Chine-Bolivie-écologie : un espoir pour la planète?

L’initiative « Belt and Road » (BRI) et le tout récent « Partenariat régional économique global » (RCEP) concernent plus de deux tiers des pays du monde qui se sont rassemblés autour de la Chine. Une majorité d’entre eux sont des pays à faible revenus (PFR)1. Ceux-ci sont entraînés vers un modèle économique que la Chine a développé sur son propre territoire depuis les réformes de Deng Xiaoping, un modèle où les entreprises nationales ouvrent leur portefeuille aux capitaux étrangers, mais où elle garde son pouvoir décisionnel.

Les industries et exploitations minières liées aux technologies vertes, de plus en prolifiques, obéissent aussi à ce modèle qui s’avère bénéfique et même salvateur pour nombre de PFR. La Bolivie qui était le pays le plus pauvre d’Amérique latine, alors qu’il possède les plus grandes réserves de lithium, est un exemple d’une relation win-win établie avec la Chine. Cela ne plaît pas aux pays occidentaux qui ont engagé une guerre froide contre ce pernicieux dragon. Mais la « civilisation écologique » prônée par Xi Jinping menée par une économie de partenariat ne représente-t-elle pas un réel espoir pour la planète ?

 

Une pollution délocalisée

Dans son projet de « civilisation écologique », la Chine se montre déterminée à poursuivre la voie du développement vert, bas carbone et durable. Depuis 2009, la superficie des ressources forestières en Chine a augmenté de plus de 70 millions d’hectares, soit la plus forte progression au monde. En 2019, les émissions de dioxyde de carbone par unité de Produit intérieur brut (PIB) ont diminué de 48,1% par rapport à celles en 2005, et les énergies non fossiles ont représenté 15,3% des consommations des énergies primaires. Les investissements dans les énergies renouvelables ont dépassé 100 milliards de dollars en 5 années successives et le parc automobile des véhicules à énergies nouvelles a dépassé la moitié du volume mondial.

Cependant, « il n’existe pas de produit zéro impact, zéro C02. Ce n’est pas possible, la transition énergétique est un immense greenwashingOn fait semblant d’être propre et en réalité on est sale. On a simplement délocalisé la pollution », note Philippe Bihouix, ingénieur et membre de l’Institut Momentum dans le documentaire « La face cachée des énergies vertes », présenté par Investigation (RTBF) le 18 novembre 2020.2 Si les énergies renouvelables permettent de s’affranchir du pétrole, elles sont dépendantes d’autres matières premières, principalement des « terres rares » (TR).

Ces TR ne sont pas des terres, mais des métaux, et ne sont pas aussi rares que leur nom l’indique. Certains d’entre eux, comme le lanthane, entrent dans la composition des batteries de voitures électriques, des rotors d’éoliennes, des panneaux photovoltaïques, et d’autres applications industrielles concernant les technologies dites « vertes ». Le lithium et le cobalt qui font partie de la polémique mise en avant par le documentaire ne sont pas des terres rares, mais des métaux rares ; ils sont utilisés dans les batteries Li-ion des voitures électriques et dans celles des smartphones. Le cuivre est aussi un métal qui se raréfie car il est surexploité pour le câblage électrique qui quadrille les boyaux de nos mégalopoles et les relie entre elles.

Le documentaire pointe sévèrement la Chine du doigt car, affirme-t-il, “elle détient 75% des métaux rares de la planète”. « Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine a des terres rares », prédisait déjà le visionnaire Deng Xiaoping en 1992. Elle possède, entre autres, d’immenses mines de graphite qui sont exploitées dans le Heilongjiang, au nord du pays. « Les ouvriers travaillent dans des usines archaïques, quasiment sans protection. Et les résidus du graphite sont disséminés, tel un tapis de déchets toxiques, dans la campagne environnante. Dans cette région agricole, les arbres n’ont plus de feuilles. Toutes les plantes sont malades », dénonce le documentaire d’Investigation qui évite de mentionner que depuis décembre 2016 les autorités de Pékin ont inspecté plus de 400 compagnies actives dans l’extraction et la transformation de terres rares et fermé de nombreuses mines en infraction par rapport aux normes écologiques.3

