Charte des Nations Unies – La guerre en Ukraine et notre engagement pour la paix

Diplomate expérimenté, Michael von der Schulenburg a longtemps travaillé pour les Nations Unies. Il analyse la guerre d’Ukraine à la lumière du droit international. Droit que la Russie a bafoué en envahissant son pays voisin évidemment. Mais Moscou ne porte pas seule la responsabilité du désastre. Le diplomate explique comment l’Occident a semé les graines du conflit et comment il privilégie le recours aux armes plutôt que la négociation, ce qui est une infraction manifeste à la Charte de l’ONU. Explications.


Si l’on argumente à nouveau aujourd’hui qu’une paix ne peut être obtenue que par la force des armes, c’est un retour à l’é poque belliqueuse d’avant la Charte des Nations Unies de 1945. La guerre en Ukraine est entrée dans sa deuxième année – sans même qu’une tentative de solution diplomatique ne soit entreprise. En lieu et place de pourparlers de paix, les parties en guerre et en conflit ont continué à s’enliser dans une dangereuse spirale d’escalade militaire avec l’utilisation de systèmes d’armes de plus en plus lourds. Comme si nous étions encore prisonniers des schémas de pensée de la première moitié du XXe siècle, des offensives militaires de grande envergure doivent désormais apporter la solution.

Cela ne fera que détruire davantage l’Ukraine. Mais une conséquence encore plus dangereuse est que le prestige des deux plus grandes puissances nucléaires du monde – les Etats-Unis et la Russie – dépend de l’issue de telles offensives. Le risque d’une confrontation directe entre ces puissances nucléaires, qui possèdent environ 90% de toutes les armes nucléaires du monde, augmente donc.

Après la Première et la Seconde Guerre mondiale, ce serait la troisième fois qu’une guerre dégénère en guerre mondiale sur le sol européen, mais cette fois avec des conséquences potentiellement bien plus dévastatrices. La grande majorité de la population mondiale non impliquée dans la guerre souffre déjà des conséquences économiques de cette dernière; une guerre nucléaire pourrait anéantir toute vie sur terre – sans distinction d’appartenance à une partie belligérante ou non. Une situation de guerre s’est donc créée, que nos ancêtres avaient voulu éviter en adoptant la Charte des Nations Unies.

Le préambule de la Charte des Nations Unies stipule que «nous, les peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances».

Malheureusement, cet appel de la Charte des Nations Unies semble aujourd’hui oublié. Cela est principalement dû au fait que les véritables puissances protectrices (et membres fondateurs de l’ONU) de la Charte de l’ONU – les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et maintenant la Russie – ont continuellement érodé les principes de la Charte de l’ONU, voire les ont totalement ignorés à maintes reprises. Ils peuvent le faire en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU avec droit de veto. Dans la guerre d’Ukraine, ces quatre puissances de protection et de veto sont devenues des parties au conflit. Elles portent ainsi la responsabilité prédominante de cette guerre vis-à-vis de l’humanité.

La Charte de l’ONU est d’abord un impératif de paix et ensuite seulement une interdiction de guerre

Un reproche constamment répété en Occident est que la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine est contraire au droit international et que l’Ukraine a donc non seulement le droit de se défendre, mais aussi de demander l’aide d’autres Etats pour se défendre. C’est indéniable, puisque cette affirmation se fonde sur la Charte des Nations Unies. Mais la Charte des Nations Unies donne-t-elle aussi à l’Occident le droit de poursuivre cette guerre à sa guise, de rechercher une victoire militaire sur la Russie et de refuser tout effort de paix pour ces raisons? Certainement pas!

