (pourcentage de croissance annuelle de la dotation) année après année. Le paradoxe toutefois réside dans le fait qu’on laisse persister le prix de journée et le paiement à l’acte pour les cliniques privées. C’est bien l’Hôpital public qui est visé, lui seul.
Ce financement n’est pas perçu pendant plusieurs années comme contraignant tant la progression des taux directeurs annuels est confortable et tant il est facile d’obtenir des rallonges financières par les services de l’Etat régionaux et départementaux.

Se met en place en 1985 la Commission dite de l’article 35 entre les hôpitaux, l’Etat et la Sécurité Sociale. Cette commission se réunit une fois par an. Il s’y instaure un dialogue de gestion qui fait le point sur les dépenses de chaque hôpital, financées par la Sécurité Sociale. Les médecins conseils font part des constats de leurs analyses réalisées au lit des malades hospitalisés avec les praticiens hospitaliers. Ces analyses permettent de définir un taux d’inadéquation des malades présents dans un service hospitalier un jour donnée. A terme il s’agit de réduire la durée des séjours hospitaliers afin de fermer les lits correspondants et réduire ainsi le personnel, dont la masse salariale hospitalière représente 80% de la dépense hospitalière en 1980. Elle représente en 2019 entre 60 et 85% des dépenses totales (7). Il est difficile de trouver aujourd’hui, sur les sites du ministère de la santé, le chiffrage réel de la masse salariale globale de l’hôpital public.

– Il se trouve que Jean de Kervasdoué est titulaire d’un Master of Business Administration et d’un doctorat en socio-économie de l’Université Cornell aux États-Unis. Lors de ce séjour il a pris connaissance et étudié le système d’information hospitalier conçu par Robert Fetter de l’université de Yale (Usa). Il diffusera ce système d’information sous le nom de Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information, le PMSI qui deviendra plus tard Tarification à l’Activité (TAA), aux hôpitaux et à certaines cliniques expérimentales. Une quarantaine de praticiens hospitaliers des Antilles sont sélectionnés pour tester la formation à ce système dès 1985 à Fort de France par Jean Salin de la Direction des Hôpitaux, après un voyage éclair de Jean de Kervasdoué en Martinique pour présenter son projet à ce même public.

« Cette réforme du financement de l’hôpital, commune aux pays riches, est intimement liée au contexte de réduction des budgets publics et de formatage de la dépense sociale en termes de coût. Soigner à la pathologie implique aussi de payer à la pathologie. Les hôpitaux seront financés, quand le système sera mature, en fonction du coût estimé des soins pour une pathologie donnée, quel que soit l’hôpital concerné. Ce système standardise les prises en charge hospitalières, qu’elles que soient les populations concernées. Le malade n’existe plus. Le système de Fetter comprend au départ moins de 600 situations cliniques [Diagnosis Related Groups, DRG en anglais, Groupe Homogène de Malades, GHM en français (par exemple : appendicectomie non compliquée chez un enfant de moins de 12 ans avec un tarif standard]. En France le système initial composé de 700 situations différentes passe à 2300 (plus 320%) entre 2005 et 2011. Les Allemands n’augmenteront que de 40% le nombre de situations et les Anglais de 100% ». (5)

Après son départ du ministère de la santé en 1986 Jean de Kervasdoué fondera une société privée, la SANESCO pour faire fructifier les affaires des droits du PMSI qu’il avait acheté à Robert Fetter. C’est Michèle Barzac, ministre de la santé, qui généralisera le PMSI en 1987 (gouvernement Jacques Chirac de cohabitation avec François Mitterrand comme président).
Bien évidemment, selon les déclarations de la ministre, ce système n’était pas fait pour financer les établissements de santé mais pour que les gestionnaires puissent coupler les informations médicales avec la comptabilité analytique. L’objectif était donc simplement de connaître la nature de la production hospitalière. C’est le début de la bureaucratisation de l’Hôpital public et ce système d’information mettra 20 ans pour arriver à sa maturité (5).