La Chine, bien que premier producteur mondial de terres rares ne détient pas la majorité des réserves : le 75% dénoncé par le documentaire dégringole à 36,2% selon le Département des recherches statistiques (voir tableau) 4. Le Brésil, avec des réserves estimées à 22 millions de tonnes (soit plus de la moitié de celles de la Chine), l’Inde, les États-Unis, le Canada, le Groenland, la Russie, l’Australie, l’Afrique du Sud, le Vietnam, la Thaïlande et plusieurs pays en Afrique de l’Est, notamment, disposent d’importants gisements. (voir carte)5

 

La Chine, un modèle économique pour les pays à faibles revenus (PFR)

Depuis le début des années 2000, la Chine a mis en place une politique où elle restreint ses exportations de minerais bruts pour garder la valeur ajoutée. « Elle ne veut plus de la ligne colonialiste où les Occidentaux n’iraient chercher que la matière pour la transformer chez eux. La Chine met des quotas à l’exportation, mais donne un accès illimité aux entreprises qui viennent s’installer dans le pays. Elle convoite l’aval de la filière, c’est-à-dire les industries des hautes technologies utilisatrices de terres rares. »6

Pékin garde le pouvoir de décision sur ses entreprises d’État, entre autres celles concernant les technologies vertes, en conservant au moins 51% des capitaux et demande aux entreprises occidentales qui désirent investir sur son territoire d’apporter les structures industrielles, les emplois qualifiés, le savoir-faire, les laboratoires de recherche. Elle utilise ces connaissances pour son propre développement. C’est ainsi qu’elle est devenue premier producteur d’énergies vertes au mondephotovoltaïquespremière puissance hydroélectriqueéolien et premier marché mondial des voitures à nouvelles énergies (électrique et hydrogène).

Ce modèle économique où l’État reste maître de la production et de la distribution n’est pas le capitalisme débridé qui vaut à l’Occident un déclin de plus en plus évident. Et plus de gagner la course aux technologies vertes, la Chine souffle un vent nouveau sur de nombreux pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. La Chine leur sert de modèle et les entraîne vers une nationalisation des ressources minières : dorénavant, les exploitations locales devront alimenter la consommation intérieure plutôt que satisfaire les appétits des pays clients. Cela ne plaît pas aux Occidentaux dont les positions dans ces PFR se fissurent de partout, d’où un « China bashing » qui s’intensifie.

La République démocratique du Congo (RDC) assure à elle seule les deux tiers de la production mondiale de cobalt, estimée à 148.000 tonnes en 2015 par la British Geological Survey ; elle compte aussi d’importants gisements de cuivre et autres métaux et minéraux convoités par les colonisateurs belges depuis la fin du 19ème siècle. En accord avec sa propre logique, la Chine a débarqué en RDC avec ses infrastructures industrielles et routières, son personnel qualifié, son savoir-faire ; elle s’est installée au Congo où elle s’emploie à raffiner 48.000 tonnes de cobalt par an, c-à-d près de la moitié du cobalt disponible sur le marché mondial.

Plusieurs joint-ventures d’exploitation minière ont été conclues entre la RDC et la Chine, par exemple, la Deziwa créée en 2017 et détenue par l’opérateur minier public Gécamines (49 %) et le groupe China Nonferrous Metal Compagny (51 %). En janvier 2020, la société a inauguré son usine ultramoderne de raffinage de cuivre et de cobalt, située dans la province du Lualaba, à environ 35 km à l’est de la ville de Kolwezi.7 D’autres exemples de joint-ventures8 indiquent une tendance de plus en plus marquée en RDC de se tourner vers le modèle chinois. Kinshasa accueille les capitaux étrangers quels que soient leur provenance, mais garde plus de 50% du portefeuille des entreprises. L’envolée des cours du cobalt et du cuivre due aux technologies vertes profite ainsi à l’économie et au développement du pays.