Car au fond, la Charte des Nations Unies est un engagement mutuel de tous les pays membres à résoudre les conflits de manière pacifique; c’est la seule base de l’interdiction générale de l’utilisation de la force militaire à des fins politiques – et non l’inverse. La Charte des Nations Unies n’est justement pas un accord de cessez-le-feu global, mais une invitation à tous les pays membres à garantir une paix mondiale par des moyens pacifiques. La Charte est d’abord un impératif de paix et ensuite seulement une interdiction de guerre! C’est cet aspect de l’impératif de paix qui rompt avec une logique militaire qui a conduit à tant de guerres par le passé, notamment en Europe. Si l’on argumente à nouveau aujourd’hui qu’une paix ne peut être obtenue que par la force des armes – donc par la guerre –, c’est un retour à l’é poque belliqueuse d’avant la Charte des Nations Unies.

La Charte de l’ONU stipule également que la tâche principale consiste à…

«… maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin: prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’é carter les menaces à la paix, et réprimer tout acte d’agression ou autres rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix.»

Et encore plus clairement:

«Les membres de l’Organisation, règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.»

L’obligation de résoudre les conflits de manière pacifique n’existe pas seulement pour prévenir les guerres, mais aussi pour y mettre fin. Ainsi, la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 2 mars 2022, qui condamne fermement l’intervention militaire de la Russie, appelle non seulement la Russie et l’Ukraine, mais aussi tous les Etats concernés à trouver une solution pacifique à la guerre en Ukraine:

«L’Assemblée générale demande instamment le règlement pacifique immédiat du conflit entre la Fédération de Russie et l’Ukraine par le dialogue politique, les négociations, la médiation et d’autres moyens pacifiques.»

A bien des égards, la Charte des Nations Unies est bien supérieure à la vision actuelle en noir et blanc d’un monde divisé entre le bien et le mal, voire entre des Etats prétendument démocratiques et autoritaires. Ainsi, la Charte des Nations Unies ne connaît pas de termes tels que «guerre d’agression», «guerre préventive», «guerre antiterroriste» ou même «guerre humanitaire». Elle ne fait pas de distinction entre les systèmes politiques respectifs des pays membres, ni entre les points de désaccord justifiés ou non des parties en conflit. La Charte de l’ONU part du principe qu’il y a toujours deux parties à chaque conflit, qui doivent être équilibrées par des moyens pacifiques. Appliqués à la guerre d’Ukraine, les intérêts de sécurité de la Russie et ceux de l’Ukraine auraient été égaux et auraient dû être résolus par des négociations.

La lourde part de responsabilité de l’Occident dans la guerre en Ukraine

La gravité du conflit croissant sur l’extension de l’OTAN aux frontières de la Russie, qui a maintenant conduit à la guerre, était claire pour tous les participants au moins depuis 1994.

La Russie a averti à plusieurs reprises que l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN porterait atteinte à ses intérêts élémentaires de sécurité et qu’une ligne rouge serait ainsi franchie. Il s’agit donc d’un conflit classique, comme il s’en produit souvent.

Conformément à la Charte des Nations Unies, ce conflit aurait dû – et sans doute pu – être résolu diplomatiquement. Mais cela n’a pas été fait, ni pour éviter une guerre, ni pour obtenir une issue pacifique à une guerre qui a déjà commencé. Il s’agit là aussi d’une violation de la Charte des Nations Unies.

Pourtant, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN a été systématiquement poursuivie, surtout de la part des Etats-Unis, et les réserves de la Russie ont tout simplement été ignorées. Cela n’a pas été sans provocations. L’Occident n’a même pas hésité à soutenir en 2014 le renversement par la force d’un président légitimement élu (selon l’OSCE), afin de mettre en place en Ukraine un gouvernement favorable à l’adhésion à l’OTAN. Selon Victoria Nuland, aujourd’hui secrétaire d’Etat adjointe des Etats-Unis, les Etats-Unis ont financé ce renversement à hauteur de 5 milliards de dollars, mais en réalité, le montant était probablement bien plus élevé. Il s’agissait là aussi d’une violation grossière de la souveraineté d’un membre de l’ONU et donc d’une violation de la Charte de l’ONU.

