Au Nicaragua, l’opération “Contra bis” est-elle en train d’échouer?

Propulsée sous le feu des projecteurs depuis mi-avril, la patrie de Sandino est toujours confrontée à une intense crise politique. Désormais, elle semble s’approcher de sa résolution définitive. D’une part, le peuple nicaraguayen se mobilise de plus en plus aux côtés des autorités pour les aider à démonter les barricades dans les foyers insurrectionnels. Et d’autre part, en une semaine deux grands marches pour la paix ont eu lieu. Contre les souhaits d’un secteur de l’opposition et les porte-paroles de l’administration US, le message de Daniel Ortega lors de la marche pour la paix du 7 juillet à Managua a été clair et limpide : “Ici, c’est le peuple qui établit les règles dans la Constitution de la République. Elles ne vont pas changer du jour au lendemain par la volonté de quelques putschistes. Si les putschistes veulent arriver au gouvernement, qu’ils cherchent le vote du peuple aux prochaines élections. Avec toute la destruction qu’ils ont provoquée, on verra bien quel est le soutien qu’ils auront”. Mais ces faits sont minimisés par les médias privés et les grandes agences de presse, qui continuent à occulter l’évolution sur le terrain et à souffler sur les braises de la contestation. De quel côté penchera la balance ?

 

 

Un schéma de propagande redoutable

 

 

Dans un récent article, j’ai examiné un certain nombre de contradictions que soulève le traitement des médias internationaux sur le Nicaragua. Notamment, on y retrouve l’un des principes de la propagande de guerre qui consiste à inverser l’agresseur et la victime.  Le schéma est le suivant : d’abord, un secteur de l’opposition, celui qui refuse le dialogue avec le gouvernement, planifie le contrôle de certains quartiers de la capitale et d’autres villes au moyen de barricades. Ces zones sont alors considérées comme étant “libérés de la tyrannie”, et représentent ainsi les foyers d’insurrection qui doivent se reproduire partout dans le pays, pour mettre en échec les opérations de “répression” des forces policières. Cette tactique de déploiement de barricades a été théorisée en amont comme un moyen efficace d’empêcher les autorités de prendre le contrôle sur le territoire national, car il est “impossible que le gouvernement dispose des effectifs suffisants pour maîtriser chaque centimètre du pays”. La première évidence à souligner c’est qu’il ne s’agit pas d’une crise tout à fait spontanée qui émerge d’une mobilisation populaire massive, mais qu’il y a bel et bien la mise en place d’un plan insurrectionnel capable de tenir tête aux autorités pendant des mois. On est face à la première phase dans le développement d’une guerre non conventionnelle pour renverser un gouvernement démocratiquement élu.

Ensuite, un certain nombre d’affrontements ont eu lieu dans ces zones “libérées” par l’opposition. A ce stade, il n’est pas anodin de remarquer que les activistes qui défendent ces barricades ne sont plus les manifestants pacifiques que les grands médias nous ont présentés. Les images de jeunes encagoulés maniant des mortiers artisanaux et autres engins explosifs sont impossibles àe dissimuler. En réalité, elles contribuent même à créer une dimension “romantique” de résistance populaire dans le contexte d’un face à face avec le corps de la police professionnelle. C’est là qu’apparaît la deuxième phase de la guerre non conventionnelle, à savoir le rôle décisif des corporations médiatiques qui contribuent à fabriquer un récit dominant et unilatéral de la crise. Il est plus facile de s’identifier à un jeune manifestant qui se révolte qu’à un jeune policier contraint d’utiliser la force pour faire respecter la loi. Ainsi, quand il y a eu des morts aux environs des barricades, il devient compliqué pour un observateur externe de connaître la vérité.

 

 

Qui ne veut pas de ces victimes ?  

 

 

Il suffit à chacun de réaliser un petit tour sur les infos des médias privés pour se rendre compte que la dimension idéalisée évoquée ci-dessus sert uniquement à délégitimer l’action gouvernementale. Personne ne se pose cette question pourtant élémentaire : “la victime était-elle un sandiniste pro-gouvernement en train d’aider la police à démonter les barricades, ou un opposant qui la défendait ?” De nombreux témoignages en faveur de la première version ont été systématiquement écartés ! En effet, le rôle des médias privés s’avère fondamental afin de donner le maximum de crédibilité à la version de l’opposition. Cette dernière serait-elle en train de manipuler jusqu’à la mémoire des victimes et cela avec la complicité de certains médias privés du Nicaragua ? Voilà qui nous interroge fortement : qu’en est-il des nombreux cas de victimes dont l’appartenance au camp pro-gouvernemental a été avérée ?