Le modèle chinois séduit de plus en plus de pays africains, et la Chine est devenue le plus grand partenaire bilatéral de l’Afrique pour les projets d’énergie propre du continent. D’ici à la fin de 2020, plus de 10 % de la capacité totale de production d’électricité en Afrique sera consacrée à des projets d’énergie propre développés grâce au soutien financier de la Chine et construits par des entreprises chinoises.9

 

La Chine et les États-Unis se disputent le lithium de la Bolivie

La Bolivie détient 65% du lithium de la planète, un métal alcalin indispensable à la production de batteries des voitures électriques, des téléphones, des ordinateurs portables, etc. Le plus grand gisement mondial de cet « or blanc » se situe dans le « salar d’Uyuni », un immense désert de sel à l’Ouest de la Bolivie. « Cette exploitation du lithium ne profitera pas aux multinationales du Nord, mais aux Boliviens », a déclaré fermement Evo Morales, président de la Bolivie. L’année même de son investiture, en 2006, il a nationalisé l’exploitation du lithium, et deux ans plus tard fut créée la société publique de lithium, Yacimientos de Litio Bolivianos (YLB).

Les États-Unis qui avaient pris l’habitude de considérer les pays d’Amérique latine comme leur « arrière-cour » ont réagi immédiatement et ont décidé unilatéralement que les mines boliviennes de lithium devraient être placées sous le contrôle de sociétés nord-américaines, comme celle du milliardaire Elon Musk. Les élections boliviennes d’octobre 2019 où Evo Morales briguait un quatrième mandat furent une occasion pour l’Organisation des États américains (OEA) de « redresser la situation ». L’OEA a soutenu le Parti conservateur de Bolivie, largement minoritaire qui, prétextant la fraude électorale, a délégitimé la victoire d’Evo Morales ; Jeanine Áñez, issue du parti conservateur, fut nommée présidente par intérim et des nouvelles élections furent programmées pour l’année suivante.

Quelques mois avant ce coup d’État, en février 2019, la Bolivie avait annoncé qu’elle avait choisi la société chinoise Xinjiang TBEA Group Co Ltd pour détenir 49 % des parts de la société publique YLB. Le modèle chinois était respecté, la Bolivie conservait plus de 50% des capitaux de l’entreprise. La société chinoise TBEA fournissait déjà des technologies écologiques et des équipements énergétiques respectueux de l’environnement dans plus de 60 pays, dont les États-Unis, la Russie, le Brésil, la Mongolie, le Tadjikistan, le Kirghizistan, le Pakistan, etc.

La Bolivie comptait sur cette joint-venture avec la Chine pour faire de la Bolivie le quatrième producteur mondial de lithium dès 2021. L’entreprise chinoise devait fournir l’investissement initial dans le projet dont le coût était estimé à au moins 2,3 milliards de dollars. En mettant en place un tel partenariat avec la Chine où la Bolivie gardait le pouvoir de décision sur son exploitation de lithium, le gouvernement de Morales prévoyait de stimuler une reprise économique dont le pays avait grand besoin. Par ailleurs, la joint-venture Bolivie-Chine pour l’exploitation du lithium cadrait avec le vaste projet chinois « One Belt One Road » (OBOR), ou Belt and Road, auquel Evo Morales avait adhéré en 2018.

Un monde vert ceinturé par la Chine

Au départ, la « Belt and Road Initiative » (BRI), lancée en 2013 par Xi Jinping, visait à construire un réseau d’infrastructures – principalement de transports englobant des voies ferrées et des voies navigables, des ports et des gares de fret – entre la Chine et les pays d’Asie et d’Europe situés le long des anciennes routes commerciales de la soie. Une soixantaine de pays étaient concernés. Mais le projet a vite évolué et a englobé d’autres infrastructures comme celles des télécommunications, des data centers, des parcs industriels, des énergies, du tourisme, des douanes, de la jurisprudence, etc.