Après les récentes déclarations d’Angela Merkel et de François Hollande sur les Accords de Minsk I et Minsk II, on peut également se demander si ces accords ont été négociés de bonne foi par l’Occident ou s’ils avaient pour seul objectif de gagner du temps pour le réarmement militaire de l’Ukraine. Ces accords étant devenus juridiquement contraignants par décision du Conseil de sécurité de l’ONU, il s’agirait d’une travestie choquante de tout droit international.

Lorsqu’en décembre 2021, la Russie a répondu à la décision de l’OTAN de poursuivre l’adhésion de l’Ukraine par un geste de menace et a rassemblé des troupes à la frontière avec l’Ukraine, elle a en même temps fait une nouvelle tentative pour parvenir à une solution pacifique. Cela a certes donné lieu à une série d’activités diplomatiques, mais les discussions sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ont été catégoriquement rejetées par les interlocuteurs occidentaux. En février 2022, le gouvernement ukrainien a même répondu par des bombardements massifs du Donbass, contrôlé par les rebelles pro-russes, et de sa population civile.

Même après le déclenchement de la guerre, tous les efforts de paix entrepris ont été torpillés par l’OTAN, en particulier par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Dès la première semaine de mars 2022, le Premier ministre israélien de l’é poque, Naftali Bennet, s’est efforcé d’obtenir un cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine. Selon ses récentes déclarations, la Russie et l’Ukraine avaient tout intérêt à ce que la guerre se termine rapidement. Selon Bennet, un cessez-le-feu était «à portée de main» grâce aux concessions de la Russie. Mais cela n’a pas eu lieu, car «ils (les Etats-Unis et la Grande-Bretagne) ont bloqué un cessez-le-feu, et je pense qu’ils avaient tort», poursuit Bennet.

Et puis il y a eu les négociations de paix ukraino-russes, au cours desquelles les deux parties se sont mises d’accord sur les grandes lignes d’un accord de paix dès la troisième semaine de mars, soit un mois seulement après le début de la guerre: l’Ukraine a promis de ne pas adhérer à l’OTAN et de n’autoriser aucune base militaire de puissances étrangères sur son territoire, tandis que la Russie a promis en contrepartie de reconnaître l’intégrité territoriale de l’Ukraine et de retirer toutes les troupes d’occupation russes. Des dispositions spéciales ont été prises pour le Donbass et la Crimée.

Ces grandes lignes devaient être développées lors d’une conférence de paix à Istanbul prévue pour le 29 mars 2022. Mais l’Ukraine s’est alors retirée des négociations de paix sous la pression des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Le ministre turc des Affaires étrangères Çavuşoğlu a déclaré plus tard à propos de l’échec de la conférence de paix d’Istanbul: «Certains pays de l’OTAN voulaient que la guerre se poursuive en Ukraine afin d’affaiblir la Russie.»

Combien de souffrances, combien de vies humaines et combien de destructions auraient pu être évitées si l’OTAN s’é tait rangée derrière les efforts de paix ukraino-russes en mars? Mais pour les avoir empêchés, les pays de l’OTAN portent une lourde part de responsabilité dans les victimes de la guerre depuis cette époque.

Un mot encore sur la défense de l’Ukraine: le président Zelensky s’é tait bien efforcé de trouver rapidement une solution pacifique à la guerre qui venait d’éclater. Il avait demandé au Premier ministre israélien Bennet une médiation avec la Russie et c’est lui qui avait autorisé les négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie. Le 27 mars 2022 encore, Zelensky avait fait preuve de courage en défendant publiquement les résultats des négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie devant des journalistes russes – et ce, bien que l’OTAN ait décidé dès le 24 mars 2022, lors d’un sommet spécial, de ne pas soutenir ces négociations de paix. Finalement, Zelensky a cédé à la pression de l’OTAN et a misé sur la poursuite de la guerre.