Dans le cadre des pourparlers de paix, le gouvernement nicaraguayen a d’abord accepté que la CIDH mène une mission d’observation des droits de l’homme. Mais il a ensuite dénoncé que son rapport n’inclue pas la description de nombreux cas d’agressions contre des victimes civiles, incluant des fonctionnaires publics, comme résultat des violences déclenchées par l’opposition. Les dés seraient-ils pipés ? Voici quelques exemples récents qui illustrent une situation beaucoup plus nuancée que celle décrite par certains médias:

 

– Le 19 juin, les autorités lancent une opération à Masaya afin de libérer le sous-directeur de la police nationale Ramon Avellan et ses agents, qui se trouvaient retranchés dans la station de police, entourée de barricades depuis le 2 juin dernier. Chaque nuit, les manifestants lançaient des tirs de mortier sur le commissariat, accompagnés de menaces : “Qu’est-ce que tu en penses? Qu’il n’y avait que des “güevones” (vauriens) dans cette lutte ? Tiens encore, voici ma petite soeur…”. Ensuite, les tirs de mortiers recommençaient à proximité du commissariat… Sous prétexte d’action ludique, une vidéo montre comment des manifestants postés derrière une barricade entonnent des chants menaçants à l’encontre du général Avellan, accompagnés de tirs. Selon l’organisation ANPDH, comme résultat de l’opération policière de rescousse, six personnes – dont trois dont l’identité reste à vérifier- ont été assassinées dans plusieurs quartiers environnants.

– Le 30 juin, dans le contexte d’une marche de l’opposition, un manifestant a été assassiné par balle. Enregistrée quelques minutes avant le drame par un journaliste qui se trouvait sur place, une vidéo montre comment les opposants entourent un agent de sécurité privée et lui demandent de lui livrer son arme, en simulant une prise d’otage afin de justifier cela. Ensuite, les images montrent une personne qui se place derrière l’agent, lui pointe un pistolet sur la tempe et lui vole son fusil. Plus tard, les manifestants attribueront la mort à la répression du gouvernement.

– Le 3 juillet, deux personnes ont été séquestrées à Jinotepe par un groupe d’encagoulés armés : le major de police Erlin García Cortez et le travailleur d’Enacal Erasmo Palacios. Trois jours après, Bismarck de Jesús Martínez Sánchez, un travailleur de la mairie de Managua, a aussi été séquestré. Une semaine plus tard, les proches n’avaient toujours pas reçu de signe de vie de leur part.

– Le 5 juillet, le corps sans vie de l’agent de la Police Nationale Yadira Ramos a été trouvé à Jinotepe. Elle avait été séquestrée, violée et torturée. Elle avait été obligée par la force de descendre de son véhicule et son mari avait été tué sur-le-champ.

– Le 6 juillet, le membre du FSLN Roberto Castillo Cruz est tué par des encagoulés issus de l’opposition qui tient des barricades à Jinotepe. Son fils, Christopher Castillo Rosales avait été tué juste une semaine avant lui. Dans une vidéo publiée peu avant son propre meurtre, Castillo Cruz avait dénoncé les assassins : “Cette bande criminelle de droite a tué mon fils, je demande seulement justice et que la paix règne pour que nos enfants ne perdent pas la vie !”

– Le 8 juillet, lors d’un affrontement à Matagalpa qui eut lieu pendant la nuit, un homme de 55 ans appelé Aran Molina, est tué pendant qu’il secourait Lalo Soza, un militant sandiniste qui faisait l’objet d’une attaque. Le lendemain, le Frente Sandinista de Liberación Nacional lui a rendu un hommage à travers une procession. Le jour même, deux autres personnes ont été tuées : l’assistant social Tirzo Ramón Mendoza, exécuté par des encagoulés après avoir été séquestré, et une troisième victime dont l’identité reste inconnue.

– Le 9 juillet, les autorités ont démantelé les barricades qui empêchaient la libre circulation dans les villes de Diriamba et Jinotepe. De nombreux habitants ont alors témoigné sur les nombreuses actions violentes de l’opposition, dont des tortures à l’encontre des sandinistes. Au même moment, des représentants de la Conférence Épiscopale sont arrivés sur place. Des citoyens de Jinotepe sont alors entrés dans l’église, où ils ont trouvé des opposants déguisés en religieux. Les habitants ont accusé les représentants de l’Église de les protéger et de n’avoir rien dit ni fait pour arrêter la violence déclenchée depuis deux mois. A Diriamba, les habitants ont également fait la découverte d’un arsenal de mortiers caché dans l’église de San Sebastian.

– Le 12 juillet, un gang criminel attaque la mairie de Morrito, à Rio San Juan. Un combattant historique du sandinisme, Carlos Hernandez, y est séquestré. Grièvement blessés et sans possibilité de s’en échapper, un militant des jeunesses sandinistes, deux agents de police ainsi que leur chef hiérarchique sont assassinés. Un militant sandiniste reçoit une balle dans l’abdomen. Plus tard, le maître d’école Marvin Ugarte Campos succombera à ses blessures. La version de l’opposition? Elle affirme que le massacre a été… un “auto-attaque perpétré par des paramilitaires” !