Puis, au forum économique de Davos en 2017, la Chine a fait savoir qu’elle prévoyait d’injecter 113 milliards de dollars au financement de la BRI ; elle projetait d’y inclure des pays africains et des pays d’Amérique latine. La BRI a été ajouté à la constitution chinoise cette année-là. Finalement, en 2020, ce sont 143 pays, soit plus des deux tiers des pays dans le monde, qui ont signé des accords bilatéraux avec la Chine dans le cadre de la BRI. La Chine est devenue pourvoyeuse de financements pour de nombreux pays émergeants et de PFR (pays à faibles revenus) ; la RDC et la Bolivie sont loin d’être des exceptions.

États membres de la nouvelle route de la soie en 2019.

 

Il n’en fallait pas plus pour que l’Occident s’alarme de l’éveil du vieux dragon et fourbisse ses armes pour défendre ses intérêts. Alors que les États-Unis émettent actuellement deux fois plus de carbone par personne (16,5 tonnes) que la Chine (sept tonnes), l’Occident a déclaré que la BRI ne serait pas compatible avec l’objectif des 2°C contenu dans l’accord de Paris, et il a dicté ses règles: « renforcer les normes environnementales et sociales dans l’instruction et le suivi des projets, systématiser les évaluations d’impact économique, social et environnemental des projets, ou se fixer un volume de projets à co-bénéfices climat-biodiversité. Il faudrait également inscrire obligatoirement les investissements dans les trajectoires de développement durable de long terme des États, en cohérence avec leurs contributions nationales (NDCs) à l’accord de Paris et favoriser la transparence des financements alloués. »10 Sans se formaliser, les autorités chinoises ont pris des mesures pour favoriser la prise en compte des enjeux environnementaux dans la BRI.

De la promotion de la conclusion de l’Accord de Paris à la mise en œuvre intégrale de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques, en passant par le « verdissement de la BRI », la Chine s’est résolument engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ses efforts ont d’ailleurs été applaudis par la communauté internationale. Tout en s’acquittant de ses obligations internationales selon des critères de plus en plus exigeants, la Chine ne cesse de se fixer de nouveaux objectifs environnementaux et de prendre de nouveaux engagements climatiques. Après avoir atteint ses objectifs pour 2020, deux ans avant la date prévue, le Président Xi Jinping a déclaré que la Chine s’efforcerait d’atteindre le pic des émissions de dioxyde de carbone avant 2030 et de parvenir à la neutralité carbone avant 2060.

Néanmoins, le « China bashing » bat son plein, et encore d’avantage depuis la victoire de la Chine sur le Covid-19 ; il nous paraît presque indécent que ce soit la Chine qui ait gagné ce match contre le coronavirus. Pour L’Express toutefois, « il est possible d’anticiper l’émergence de deux pôles rivaux, l’un mené par les États-Unis, l’autre par la Chine. La polarisation des relations internationales pourrait alors se renforcer et s’illustrer par une compétition entre réseaux d’infrastructures, normes, institutions internationales… États-Unis et Chine disposeraient chacun de leurs réseaux, normes et institutions. Ils en feraient bénéficier en premier lieu leurs partenaires. »11

Cependant, les pays d’Europe occidentale, ceux qui « font l’Europe », adoptent le slogan « ni Washington ni Pékin ». Pire, la France oscille entre l’enthousiasme pour une Chine « qui va réussir la transition écologique grâce aux nouvelles technologies » et des conseils de décroissance vantant les transports low-tech et le retour aux vélos-cargos.12 L’indécision atavique du vieux continent apporte inévitablement un soutien à la guerre froide menée par Washington, « or celle-ci est une menace non seulement pour la Chine, mais aussi pour l’humanité tout entière », avertit Fiona Edwards.13

 

Le « monde civilisé » engage un guerre froide contre la Chine

L’objectif de cette guerre froide contre la Chine est de dépeindre cette dernière comme l’ennemi principal des questions majeures posées actuellement à l’humanité, à savoir celles du changement climatique, de la pauvreté galopante, du racisme et de l’exclusion des réfugiés, du risque de nouvelles pandémies. En réalité, les États-Unis tentent par tous les moyens de freiner l’envol du dragon : la Chine est la seule grande économie du monde qui devrait connaître une croissance de 1,9 % en 2020, et elle sera responsable de la majeure partie de la croissance mondiale en 2021, avec un taux de croissance prévu de 8,2 %. Quant à l’économie américaine, elle devrait se contracter de 4,3 % en 2020, puis ne croître que de 3,1 % en 2021.14

