Avoir confié la politique sanitaire mondiale à Big Pharma est une faute impardonnable

Le Covid l’a clairement démontré : Pfizer et ses semblables, asservis aux actionnaires, ne se soucient vraiment que de leurs profits faramineux. C’est ce qu’explique, dans une tribune parue dans le Guardian, Nick Dearden, directeur de Global Justice Now.


 

Pfizer a connu une pandémie exceptionnellement bonne. Aujourd’hui, l’entreprise a annoncé que son vaccin Covid-19 lui avait rapporté 37 milliards de dollars l’année dernière, ce qui en fait de loin le médicament le plus lucratif de l’histoire.

Ce n’est pas tout. Pour une entreprise qui était jusqu’à récemment l’entreprise la moins réputée du secteur industriel le plus décrié aux États-Unis, le Covid-19 a été un coup d’éclat en matière de relations publiques. Pfizer est devenu un nom familier au cours des 12 derniers mois. La société a été acclamée dans des toasts lors de soirées à Tel-Aviv, et il existe des cocktails portant le nom de son vaccin dans les bars du monde entier. Le Président américain a qualifié le directeur général de Pfizer, Albert Bourla, de son « bon ami », et le grand homme a garé son jet à côté de celui de Boris Johnson lors du sommet du G7 de l’année dernière à Cornwall.

Le déploiement mondial du vaccin a créé des niveaux d’inégalité si importants que beaucoup l’appellent un « apartheid vaccinal ». Des sociétés pharmaceutiques comme Pfizer ont dirigé ce déploiement, fixant les conditions dans lesquelles elles vendent les vaccins et décidant à qui donner la priorité. En fin de compte, leur approche affecte qui reçoit et ne reçoit pas de vaccins.

Dès le départ, Pfizer a clairement indiqué qu’il voulait gagner beaucoup d’argent grâce au Covid. La société affirme que son vaccin coûte un peu moins de 6 euros par dose à produire. D’autres ont suggéré qu’il pourrait être beaucoup moins cher. Quoi qu’il en soit, la société vend des doses avec un énorme profit – le gouvernement britannique a payé 21.50 euros par dose pour sa première commande, et 26.30 euros par dose pour son achat le plus récent. Cela signifie que la Sécurité Sociale britannique a payé une majoration d’au minimum 2.40 milliards d’euros, soit six fois le coût de l’augmentation de salaire que le gouvernement de Boris Johnson a accepté d’accorder aux infirmières l’année dernière.

Il a été affirmé que Pfizer avait initialement tenté de vendre son médicament au gouvernement américain pour un prix exorbitant de 100 dollars la dose. Tom Frieden, un ancien Directeur du Center for Disease Control and Prevention américain, a accusé la firme d’être un « profiteur de guerre ».

Pfizer a vendu la grande majorité de ses doses aux pays les plus riches du monde – une stratégie sûre pour maintenir ses bénéfices à un niveau élevé. Si vous regardez sa distribution mondiale, Pfizer vend une infime partie de ses vaccins aux pays à faible revenu. En octobre dernier, Pfizer avait vendu un maigre 1,3 % de son approvisionnement à Covax, l’organisme international mis en place pour tenter d’assurer un accès plus équitable aux vaccins.

Pfizer ne vendait pas beaucoup de doses aux pays les plus pauvres, mais ne leur permettait pas non plus de produire eux-mêmes le vaccin potentiellement salvateur de vies par le biais de licences ou de partage de brevets.

En effet, à la base du modèle Pfizer, se trouvent un ensemble de règles de propriété intellectuelle, énoncées dans les accords commerciaux. Ceux-ci permettent effectivement aux grandes sociétés pharmaceutiques d’opérer en tant que monopoles, sans responsabilité de partager les connaissances qu’elles possèdent, même si la société civile en a besoin.

Très tôt, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu que nous aurions besoin d’augmenter la production très rapidement, et que des entreprises individuelles comme Pfizer n’auraient tout simplement pas la capacité nécessaire. L’OMS a exhorté les entreprises à partager les recettes de leurs vaccins, créant une sorte de « pool de brevets » connu sous le nom de CTAP, qui aurait permis l’ouverture et la collaboration. Les entreprises auraient quand même été payées, mais elles ne pourraient pas restreindre la production.

