Brésil – La culture du soja contre les droits des peuples indigènes

Au Brésil, la culture du soja, essentiellement OGM, continue d’avancer. Année après année, la déforestation et les actions violentes à l’encontre des communautés paysannes et indigènes sont documentées. Encouragées par l’ancien président, Jair Bolsonaro, seront-elles stoppées et condamnées par le nouveau gouvernement Lula ?

La communauté de Baixão dos Rochas, dans la ville de São Benedito do Rio Preto (Maranhão, Brésil), où vivent 50 familles depuis plus de 80 ans sur une surface de 600 hectares, est convoitée depuis au moins deux ans par des entreprises. Ces dernières revendiquent la propriété des terres. Elles souhaitent cultiver du soja transgénique, destiné à l’exportation, notamment vers l’Europe, pour nourrir le bétail hors-sol.

Le 19 mars, une quinzaine d’hommes armés et deux « bulldozers » ont littéralement détruit cette communauté. C’est ce que nous apprend une lettre signée par plus de 50 organisations de défense des droits de l’Homme. Ces individus, précise la lettre, ont détruit et incendié les maisons, tué le bétail, pillé les réserves de nourriture et chassé les habitants [1].

Précisons que le 10 février 2023, une décision de justice a été prise en faveur de cette communauté, garantissant aux résidents la possession des terres. Mais les entreprises ont fait appel. Et, le 7 mars, une nouvelle décision de justice a annulé l’injonction précédente et garanti aux hommes d’affaires la possession du terrain.

Cette nouvelle action des « sojeros » sera-t-elle condamnée et punie par la justice ? Le Secrétariat d’État aux droits de l’homme et à la participation populaire (Sedihpop) et le Secrétariat à la sécurité publique (Senasp) ont déclenché une enquête pour déterminer les responsabilités et ont promis une assistance aux familles. De son côté, la conférence épiscopale brésilienne a décidé, le 22 mars 2023, de verser 20 000 dollars aux habitants de Baixão dos Rochas [2].

Ce n’est pas un cas isolé

« La situation nationale de la violence dans les campagnes est historiquement marquée par l’accaparement des terres, l’inégalité, l’injustice et l’impunité. Cet acte terroriste n’était pas un cas isolé », peut-on lire dans la lettre précédemment évoquée, qui souligne que de telles manifestations de violence – en particulier à l’encontre des peuples indigènes et des communautés traditionnelles – sont souvent restées impunies dans le Maranhão.

En effet, l’année dernière, la Commission épiscopale pour l’action de transformation sociale de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) a mené une mission dans 35 communautés indigènes de six municipalités du Maranhão (São Luís, Arari, Brejo, Caxias, São João Soter et Buriti) afin d’attirer l’attention des autorités sur la situation. Ce rapport [3] a été rendu public le 23 mars 2023 [4] et il est accablant. Il démontre que les litiges fonciers dans la région ont entraîné des violations constantes des droits de l’homme. Ce rapport souligne que les communautés traditionnelles de petits agriculteurs et de pêcheurs, les groupes indigènes et les quilombolas – descendants des esclaves africains – ont vu leurs terres menacées, voire volées, au cours des dernières années. Et souvent, comme présentement, par des grands propriétaires terriens et producteurs de soja. Le rapport montre que ces propriétaires fonciers menacent systématiquement les dirigeants des communautés, envahissent et détruisent les zones cultivées, déversent délibérément du pétrole dans les rivières et pulvérisent des pesticides sur leurs terres pour les chasser. Ainsi, entre 2015 et 2022, 79 personnes ont été tuées dans ces zones, la plupart d’entre elles étant des membres des communautés indigènes et quilombolas. Le rapport indique que 77 dirigeants communautaires ont reçu des menaces de mort et ont besoin de protection, et que 30 000 familles risquent actuellement d’être expulsées de leurs terres traditionnelles.

Pour un des évêques en charge de ce rapport, José Valdeci Mendes de Brejo, la faute revient au gouvernement. Il soutient que « ces communautés doivent recevoir les titres de propriété de leurs terres » [5]. La question du foncier au Brésil, et notamment dans la partie amazonienne de ce pays, est très problématique. Des communautés vivent sur des terrains de plusieurs dizaines voire centaines d’hectares, depuis des décennies voire des siècles, sans titre officiel de propriété privée. Ces terres, pendant longtemps, n’intéressaient pas grand monde, mais l’expansion sans fin des cultures industrielles, comme celle du soja transgénique, a changé la donne. Les tensions et violences en sont les conséquences directes, ainsi que la déforestation et la pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau. L’auteur du rapport assure que les autorités brésiliennes ont délivré des licences et des titres fonciers à des agriculteurs et à des hommes d’affaires sans tenir compte des communautés traditionnelles qui occupent ces zones. Un autre évêque, Gilderlan Rodrigues da Silva, confirme et rappelle que de vastes territoires où vivent des milliers d’indigènes ont été cédés à des agriculteurs depuis 2020 par l’administration de l’ancien président, Jair Bolsonaro.

Légalité vs légitimité ?

L’avocat des entreprises concernées, Daniel Leite, a d’ailleurs déclaré, en guise de défense desdites entreprises : « il y a des situations où l’on ne peut pas attendre. Le caractère saisonnier de l’agriculture vous oblige à prendre des décisions qui doivent être prises à ce moment-là, sous peine de perdre toute la récolte. Ce qui s’est donc passé, c’est le nettoyage de la terre, la préparation du sol, et c’est ce qui a engendré une confrontation. Je répète que cette confrontation n’a pas été provoquée par l’entreprise, mais par ces personnes qui viennent inciter la communauté locale à la violence à l’égard de l’entreprise ».

Cette prise de position de l’avocat interroge sur la légitimité de la violence. Peut-on se faire justice soi-même ? Peut-on s’accaparer des terres occupées depuis longtemps au nom d’une absence de titre de propriété ? L’usage ne vaut pas droit ? Ce conflit est donc aussi celui entre deux visions du monde, celui des agro-managers, qui participent au PIB d’un État en cultivant du soja destiné à l’exportation, et celui de paysans et indigènes, qui entendent juste vivre et produire ce dont ils ont besoin.

Photo : https://flickr.com/photos/midianinja/52020478593/in/photostream/

Source : infogm

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