La relation sino-américaine ressemble à une partie de go géante. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis se sont appliqués à disposer leurs pions stratégiquement tout autour de la Chine. Mais pendant le mandat d’un Trump qui s’échinait à fermer les frontières et à élever des murs, la Chine a gardé la main haute sur le go-ban (plateau de jeu) et la BRI chinoise s’est tranquillement étendue jusqu’aux portes des États-Unis avec 13 pays signataires d’Amérique latine : Uruguay, Chili, Bolivie, Pérou, Équateur, Suriname, Guyane, Venezuela, Panama, Salvadore, République dominicaine, Jamaïque, Cuba. Il n’est pas étonnant que l’élection récente de Joe Biden n’ait pas enthousiasmé Pékin, et pour cause, durant la campagne électorale, le démocrate avait traité de « voyou » le président chinois Xi Jinping. « C’est un type qui n’a pas le moindre ossement de démocratie dans son squelette », avait-il déclaré.15 La partie est loin d’être terminée et, avec le nouveau duo de Washington, elle risque de se montrer plus rude pour la Chine.

Cependant, à peine une semaine après l’annonce de la victoire de Biden et Harris, la Chine a réussi un coup de maître. Quinze pays d’Asie et du Pacifique ont signé l’accord commercial le plus important du monde en terme de PIB, le Partenariat régional économique global (RCEP). Cet accord qui représente 30% du PIB mondial, concerne plus de 2 milliards d’habitants (plus du quart de la population mondiale) et vise à créer une gigantesque zone de libre-échange entre les 10 États de l’Asean – Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei – et la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.16 C’est d’autant plus remarquable que la Chine a réussi à y inclure non seulement l’Australie, malgré une sinophobie répandue, mais aussi le Japon, malgré le lourd contentieux historique.

 

« La signature du RCEP n’est pas seulement une réalisation marquante de la coopération régionale en Asie de l’Est, mais aussi une victoire du multilatéralisme et du libre-échange », a déclaré M. Li Keqiang, Premier ministre chinois dans un discours prononcé lors du sommet. La Chine devrait être un bénéficiaire majeur de l’accord du RCEP, avec des gains potentiels de 85 milliards de dollars pour son PIB, selon les projections du Peterson Institute for International Economics basé aux États-Unis. Si une telle estimation ne fait qu’accroître la crainte du péril “jaune-rouge-vert” dans le chef de la plupart des pays occidentaux, il n’en va pas de même pour les PFR, ni des pays impliqués dans la BRI, c-à-d pas moins des deux tiers des pays du monde.

 

Des relations extérieures basées sur le “win-win”

Quand la Bolivie a signé un accord avec la Chine pour se joindre à la BRI, Evo Morales a déclaré que « le soutien et l’aide de la Chine au développement économique et social de la Bolivie n’est jamais assorti de conditions politiques. »17 En effet, une ligne de conduite de la diplomatie à laquelle se tient strictement Pékin est de ne jamais se mêler des affaires internes des pays avec qui elle établit des accords. Cela lui permet d’engager des relations avec des pays très à droite comme l’Argentine de Mauricio Macri et son parti justicialiste, et les relations restent alors d’ordre purement économique, ou avec des pays très à gauche comme Cuba, le Venezuela de Hugo Chávez (président de 1999 à 2013), ou la Bolivie du Mouvement vers le socialisme (MAS), et les relations vont alors au-delà des seuls accords économiques.

