Capitalistes & dealers de drogue : la relation parfaite

En 1969, l’ex-toxicomane et membre du Black Panther Party, Michael Cetewayo Tabor écrivait « Capitalisme + Came = Génocide », un texte devenu depuis lors incontournable sur les ravages de la drogue, en particulier de l’héroïne, dans les ghettos noirs de New York.

 

Extrait de la brochure publiée par les Editions PMN

 

Capitalisme et crime

 

La vente de drogue est sans aucun doute l’une des entreprises capitalistes les plus rentables. Les profits se comptent vite en milliards. Au niveau mondial et national, le commerce et la distribution d’héroïne sont au final contrôlés par la Cosa Nostra, la Mafia. Une bonne partie des profits accumulés par le commerce de la drogue est utilisée pour financer les affaires dites légales. Ces dernières sont aussi utilisées par la Mafia pour faciliter leurs trafics de drogues.

Le crime organisé étant un commerce en perpétuelle expansion, il recherche constamment de nouveaux domaines d’investissement  pour augmenter ses profits. De sorte que de plus en plus de profits illégaux sont réinjectés dans des affaires légales. Les partenariats entre la Mafia et des « hommes d’affaires respectables » sont à l’ordre du jour. Il existe une relation directe entre les capitalistes légaux et illégaux.

Au fil des ans, de nombreux politiciens, ambassadeurs étrangers et riches hommes d’affaires ont été arrêtés dans ce pays pour des activités liées à la drogue. D’autres, grâce à leur richesse et leur influence ont pu éviter ces arrestations. À l’automne 1969, on découvrit qu’un groupe d’importants financiers new-yorkais finançait un réseau international de trafic de drogue. Aucune mise en examen n’a été ordonnée à leur encontre. Peu après, un groupe de riches hommes d’affaires sud-américains fut arrêté dans un luxueux hôtel de New York avec plus 10 millions de dollars de drogues.

Étant donné la nature vorace et prédatrice du capitaliste, cela ne devrait pas être une surprise que de soi-disant respectables hommes d’affaires soient largement impliqués dans le commerce de la drogue. Les capitalistes sont motivés par une insatiable soif de profits. Ils feraient n’importe quoi pour de l’argent.

Les activités du crime organisé et celles des « capitalistes légaux » sont si inextricablement liées, si profondément entrelacées, que, de notre point de vue, toute distinction faite entre eux s’avère purement théorique. La reconversion dans des activités légales de la Mafia, leur besoin accru d’investissements et de créations d’entreprises, a été accélérée par les lourdes peines de prisons infligées aux trafiquants de drogues.

À New York, cela s’est traduit par le retrait progressif de la Mafia de sa position dominante sur le marché de la drogue new-yorkais. Ce marché de la drogue new-yorkais est désormais dominé par des exilés cubains, dont un grand nombre étaient des officiers militaires ou des agents de police sous le régime pré-révolutionnaire et répressif de Batista. Et ils sont tout aussi impitoyables et cupides que la Mafia.

Ces nouveaux barons locaux ont établi un vaste réseau de trafic de drogue international. Ils utilisent les voies du commerce traditionnel et en ouvrent de nouvelles, comme en témoigne le nombre croissant de saisies de drogues venant d’Amérique du Sud par le Bureau des Narcotiques. Le concept de Pouvoir noir a influencé la pensée de chacune des composantes de la communauté noire. Il en est venu à signifier le contrôle par les Noirs des institutions et des activités implantées au sein de la communauté noire.

Les enseignants noirs exigent un contrôle de la communauté noire sur les écoles du ghetto. Les hommes d’affaires et les commerçants noirs préconisent l’expulsion des hommes d’affaires blancs du ghetto afin de maximiser leurs profits. Les Noirs qui organisent des jeux d’argents illégaux [numbers games] exigent le contrôle total des opérations de jeux dans le ghetto. Et les dealers noirs exigent le contrôle par la communauté de l’héroïne.

Il est tragique de noter qu’à New York, les progrès les plus significatifs dans le domaine du contrôle communautaire noir, ont été réalisés par des racketteurs, des bookmakers et des dealers de drogues, par les capitalistes illégaux noirs. Avant 1967, il était rare de trouver un dealer noir gérant en permanence plus de 3 kilos d’héroïne. Les importateurs indépendants noirs étaient rarissimes. Aujourd’hui, il y a une classe entière de Noirs devenus importateurs et utilisant les listes de contacts européens fournies par la Mafia.

L’ampleur et le rythme effréné des profits générés par l’industrie de la drogue ont de quoi rendre jaloux US Steel, General Motors ou Standard Oil. À tous les échelons, du plus haut au plus bas, les profits sont énormes. Si l’on est suffisamment ambitieux, rusé, impitoyable et vicieux, on peut passer du statut de vendeur à la sauvette à celui de grossiste et distributeur de premier plan en un court laps de temps.