– Puis ce sera le plan Juppé, avec Jacques Barrot comme ministre de la Santé, soutenu par la Confédération Française Du Travail (CFDT), avec la création des Agences Régionales de l’Hospitalisation (ARH) en 1996. Cette réforme va accélérer la restructuration du système hospitalier. Le système d’information, très peu développé à l’époque (tous les établissements et tous les services concernés ne l’acceptent pas forcément) ne permet pas un nouveau changement du mode de financement hospitalier. La Dotation Globale de Financement commence toutefois à contraindre l’Hôpital. Services de l’Etat (Direction régionales et Directions Départementales de l’Action Sanitaire et Sociales) et Sécurité Sociale (Caisses Primaires, Caisses Régionales, Service du Contrôle Médial de la Cnamts) sont dépossédées de leurs prérogatives, de leur pouvoir, de leur légitimité au profit de ces nouvelles Agences Régionales.
Ces entités sont quand même consultées dans une Commission exécutive aux mains d’un préfet de l’Hôpital, nommé en conseil des ministres. Il a pour mission de maîtriser les dépenses de l’Hôpital public.
Proposons à ce stade d’évoquer les travaux de Johann Chapoutot (8) sur « le management, du nazisme à aujourd’hui ». Il précise que l’affaiblissement de l’Etat est facilité par la création d’Agences avec à leur tête des gens malléables, révocables, sans tradition. Pour l’anecdote, en 1996, en Picardie, un directeur des conserveries Bonduel, conserverie agro-alimentaire, a été nommé directeur de l’ARH de Picardie.

– Une dizaine d’années plus tard, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avec François Fillon comme Premier ministre et Roselyne Bachelot comme ministre de la santé, les ARH deviennent des Agences Régionales de Santé (ARS), dirigées cette fois ci par des préfets sanitaires. Elles ont la main sur l’ensemble du système de santé en 2009. Le financement de l’Hôpital public et des cliniques privées va évoluer et reposer à 100% sur la tarification à l’activité (T2A) permise cette fois par un PMSI exhaustif: «la France a adopté un financement à l’activité en médecine, chirurgie et obstétrique à 100 %, ce qu’aucun pays au monde n’a fait. De plus, cette T2A est paradoxale car c’est une des plus complexes sans pour autant tenir compte de la spécificité des besoins de tout un chacun. En privilégiant la réduction des coûts, elle s’est éloignée de l’objet qu’elle est censée financer : la santé»(5).

Ce mode de financement est « axé sur la logique de performance à laquelle les personnels sont invités à adhérer. Ces personnels dominés par une culture de service public sont invités à se conduire comme des travailleurs de n’importe quelle entreprise»(9). C’est un vaste mouvement de privatisation.

En conséquence les restructurations hospitalières vont s’accélérer. Les 70 000 lits supprimés en 30 ans manquent cruellement aujourd’hui, en période de pandémie COVID-19. Certes le nom de Mme Bachelot est associé à une pléthore de masque et de vaccins à l’occasion de l’épidémie de grippe H1N1 en 2009. Cette épidémie a fait 383 morts alors que très peu de gens se sont faits vaccinés ou ont porté des masques. Mais cela ne doit pas nous faire oublier le formidable travail de poursuite de destruction de l’Hôpital public dans cette période.

– En 2013, sous la Présidence de François Hollande, avec Jean-Marc Ayrault comme premier ministre et Marisol Touraine comme ministre de la santé, un Accord National Inter-régime (ANI) intervient pour confier aux entreprises l’obligation de fournir à leurs salariés une complémentaire santé. On continue à relativiser le rôle de la Sécurité Sociale qui en 2017 ne prend plus en charge que 77,8 % des soins contre 93% au Royaume-Uni et plus de 80% en Norvège ou au Japon. Tandis que le reste à charge pour les patients s’accroît, notamment en fonction de la lourdeur de leurs pathologies (9).

Cet accord vient compléter les réformes en cours depuis les années 1980. En parallèle et dans la même orientation économique « une autre forme de privatisation concerne le financement des soins et s’organise autour du transfert de charge entre la Sécurité sociale et les assurances santé privées, appelées en France assurances complémentaires et qui peuvent prendre trois formes juridiques : mutuelles, sociétés d’assurance et instituts de prévoyance. Il s’agit d’une privatisation imposée au sens où elle est subie par les malades qui doivent débourser plus pour payer leur prime d’assurance et accéder aux soins » (9). A travers le désengagement progressif de la Sécurité Sociale, mais aussi des mutuelles, ce sont les assurances privées qui sont en train de prendre le marché. La perspective est de disposer, comme aux Etats Unis, d’un système public de solidarité pour les pauvres et les vieux, comme le Medicare et le Medicaid. D’ailleurs, depuis 2017 (Président Macron) le ministère concerné est devenu Ministère des Solidarités et de la Santé.