Ce type de suspension des règles commerciales normales en période de grand besoin était auparavant courant, comme avec la pénicilline pendant la Seconde Guerre mondiale, ou le partage des connaissances sur le vaccin contre la variole dans les années 1960.

Mais dans ce cas, le Directeur de Pfizer est passé à l’offensive, qualifiant le CTAP de « non-sens » et déclarant qu’il était « dangereux » de partager la propriété intellectuelle des entreprises. Il a été affirmé que 100 usines et laboratoires dans le monde auraient pu fabriquer des vaccins, mais n’ont pas pu le faire car ils ne peuvent pas accéder aux brevets et aux recettes comme ceux détenus par Pfizer.

Pfizer a adopté une ligne similaire sur la nouvelle installation qui a été mise en place en Afrique du Sud pour essayer de se familiariser avec les vaccins à ARNm afin de pouvoir partager cette technologie médicale révolutionnaire avec le monde. Parce que ni Pfizer ni Moderna ne partageront leur savoir-faire, les scientifiques ont dû repartir de zéro. Les nouvelles de la semaine dernière suggèrent qu’ils sont sur le point d’y parvenir, démentant les affirmations de l’industrie pharmaceutique selon lesquelles il serait impossible de fabriquer un tel vaccin dans les pays les plus pauvres.

Nombreux sont ceux qui soutiendront que si les grandes sociétés pharmaceutiques se comportent de manière impitoyable, nous devons l’accepter car le service qu’elles fournissent, à savoir inventer des médicaments qui sauvent des vie, est si crucial. Mais cela ne tient pas la route. Des entreprises comme Pfizer se comportent davantage comme des fonds spéculatifs, achetant et contrôlant d’autres entreprises et propriétés intellectuelles, plutôt que comme des sociétés de recherche médicale traditionnelles.

La vérité est qu’ils ne sont pas les seuls inventeurs du vaccin. C’était le travail de l’argent public, de la recherche universitaire et d’une entreprise allemande beaucoup plus petite, BioNTech. Comme un ancien responsable du gouvernement américain s’en est plaint, le fait que nous l’appelions le vaccin « Pfizer » est « le plus grand coup d’Etat de marketing de l’histoire des produits pharmaceutiques américains ».

Une analyse de l’actualité de Stat en 2018 a conclu que Pfizer ne développait qu’une fraction (environ 23%) de ses médicaments en interne. Et un rapport du US Government Accountability Office de l’année précédente notait que le modèle industriel consiste de plus en plus à simplement racheter de petites entreprises qui ont déjà développé des produits. Cela permet à Pfizer de monopoliser ces connaissances et de maximiser le prix des médicaments qui en résultent. Pfizer a acheminé 70 milliards de dollars (62 milliards d’euros) à ses actionnaires, directement par le biais de versements de dividendes et de rachats d’actions. Cela éclipse son budget de recherche pour la même période.

Pour mettre les chiffres d’aujourd’hui en contexte, le médicament le plus lucratif au monde en une seule année jusqu’à présent était Humira, qui traite les maladies auto-immunes, et qui a rapporté à son propriétaire, AbbVie, 20 milliards de dollars en 2018. Humira a été soumis à l’examen par un comité du Congrès américain, et constitue un cas classique de la façon dont les grandes sociétés pharmaceutiques fonctionnent aujourd’hui : acheter un médicament qui a déjà été inventé, le breveter au maximum et augmenter le prix de 470 % au cours de sa durée de vie.

Des entreprises comme Pfizer n’auraient jamais dû être chargées d’un déploiement mondial de la vaccination, car il était inévitable qu’elles prennent des décisions de vie ou de mort en fonction de ce qui est dans l’intérêt à court terme de leurs actionnaires. Nous devons démanteler les monopoles qui ont conféré un tel pouvoir à ces bêtes financiarisées et investir à la place dans un nouveau réseau d’instituts de recherche et d’usines médicales à travers le monde qui peuvent réellement servir le public.

 

Source originale: The Guardian

Traduit de l’anglais par Le Cri des Peuples

Photo: Marco Verch (CC)

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