Voilà toute la différence d’avec les États-Unis et de ses suivistes européens : quand ceux-ci engagent des relations extérieures, c’est immanquablement dans un but hégémonique. Que cela passe par le biais de la diplomatie, de l’économie ou des armes, les conditions politiques avancées par les États-Unis servent toujours les intérêts de la classe dominante. « La différence entre la manière dont les États-Unis et la Chine interagissent avec les pays d’Amérique latine est évidente et profonde, la première étant basée sur des relations de domination et de subordination et la seconde sur des relations de coopération et d’intérêt mutuel », explique Fiona Edwards.18 Mais quand la Chine propose de construire un « avenir commun pour l’humanité », avec la coopération et le multilatéralisme comme valeurs essentielles, nous la taxons d’hypocrite et de « faussement colonialiste ».

Les analystes montrent pourtant que les relations extérieures engagées par la Chine se basent sur une relation win-win, une relation dans laquelle ni l’une ni l’autre partie ne se sent lésée, où ni l’une ni l’autre « ne perd la face » pour le dire « à la chinoise ». Les joint-ventures avec les pays africains ou le commerce bilatéral entre la Chine et la Bolivie sont des exemples. Entre 2005 et 2014, le PIB de la Bolivie triple, passant de 9.5 milliards de dollars à 30,3 milliards. Le PIB par habitant, quelque 1.000 dollars, passe à 2.757 dollars, et le salaire minimum de 72 dollars à 206 dollars, générant un flux de fonds qui permet au gouvernement d’investir dans les programmes sociaux et dans les infrastructures publiques, 19 entre autres, grâce au partenariat avec la Chine concernant l’exploitation du lithium. Dans ce type de relations, il n’y a pas un dominant et un dominé, mais les deux parties s’en sortent gagnantes.

Un exemple concret d’une coopération win-win eut lieu en décembre 2013, lorsque la Chine a lancé le premier satellite de télécommunications bolivien depuis la base chinoise de Xichang située au Sichuan. Le satellite a été baptisé Tupac Katari, du nom du héros aymara d’une révolte indienne contre l’occupation coloniale espagnole en 1781, un symbole de la lutte contre le colonialisme. Les forces armées boliviennes ont indiqué que Tupac Katari serait un outil précieux pour « consolider les centres de contrôle, de renseignement et d’information du commandement afin de lutter contre les risques, les catastrophes et surveiller les situations d’urgence », sous-entendu des catastrophes et des états d’urgence engendrés par le voisin impérialiste.

« La Bolivie est un petit pays, elle n’a pas les compétences nécessaires pour lancer une fusée dans l’espace, elle a donc travaillé avec la Chine pour lancer le satellite qui fournit maintenant l’internet et le signal téléphonique à tous les coins du pays… bien que la Chine ait apporté son expérience et une grande partie de l’investissement, elle n’a pas cherché à s’approprier le produit final. Ce satellite appartient à la Bolivie », a expliqué le journaliste bolivien, Ollie Vargas, dans son discours prononcé le 26 septembre 2020 lors du Forum international pour la paix organisé par la campagne internationale « NoColdWar ».20 En coopérant de cette manière avec la Bolivie, la Chine a gagné un allié situé à proximité des États-Unis et un satellite capable de surveiller les agissements américains.

Vargas a ajouté : « Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de la façon dont la Chine interagit avec le monde dans des conditions pacifiques, en cherchant des partenaires égaux, en recherchant la coopération plutôt que la domination, plutôt que la dépendance. La Chine est une source d’inspiration pour des pays comme la Bolivie, une source d’inspiration pour sortir d’une situation de pauvreté indigne et de dépendance coloniale ».

 

Des attentes similaires et des similitudes de pensée

Le dimanche 18 octobre 2020, la victoire écrasante du MAS (le Mouvement pour le socialisme), avec Luis Arce à la tête de la présidence, a été fêtée par une majorité des 11 millions de Boliviens. Le discours d’investiture prononcé par le vice-président, David Choquehuanca, a donné le ton à une nouvelle phase dans laquelle s’est engagée la Bolivie.21 Ce discours qui résonne avec les fondements traditionnels de la pensée chinoise démontre que la relation entre ces deux peuples n’est pas uniquement économique. Elle va bien au-delà, elle touche à une approche similaire de l’être humain, de l’environnement, de la vie, de l’univers.

