Colombie :”L’accord de paix doit entraîner la disparition du paramilitarisme”

Le 23 septembre dernier, un important accord a été conclu entre les FARC et le gouvernement colombien de Juan Manuel Santos, ce qui constitue une avancée positive vers la paix si attendue dans ce pays, après 60 années de conflit. Quels enjeux se présentent désormais et quelles étapes vont suivre dans ce chemin parsemé d’obstacles ? Un envoyé spécial d’Investig’Action est allé à la rencontre de la commandante Victoria Sandino, un des acteurs-clés de cet accord historique qui vient d’être conclu et dont les répercussions auront une portée indiscutable pour toute l’Amérique du Sud.

{{{La fin du conflit semble proche, quelles sont vos impressions ?}}}

La fin du conflit armé, qui s’est prolongé pendant plus de 60 ans, est en effet proche. Mais les conflits n‘en seront pas terminés pour autant car la paix ne fait que commencer à se construire. De très importantes luttes sociales vont très certainement suivre et la lutte sera longue. Mais nous souhaitons que la fin de la guerre, du conflit armé, arrive bientôt. Nous pensons que c’est possible si de larges couches de la société s’y engagent et s’il y a la volonté, en particulier la volonté politique de l’autre partie, de reconnaître qu’elle n’a pas pu vaincre un groupe insurrectionnel comme le nôtre pendant près de 60 ans. Ce sera également possible grâce au soutien du monde entier, de la communauté internationale, des organisations populaires et sociales, démocratiques et des gouvernements voulant soutenir le processus

{{{De nombreux secteurs au sein de la gauche colombienne, telles que les organisations sociales, paysannes et d’étudiants, voient d’un œil méfiant ce qui peut arriver après les négociations à La Havane. Que leur répondriez-vous ?}}}

Eh bien, que leur méfiance est valable, tout comme la préoccupation à propos de l’avenir qui nous attend en Colombie. Le résultat dépendra de l’effort et la participation de tout le monde. Autrement dit, le processus ne pourra avancer que s’il y a une volonté politique de la part du régime pour mettre en oeuvre les changements nécessaires en Colombie. Mais si la conception actuelle de la guerre – avec cette théorie de la «sécurité intérieure » qui menace tous ceux qui protestent – ne prend pas fin, alors le phénomène du paramilitarisme se poursuivra, de même que la persécution et la stigmatisation des mouvements sociaux. Ce dont nous avons besoin est justement d’en finir avec tous ces fléaux qui ont frappé la Colombie depuis plus de 50 ans. Donc, cette préoccupation est valable, mais il est nécessaire d’être présent, d’agir ensemble, de s’exprimer, et il est surtout indispensable qu’il y ait une réelle décision politique de la part des élites pour la mise en place de ces changements.

{{{De nombreuses organisations sociales en Europe ont manifesté leur solidarité avec le processus colombien. Quel rôle, à votre avis, la communauté internationale pourrait-elle jouer dans le processus de paix avec les FARC ?}}}

Mon premier message est un message de gratitude à toutes les organisations et personnes qui font un travail très important pour la paix en Colombie. Je leur dirais que leur travail doit continuer, que nous ne devons pas nous en arrêter là. Le plus important est de soutenir le processus jusqu’à ce que, je l’espère, on aboutisse à la signature d’un accord définitif. D’autre part, il s’agira de vérifier la mise en œuvre de ces accords ainsi que des garanties dont les Colombiens doivent disposer, et surtout de faire valoir les accords que notre organisation, qui sera déjà à ce moment-là devenue un mouvement politique, a négociés avec le gouvernement.

Pour le dire plus précisément : il faut qu’il y ait des garanties politiques, comme celle du droit à la vie, pour pouvoir exercer la politique ouvertement, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours aux armes. C’est pourquoi le rôle de la communauté internationale va être fondamental, ainsi que sa participation directe, pour que nous puissions obtenir un espace démocratique dans lequel les accords prennent forme.

Et il est surtout nécessaire de changer complètement la vision qui prévaut aujourd’hui. La Colombie est devenu un pays stigmatisé, et les organisations sociales le sont tout autant. Bien sûr parmi elles, nous, les Farc, qui nous sommes battues pendant plus de 50 ans, et avons été fortement stigmatisées. Nous avons été baptisées “organisations terroristes”, nuisibles à la population ou au pays. Il faut dépasser ces clichés, nous devons nous faire connaître tels que nous sommes. A ce sujet, les échanges avec les personnes du monde entier peuvent être utiles, les différents groupes pourront nous rendre visite sur place, avec des équipes de travail qui vérifieront de près ce que nous aurons obtenu et poursuivront le travail.

{{{Pensez-vous que la mise en œuvre de ces accords partiels soit faisable ?}}}

Oui, sans aucun doute. Les accords ne représentent pas une transformation majeure. C’est tout simplement le passage d’un pays en guerre, violent, en crise … à un état différent. Toutes les propositions de changement du pays que nous, les FARC, avons soulevées sont des propositions qui ont été entendues dans d’autres pays plus développés. Comme les questions de la terre, des grands propriétaires, la participation politique accessible à la grande majorité de la société… c’est à dire, que les gens ne soient pas assassinés quand ils ont une opinion différente, quand ils sont dans l’opposition. Il est parfaitement possible d’ouvrir des espaces démocratiques.

Entretien réalisé à La Havana, Cuba, août 2015

Source: Investig’Action / El Turbion

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