Blinken apporte la 4G, mais la liberté doit attendre

On sait qu’un endroit connaît de graves problèmes une fois que l’on y envoie un secrétaire d’État américain dire certaines vérités embarrassantes. L’actuel titulaire de ce poste, Antony Blinken, a réservé deux jours d’un horaire serré pour se rendre en Égypte et en Palestine dans une tentative de gérer une situation en pleine escalade.

 

En fait, sa présence a été émaillée de pesantes tentatives en vue de garantir le maintien de l’hégémonie mondiale des EU en orchestrant une défaite russe en Ukraine, mais sans provoquer une guerre nucléaire et tout en essayant de voir comment traiter avec une Chine susceptible de remplacer les EU en tant que première économie mondiale d’ici une décennie environ.

On peut présumer par conséquent qu’il a recouru à une certaine quantité de diplomatie de porte dérobée et sans fioritures pour pouvoir revenir sur ces questions plus urgentes. Car ce qu’il a dit en public, finalement, n’a représenté que très peu de chose.

Répétant ce slogan creux des « valeurs partagées »Blinken a d’abord rassuré Benjamin Netanyahou, apparemment Premier ministre d’Israël pour l’éternité, à propos de l’engagement « bardé de fer » et « à jamais » indéfectible de l’Amérique à l’égard de la sécurité d’Israël.

Puis, cherchant un terrain d’entente avec un Premier ministre israélien qui a ouvertement déclaré que seul le peuple juif avait des droits sur la terre de la Palestine – (actionnez le klaxon de l’apartheid, s’il vous plaît, il s’agit une fois de plus de ces « valeurs partagées ») – Blinken s’est concentré sur les « activités de déstabilisation » de l’Iran et sur les accords d’Abraham qui « réduisent les préjugés tenaces et la méfiance » – mais manifestement pas la brutalité israélienne.

À l’instar de l’OxyContin (un médicament antalgique puissant – NdT), Israël constitue une addiction américaine dont, aussi nocive soit-elle, Washington ne peut tout simplement pas se débarrasser. Washington est devenu à ce point drogué que les porte-parole du département d’État ne semblent même pas savoir si oui ou non les Palestiniens se trouvent sous occupation.

On peut parler de l’état de la diplomatie de nos jours !!!

Les divagations de Ramallah

Blinken s’est alors rendu dans la ville occupée – (est-elle occupée, en fait ? Que disent les gens du département d’État, à ce propos ? Que voulez-vous dire, en disant qu’ils n’en savent rien ?) – de Ramallah, en Cisjordanie, siège de la direction de l’Autorité palestinienne, où il a rencontré Mahmoud Abbas, le chef « perpétuel » de l’AP.

On n’y a toutefois ressorti que la sempiternelle rhétorique passe-partout sur la nécessité de sauvegarder la solution à deux États et de faire « désescalader » la situation.

Blinken a cependant dit – peut-être par accident – quelque chose d’intéressant, en décrivant comment les Palestiniens étaient confrontés à un « horizon d’espoir de plus en plus réduit ». « Nous croyons », a-t-il déclaré solennellement, « que cela doit changer. »

Ho ! Dites-moi en aparté : Jared Kushner aurait-il fait son retour ?

En coulisse, le secrétaire d’État américain aura vivement insisté auprès d’Abbas sur la très impopulaire coordination sécuritaire avec Israël, dont le dirigeant palestinien a dit la semaine dernière qu’elle serait suspendue.

Et, apparemment, avec un certain effet. Hier, il a été dûment rapporté que cette coordination n’avait été que « partiellement suspendue ».

Blinken a toutefois apporté quelques cadeaux. Les EU feront un don de 50 millions de USD à l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) – qui cherche pour l’instant 1,6 milliard de USD pour financer des fonctions primordiales et des programmes d’aide urgente de façon à pouvoir prolonger les 75 années de sa mission internationale de soins aux réfugiés palestiniens jusqu’à ce que leur droit au retour internationalement décrété soit appliqué.

Blinken a également dit que les EU avaient confirmé l’accord en faveur de la mise à jour à 4G du réseau de téléphonie cellulaire longtemps reportée.

C’est une bonne chose. Désormais les Palestiniens vont pouvoir enregistrer et diffuser plus facilement les violations quotidiennes par Israël de leur dignité, de leurs moyens de subsistance et de leurs vies mêmes, de sorte que Washington pourra réitérer son engagement « bardé de fer » envers la « sécurité » d’Israël.

La gestion de la crise

Naturellement, toute cette visite aura tout simplement été un exercice de gestion de crise, le même genre d’approche, exactement, qui a amené la situation à ce point. Sur ce plan, les EU n’ont absolument rien de neuf à proposer.

Les espoirs ont brièvement augmenté en ce que la présidence de Joe Biden allait provoquer l’un ou l’autre changement positif en Palestine. Mais, au-delà de la reprise du financement de l’UNRWA, l’administration américaine n’a rien fait pour réparer les dégâts occasionnés par la précédente administration Trump, pas plus qu’elle n’a proposé d’idées en vue de faire progresser les choses.

Au contraire, ce sont précisément les relations « bardées de fer » entre Washington et Israël qui constituent le problème, ici.

Si vous affirmez constamment votre loyauté indéfectible à quelqu’un, vous rétrécissez grandement votre propre espace de manœuvre.

Par conséquent, Israël peut tuer impunément, même des citoyens américains, et commettre des crimes de guerre, puisque c’est ainsi que sont désignées les colonies de peuplement dans les lois internationales.

L’actuel gouvernement israélien est également très ouvert sur son désir d’expulser ses propres citoyens palestiniens dans les circonstances qui s’y prêteront.

D’ailleurs, un transfert complet de population – un autre crime de guerre – est actuellement en cours à Masafer Yatta.

On ne sera guère étonné que les porte-parole du département d’État soient confus. Les responsables américains ne sont-ils pas censés condamner ce genre de comportement ?

C’est pour cette raison que l’« horizon d’espoir », pour emprunter l’expression utilisée par Blinken, s’amenuise. La stratégie consistant à s’appuyer sur des acteurs internationaux pour appliquer les lois et résolutions internationales ne fonctionne tout simplement pas.

Ainsi donc, alors que Washington continue de couvrir de sa main sur un pays qui affirme ouvertement les droits d’une série de personnes sur une autre – où est donc passé le klaxon contre l’apartheid (un crime contre l’humanité), ici ? – c’est au camp palestinien qu’il revient de modifier la dynamique.

Personne d’autre ne s’y sentira poussé.

Mais aucune dynamique ne basculera si la seule réaction à l’incessante violence israélienne ne consiste qu’en une suspension partielle de la coopération sécuritaire.

 

 

Omar Karmiest un journaliste indépendant et ancien correspondant à Jérusalem et Washington, DC du journal The National.

 

Source originale: The Electronic Intifada
Traduit de l’anglais par Jean-Marie Flémal pour Charleroi pour la Palestine
Photo: US Embassy Jerusalem – Flickr 2.0

 

Nos amis de la plateforme Charleroi pour la Palestine participeront à une soirée de discussion le 11 février à Bruxelles 

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