Ainsi, pour la résumer, la recette est simple: changer le mode de financement de l’hôpital, l’informatiser pour recueillir des données médicales, désactiver l’administration sanitaire de l’Etat. Tout en marginalisant la Sécurité Sociale, en confiant le rôle de pression économique à des Agences, permettant un double mouvement de privatisation : de l’Hôpital et de la Sécurité Sociale.
Cette chronologie traduit bien la notion de gradualité décrite par Noam CHOMSKY (10). Il s’agit d’une stratégie de manipulation de masse, parmi d’autres, destinée à introduire des mesures que les personnes n’accepteraient généralement pas. Elle consiste à les appliquer petit à petit, de manière à les rendre pratiquement imperceptibles. Pour cela il faut la durée et la constance. Les alternances politiques successives depuis 1981 vont permettre cet exercice.

 

Pourtant la catastrophe annoncée était visible, connue, dénoncée, en premier lieu par les soignants eux-mêmes

 

Souvenons-nous des tentes d’infirmières installées avenue de Ségur à Paris durant plusieurs années à partir de 1995 devant le ministère de la santé que jamais personne n’a osé déloger.
Observons les services hospitaliers des urgences en grève chronique depuis mars 2019 bien avant la pandémie Covid-19.

Ecoutons ces centaines de médecins chef de service hospitaliers en grève de leurs fonctions administratives depuis mars 2019.

Attristons-nous des démissions massives de praticiens hospitaliers allant exercer dans les cliniques privées, parfois pour des raisons lucratives, le plus souvent en raison de leurs conditions d’exercice déplorables dans le public.

Regardons les salaires des infirmières, aides-soignantes, assistantes des services hospitaliers, fonctionnaires de l’Etat, très mal payées et sur le front de la tuerie aujourd’hui.

Ailleurs, à l’Hôpital, à la Sécurité Sociale, des initiatives conjointes, plus discrètes il est vrai, ont été prises pour essayer de détourner la trajectoire constante et irrémédiable de l’Etat et des directeurs successifs de la Sécurité Sociale. Prenons en exemple le partenariat construit avec des représentants de l’Etat américain de l’UTAH, qui ont calqué leur service de santé sur le modèle français d’avant. Leur système est le plus performant et le moins coûteux des USA : « pourquoi êtes-vous en train de détruire votre système de santé alors que nous nous basons sur lui pour réussir le nôtre ? » (11).

« D’autres systèmes de santé et d’assurance maladie, notamment états-uniens, arrivent à devenir efficients, efficaces socialement, solidaires et durables. Pour eux, l’efficience est définie à la fois comme l’amélioration et la qualité et de la sécurité des soins donnés et comme la réduction de leurs coûts de production. L’amélioration continue de la qualité favorise la réduction des coûts de la « nonqualité », c’est-à-dire du gaspillage ou de tout service sans vraie valeur ajoutée pour le patient, comme les prescriptions inutiles ou les activités en doublon pour les établissements, ainsi que la diminution du nombre d’infections nosocomiales ou autres événements indésirables graves, et le nombre de plaintes d’usagers ». (12)

Un partenariat a été mis en place entre la chaire Science Po Paris, le Directeur du Service médial d’Ile de France et les responsables américains d’Inter Moutain Healthcare dans l’Utah. Des échanges ont eu lieu, des médecins ont été formés à Salt Lake City. Des responsables du Ministère de la Santé et de l’Assurance maladie ont été rencontrés avec les équipes de l’Utah. Rien n’y a fait et pendant ce temps la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (dirigée cette fois par Nicola Revel, ancien directeur de cabinet de François Hollande) supprimait la Mission des Relations Internationales, le service charges et produits, chargé des rapports de propositions pour améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses, présentés chaque année par l’Assurance Maladie au Gouvernement et au Parlement, ainsi que son expérimentation de prévention à travers « Santé Active » (12).

De ministre de gauche, à ministre de droite, de directeur de de la Sécurité Sociale (Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, CNAMTS) de droite et de gauche rencontrés, toujours de l’écoute sans jamais de réorientation de la trajectoire délétère.

Au regard de la pandémie Covid-19 chacun a pu mesurer l’incapacité des ARS à gérer cette crise sanitaire. Elles n’ont pas été créées pour cela et ont subi il est vrai de sévères réductions de personnel sur ces 10 dernières années. Devant les difficultés d’approvisionnement, les hôpitaux se sont coordonnés eux-mêmes, c’est notamment vrai pour l’approvisionnement des services de réanimation en curare ou en hypnotique.