Un élément caractéristique de l’oppression de classe et de race tient dans la politique de la classe dirigeante de lavage de cerveaux des opprimés destinée à leur faire accepter leur oppression. Initialement, ce programme est mis à exécution en implantant vicieusement la peur dans les esprits et en semant les graines de l’infériorité dans l’âme des opprimés. Mais quand les conditions objectives et le rapport de forces deviennent plus favorables aux opprimés et plus défavorables à l’oppresseur, il devient nécessaire pour l’oppresseur de modifier son programme et d’adopter des méthodes plus subtiles et sournoises pour maintenir son joug. L’oppresseur tente alors de déstabiliser l’équilibre psychologique de l’opprimé en combinant une politique de répression vicieuse avec des démonstrations de bonne volonté et d’assistance.

Le peuple noir ayant abandonné les tactiques inefficaces et stériles de l’ère des « Droits civiques », et étant désormais résolu à arracher sa libération si longtemps attendue par tous les moyens nécessaires, il devient nécessaire pour l’oppresseur de déployer plus de forces d’occupation dans les colonies noires. L’oppresseur, particulièrement à New York, réalise que cela ne peut être fait ouvertement sans intensifier la ferveur révolutionnaire du peuple noir dans la colonie. Un prétexte lui est donc nécessaire pour déployer plus de policiers dans le ghetto.

Et quel est le prétexte ? Il se présente ainsi : des leaders responsables de la communauté noire nous ont informés, et ce qu’ils nous rapportent coïncide avec les enquêtes de police, que la communauté noire est ravagée par le crime, les agressions, les cambriolages, les meurtres et le désordre. Les rues sont dangereuses, les établissements commerciaux sont infestés de voleurs armés, le commerce ne peut pas fonctionner. La mairie et les résidents noirs s’accordent à dire que les principaux responsables de cette situation horrible sont les toxicomanes qui s’en prennent aux honnêtes gens. Oui, les toxicomanes sont à blâmer pour l’augmentation permanente du taux de criminalité. Et la mairie répondra aux cris désespérés des résidents noirs demandant une meilleure protection : « envoyez plus de policiers » !

Que les victimes de la peste soient responsables de la plupart des délits dans les ghettos noirs est un fait. Il est indéniable que les toxicomanes noirs opèrent la plupart de leurs braquages, cambriolages et vols dans la communauté noire et contre des Noirs. Mais avant que, par pur désespoir, nous ne bondissions et n’appelions à plus de protection de la police, nous ferions mieux de nous rappeler qui a introduit la peste à Harlem, à Bedford Stuyvesant et dans les autres communautés noires.

Nous ferions mieux de nous rappeler qui, en définitive, tire profit de la toxicomanie des Noirs. Nous ferions mieux de nous rappeler que la police est une armée étrangère et hostile envoyée dans les colonies noires par la classe dirigeante, non pas pour protéger les vies du peuple noir, mais bien pour protéger les intérêts économiques et la propriété privée des capitalistes et pour s’assurer que le peuple noir reste à sa place. Rockfeller et Lindsay ne pourraient pas moins se soucier de la vie du peuple noir. Et si on ne sait toujours pas ce que la police pense de nous, alors on est vraiment en mauvaise posture.

 

Source : extrait de la brochure  « Capitalisme + Came = Génocide » (Editions PMN)

 

 

 

Au vu de la déferlante des drogues industrielles un peu partout dans le monde, et à l’heure où l’argent qu’elle génère graisse l’ensemble des rouages sociaux et économiques, les réflexions qui ont traversé les mouvements révolutionnaires portoricains et afro-américains dans les années soixante et soixante-dix restent plus que jamais d’actualité. C’est la raison de cette nouvelle édition: réfléchir de nouveau sur cette contre-insurrection cachée, et pouvoir tirer du passé quelques outils pour comprendre et affronter la situation actuelle, en se réappropriant notamment les savoir-faire et les usages nécessaires à l’émancipation de nos corps et de nos esprits. Que ces textes, réunis au gré des amitiés et des solidarités internationales, puissent susciter de nouvelles idées et s’enrichir de nouveaux partages.

Sommaire 

1. La poudre de la contre-insurrection – Préface à l’édition mexicaine
2. Capitalisme + came = génocide – Michael Cetewayo Tabor
3. Plate-forme et programme du Black Panther Party
4. À qui profite « la guerre au crime » ? – Mathieu Rigouste
5. Lincoln Detox Center : le programme anti-drogue du peuple – Entretien avec Vicente « Panama » Alba
6. Manifeste et programme du Young Lords Party

 

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