Choquehuanca a ouvert son discours au nom « des cultures millénaires, des peuples et de la vie, des cultures qui ont conservé leurs origines depuis la nuit des temps, des cultures qui savent que tout est lié, sans division ni exclusion. » En appelant les Boliviens à s’unir dans ce « tout », on ne peut s’empêcher de penser au caractère holiste de la pensée chinoise. Et quand il parle de « l’Uyuni » comme étant « une communauté composée de plusieurs familles travaillant de façon collective dans un territoire de propriété commune, un système d’organisation qui n’est pas réservé aux êtres humains, mais qui fait partie de la vie tout entière, de tout ce qui existe, de tout ce qui s’écoule en équilibre avec notre planète, notre mère-terre », on se souvient des communautés villageoises de la Chine qui partagent aussi ce travail en collectivités.

Le vice-président a plaidé pour que « personne ne manque de rien, pour augmenter le bien-être collectif et individuel par l’entraide et la solidarité, car, a-t-il dit : aider nous apprend à grandir et à être heureux », et d’invoquer « le retour à un temps d’équilibre où peut s’exprimer à nouveau le langage de la vie, un temps où l’empathie et le bien collectif remplacent l’individualisme, la fin de l’égocentrisme, la fin de l’anthropocentrisme et de l’eurocentrisme. » La lutte contre la pauvreté est aussi une priorité pour la Chine : « en 40 ans, elle a sorti 800 millions de personnes de la pauvreté grâce à des traçages précis des endroits et des causes de la pauvreté, et grâce aux appels à l’entraide et à la coopération entre les régions aisées et les régions pauvres », a expliqué Mattéo Marchisio, représentant du IFAD pour la Chine (Fond international de développement agricole) si bien que la Chine est elle-même devenue un partenaire essentiel de l’IFAD.22

À l’instar de la Chine qui lutte contre l’impérialisme et la domination de l’Occident sur le reste de la planète, Choquehuanca n’a pas hésité à déplorer le temps de la colonisation et de la soumission: « Notre pensée originelle a systématiquement été soumise à celle des colons, mais ils n’ont pas réussi à nous faire disparaître », a-t-il déclaré. « Nous ne cherchions pas l’affrontement, nous voulions la paix, nous n’appartenons pas à la culture de la guerre ni à celle de la domination. Notre lutte vise toute tentative de soumission et combat la pensée unique, coloniale et patriarcale. Nous défendrons les trésors sacrés de notre culture face à toute ingérence, nous défendrons la souveraineté de nos peuples, nos ressources naturelles, nos libertés et nos droits ». Il a ajouté que le pouvoir tout comme l’économie doivent circuler, être redistribués, « ils doivent s’écouler comme le sang dans l’organisme ». Il a appelé de ses vœux « le retour au temps de l’homme libre, celui qui n’a pas de maître, car personne dans ce monde ne doit se sentir maître de quiconque ou propriétaire de quoi que ce soit. »

La pensée des opposés-complémentaires, si typique du yin-yang chinois, était au cœur du discours du vice-président bolivien: « nous sommes dans une période de récupération de notre identité, de nos racines culturelles, là où nous savons comment gérer les énergies complémentaires, la complémentarité des opposés, la dualité et l’harmonie entre la gauche et la droite, la jeunesse rebelle et la sagesse des anciens, entre les limites de la science et la nature sans faille, entre les minorités créatives et les majorités traditionnelles, entre les malades et ceux qui ne le sont pas, entre les gouvernants et les gouvernés. Ensemble nous sommes plus forts pour revenir au centre de la terre, au point de rencontre des forces positives et négatives, pour retrouver le lieu où les opposés et les antagonismes coexistent, pour retourner à l’équilibre qui laisse émerger la sagesse des civilisations, celles qui vivaient en intime union avec le cosmos, la terre, la nature. Notre vérité est très simple: le condor prend son envol à condition que son aile droite soit en parfait équilibre avec son aile gauche. L’idée de la rencontre entre l’esprit et la matière, le ciel et la terre, pachamama et pachacama, nous permet de penser qu’une femme et un homme nouveaux puissent ensemble guérir l’humanité, puisse guérir la planète. »