Cette décision a désormais entraîné une destruction à grande échelle de l’Ukraine, des souffrances incommensurables pour la population civile locale et la perte de grandes parties de l’Ukraine. Aujourd’hui, la position de négociation de l’Ukraine serait bien plus mauvaise qu’elle ne l’é tait encore en mars 2022. Cela explique certainement la position actuelle de Zelensky, qui mise désormais tout sur une victoire totale sur la Russie.

Mais même une telle victoire, si elle était possible, s’accompagnerait d’un coût humain énorme et pourrait conduire à la destruction totale de l’Ukraine. Il doit être désormais clair pour Zelensky et la plupart de ses compagnons d’armes qu’ils auraient mieux fait de ne pas écouter leurs amis occidentaux en mars/avril et qu’en refusant une solution pacifique basée sur des négociations, ils paient désormais de leur propre sang les objectifs de guerre stratégiques des autres. Ce ne sera pas la dernière fois que les Ukrainiens se sentiront trahis.

La guerre en Ukraine enseigne le caractère irremplaçable de la Charte des Nations Unies

Depuis la fin de la guerre froide, l’Occident, et en particulier les Etats-Unis, n’a cessé de mettre en doute la validité de la Charte des Nations Unies. La Charte de l’ONU et son principe d’«égalité souveraine» ne sont justement pas compatibles avec la prétention unique des Etats-Unis au leadership mondial.

Selon les données de l’US Congressional Research Service, les Etats-Unis ont mené 251 interventions militaires dans d’autres pays depuis la fin de la guerre froide, sans compter les opérations secrètes de la CIA et le financement de guerres par procuration, afin d’assumer ce rôle de leader. On peut supposer qu’un grand nombre de ces interventions – si ce n’est la plupart – étaient des violations de la Charte des Nations Unies. Dans presque tous les cas, elles n’ont laissé derrière elles que souffrance humaine, destruction, chaos et gouvernements dysfonctionnels. Elles n’ont jamais donné naissance à des démocraties. L’Ukraine est-elle vouée à un destin similaire?

La guerre en Ukraine a rapproché le monde d’une catastrophe nucléaire plus que tout autre conflit depuis la fin de la guerre froide – peut-être même depuis la fin des deux guerres mondiales. Cela devrait nous avoir tous douloureusement fait prendre conscience de l’importance, voire du caractère irremplaçable, de la Charte des Nations Unies, aujourd’hui encore. Pour maintenir la paix dans le monde, il ne reste que la voie d’un accord volontaire entre Etats pour résoudre les conflits de manière pacifique.

La Charte des Nations Unies était autrefois un cadeau des puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale – les Etats-Unis, l’Union soviétique de l’é poque, la Grande-Bretagne et la France – à l’humanité. Aujourd’hui, ces Etats (ou leurs successeurs) se sont tellement discrédités avec la guerre en Ukraine que nous ne pouvons pas attendre d’eux un renouvellement de la Charte des Nations Unies.

Le flambeau d’un ordre mondial pacifique et axé sur la coopération doit désormais être porté par d’autres pays, comme le Brésil, l’Argentine et le Mexique en Amérique latine; l’Inde, la Chine et l’Indonésie en Asie; l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Ethiopie en Afrique, et l’Egypte et l’Arabie saoudite au Moyen-Orient.

En assumant une plus grande responsabilité pour la paix mondiale, ces pays feraient un pas de plus vers un monde multipolaire et égalitaire. Quoi de mieux pour cela qu’un ordre de paix fondé sur la Charte des Nations Unies et le principe de «l’égalité souveraine de tous ses membres»!

 

Michael von der Schulenburg, 1948, a travaillé pendant plus de 34 ans en tant que diplomate aux Nations Unies, et pendant une courte période à l’OSCE. De 2009 à 2012, il a été le plus haut représentant de l’ONU à Freetown, en Sierra Leone, et a dirigé la première mission intégrée de consolidation de la paix au monde. Cela lui a permis d’avoir un regard ouvert sur l’ensemble, sur les relations entre tous les Etats de la planète.

 

Source originale: Makroskop

Traduit de l’allemand par Point de vue Suisse

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