Et pourtant, comme nous l’avons souligné, la France dépense plus par habitant et pour l’hôpital que l’Allemagne. C’est bien le système de financement qui est en cause. Avec un financement à 100% par la T2A, les gestionnaires hospitaliers ne développent que les activités lucratives. Finie la prise en charge des diabétiques aux maux perforants plantaires, fini les services de réanimation qui mobilisent trop de personnel et des produits coûteux. Il faut rentabiliser le financement de l’Hôpital et réduire au maximum la masse salariale pour pouvoir demain vendre un outil lucratif aux grands groupes mondiaux de cliniques privées, à l’instar de Vinci pour les autoroutes : Ramsay GDS, Elsan, Medipôle, Capio France, Vivalto Santé.

Chacun se souviendra définitivement des déclarations de Christophe Lannelongue, Directeur de l’ARS Grand-Est, ancien conseiller de Marisol Touraine, limogé de son poste le 8 avril 2020 après ses déclarations insupportables pour les soignants en surmenage dans la lutte contre la pandémie. Il réaffirmait que le plan de restructuration du CHU de Nancy était maintenu et se traduirait par la suppression de 498 salariés et 174 lits ! « Je fais mon boulot » déclare-t-il aux médias qui l’interrogent. Oui, il fait son boulot, un boulot qui tue. Viendra le temps des conséquences judiciaires qui s’abattront à n’en pas douter sur les responsables actuels mais il ne faudra pas oublier la chaîne politique qui a entrainé ce désastre.
Quel sera l’Hôpital de demain ? Nos dirigeants louent le travail des soignants, certains parlent de primes. Les soignants ne veulent pas d’aumône, ils veulent de la considération pour leur travail et des revalorisations tangibles en raison de leur compétence et de leur exposition au risque.
Les Agences feront-elles partie du monde d’après ? On peut le redouter, pour le pire, c’est-à-dire pour les futures crises sanitaires et sociales qui découleront du désastre écologique de notre siècle.
Et si demain il est question de relocaliser certaines productions « souveraines », commençons par relocaliser le système de santé et de sécurité sociale » au cœur des responsabilités de l’Etat et de la Sécurité Sociale : démocratie politique, démocratie sociale.

Postface

Avec le recul de 5 années de retraite, avec la crise Covid-19 en cours, l’auteur de ce texte a souhaité faire le point entre ce qu’il avait vécu ces 50 dernières années et les nombreux travaux issus de professionnels de santé publique, d’économistes, sociologues… Il n’a eu que partiellement conscience des enjeux réels en les vivant et essaie de décoder a posteriori la réalité de ce qui se mettait en œuvre au cours des réformes ininterrompues dans le domaine de la santé depuis les années 1980.

 

*Bernard Schmitt, fonctions exercées
– Médecin chef de service, Centre de santé urbain de Fès El J’did, Willaya de Fès – Maroc – Maître de conférence en anatomie et physiologie humains au Centre pédagogique régional de Fès Saïs – Maroc – Médecin chef de service de l’Hôpital Louis Daniel Beauperthuy de Pointe-Noire – Région Antilles Guyane – Médecin conseil, Cnamts – Région Nord-Pas-de-Calais Picardie – Médecin conseil chef de service, Cnamts – Région Aquitaine – Médecin conseil régional adjoint, Cnamts – Région Centre – Médecin conseil régional, Directeur du service médical, Cnamts – Région Bourgogne Franche Comté – Médecin conseil régional, Directeur du service médical, Cnamts – Région Nord-Pas-de-Calais-Picardie – Médecin conseil régional, Directeur du service médical, Cnamts – Région Ile de France

Références bibliographiques

(1) Pierre Rothiot, 150 ans au Service du Peuple, Pour la France et la Liberté, édité à compte d’auteur en 1979 (2) Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge moderne, Gallimard 1972 (3) Didier Tabuteau, Santé et politique en France, 2012) (4) Fondation IFRAP, comparaisons des dépenses de santé France-Allemagne (5) Philippe Batifoulier, Didier Castiel et Pierre-Henri Bréchat, La Tarification à l’Activité : une complexité contre-productive pour la santé des populations, les Tribunes de la Santé 2017 n°54 (6) Bernard Friot, Crise financière, laissons crever les banques, Le Media, YouTube, 13 mars 2020 (7) Ministère des solidarités et de la santé, 2018 (8) Johann Chapoutot, Le management, du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2020 (9) Philippe Batifoulier, Réformes de la santé : une diversité de privatisation, L’Economie politique 2018/4 n°80 page 50 à 61 (10) Noam Chomsky, la fabrication du consentement, De la propagande médiatique en démocratie, avec Edward Herman, Agone, 2008, (ISBN 9782748900729). Voir modèle de propagande. (11) Brent Jones, Inter Moutain Healthcare, Utah, 2015 (12) Pierre-Henri Bréchat, Sauvons notre système de santé, Presses de l’Ehesp, 2015

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