Si la Chine se montre très active en matière de conservation de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique, ce n’est pas uniquement parce que « écologie » rime avec « économie », c’est aussi parce que sa civilisation s’est toujours voulue en harmonie avec le vivant. Elle le concrétise aujourd’hui alors que, pour des raisons d’ingérences politiques suivies de faillite économique, elle s’était éloignée de cette philosophie de la vie. En mai 2021, elle sera l’hôte de la « biodiversité » qui aura la tâche difficile de fixer de nouveaux objectifs mondiaux en la matière.

Et si on y croyait, au « dragon jaune » dont le rouge de son cœur bat depuis plus de 70 ans ? Si on y croyait, à sa voie vers un monde vert pour qu’avec la Bolivie et les autres pays qui s’unissent à la Chine, nous retrouvions « le chemin du respect pour nos peuples, pour nos prairies, pour la pluie, pour nos montagnes, pour nos rivières, pour notre terre-mère » ?

 

Source: Chine-Ecologie

Notes :

1 Qu’on appellait “pays du tiers-monde”, puis “pays en voie de développement”

https://www.rtbf.be/info/dossier/investigation/detail_investigation-la-face-cachee-des-energies-vertes?id=10633672

https://www.automobile-propre.com/vehicules-electriques-terres-rares-florilege-fake-news/

https://fr.statista.com/statistiques/559703/terres-rares-distribution-des-reserves-mondiales-en/

https://www.automobile-propre.com/vehicules-electriques-terres-rares-florilege-fake-news/

https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/chine-monopole-production-terres-rares-51380/

https://www.jeuneafrique.com/881802/economie/rdc-la-gecamines-et-son-partenaire-chinois-inaugurent-le-projet-de-deziwa-sans-albert-yuma/

https://www.jeuneafrique.com/mag/858270/economie/en-rdc-le-pari-chinois-de-robert-friedland/

https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/china-world-s-biggest-polluter-and-climate-activist

10 https://theconversation.com/de-nouvelles-routes-de-la-soie-durables-un-defi-impossible-130672

11 https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/chine-et-etats-unis-vers-une-rivalite-tres-dure_2038258.html

12 https://reporterre.net/Le-secretariat-au-numerique-vante-le-modele-chinois-sur-l-ecologie

13 https://www.legrandsoir.info/la-gauche-doit-s-opposer-a-la-guerre-froide-des-etats-unis-contre-la-chine-et-non-s-abstenir-de-prendre-position.html

14 https://www.legrandsoir.info/bolivie-la-grande-victoire-contre-l-imperialisme-americain-et-les-immenses-defis-a-venir.html

15 AFP, 13/11/2020

16 https://www.lalibre.be/international/asie/quinze-pays-d-asie-et-du-pacifique-signent-un-vaste-accord-de-libre-echange-promu-par-la-chine-5fb0d9489978e20e7059d483

17 https://www.legrandsoir.info/bolivie-la-grande-victoire-contre-l-imperialisme-americain-et-les-immenses-defis-a-venir.html

18 https://www.legrandsoir.info/bolivie-l-essor-de-la-chine-une-inspiration-dans-la-lutte-contre-la-pauvrete-et-l-indignite-imposees-par-les-etats-unis.html

19 https://www.rtbf.be/info/economie/detail_la-bolivie-profite-d-une-manne-economique-effet-des-nationalisations?id=8376099

20 https://www.legrandsoir.info/bolivie-l-essor-de-la-chine-une-inspiration-dans-la-lutte-contre-la-pauvrete-et-l-indignite-imposees-par-les-etats-unis.html

21 https://www.youtube.com/watch?v=xLnTJ7WoI10&feature=share&fbclid=IwAR3L5_wDmG17FHc2sMP4XVjfR1y7H6VObl7zYEHA3Q8Of-s49a5uo55lcNo

22 https://www.facebook.com/lachineaupresent/videos/22262211921394

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