 

Il semblerait que certains morts et actes violents n’aient aucune valeur, tandis que d’autres sont érigés au rang de martyrs pour une cause sacrée. Enfin, tout dépendrait-il des lunettes à travers lesquelles on regarde la réalité ? Sommes-nous déjà placés dans un camp au sein d’un conflit sans le savoir ni même le soupçonner ? Dans ce cas, serait-il peine perdue d’essayer de se faire sa propre opinion à partir de l’analyse des faits ? La recherche de la paix et de la vérité nous empêche de succomber à une telle résignation.

Dans un travail remarquable de 46 pages intitulé “Le monopole de la mort – comment gonfler les chiffres pour les attribuer au gouvernement”, Enrique Hendrix a recensé les nombreuses incohérences des différents rapports présentés par les trois principales organisations des droits de l’homme, la CNIDH, la CIDH et l’ANPDH. En comparant les différents rapports depuis le début de la crise, jusqu’à la date des derniers rapports présentés (du 18 avril au 25 juin), il en a conclu que les trois organisations recensent un total de 293 morts. Or, dans 26% des cas (77 citoyens), l’information sur les morts est incomplète et reste à vérifier. Dans 21 % des cas (60 citoyens), les morts sont des personnes assassinées par l’opposition, soit des fonctionnaires publics, soit des militants sandinistes qui ont été assassinés pour avoir aidé les autorités à démonter les barricades. Dans 20 % des cas (59 citoyens), les morts ont été des manifestants, des opposants ou des personnes ayant monté des barricades. Dans 17 % des cas (51 citoyens), les morts n’ont pas de relation directe avec les manifestations. Enfin dans 16% des cas (46 citoyens), les morts étaient des passants qui ne participaient pas aux affrontements.

Comme on peut le constater dans cette étude, les bilans de ces organisations manquent cruellement de rigueur et mélangent toutes sortes de victimes (bagarres entre des gangs, accidents de la route, meurtres dans le contexte d’un vol de véhicule, conflit entre des propriétaires de terrain, agents de police, femme enceinte dans une ambulance bloquée par les barricades…). Conclusion : si on prend en compte les circonstances exactes de chaque mort, il est évident qu’on ne peut pas attribuer la responsabilité au seul gouvernement. À la lumière de ces éléments, on a le droit d’interpeller les médias internationaux sur leur manque d’objectivité. Pourquoi un tel alignement avec un secteur de l’opposition qui s’est déclaré farouchement hostile à tout dialogue ?  

 

 

Qui ne veut pas de dialogue ?

 

 

Ce mécanisme de propagande se complète par le “blackout” d’autres informations qui ne sont pas considérées comme pertinentes. Or, alors que les médias se focalisent sur les affrontements, d’autres secteurs de l’opposition continuent à participer aux différentes sessions des “tables de dialogue pour la vérité, la paix et la justice”, organisées pour écouter les différents points de vue et chercher à établir des responsabilités dans la vague de violence qui ravage le pays. D’autant plus que les conclusions définitives des différentes missions d’observation des droits de l’homme dans le pays n’étaient pas encore rendues, pour faire l’objet de discussions sur base des nouveaux éléments. Mais, que peut-on attendre du dialogue entre les deux parties, lorsqu’un certain nombre d’observateurs ont déjà décidé d’avance que le seul responsable de la violence est le gouvernement ?

Partout dans le monde, le rôle de la police consiste à réprimer en cas de “trouble à l’ordre public”. Mais on ne comprend pas pourquoi les autorités lui donneraient l’ordre de s’attaquer si sauvagement et arbitrairement à des civils, au même moment où se déroule le dialogue de paix. En revanche, on pourrait attendre une attitude pareille de ceux qui, refusant de participer aux dialogues, chercheraient à le saboter, voyant un intérêt à ce que ce processus déraille. Dans ce cas, il n’est pas invraisemblable que des malfrats encagoulés se soient fait passer pour des forces para-policières à plusieurs reprises.

Quoiqu’il en soit, ce n’est pas moins crédible que la version de ces mêmes encagoulés, qui affirment que le gouvernement de Daniel Ortega aurait donné le feu vert à des civils camouflés pour détruire des infrastructures et tuer d’autres civils ! Pourtant, le gouvernement n’a pas nié qu’au début de la crise certains agents de police ont parfois agi en utilisant une violence disproportionnée, et il a répondu que la justice devra déterminer leur responsabilité dans des actions punissables par la loi. L’Assemblée Nationale a, quant à elle, lancé une initiative consistant à créer une “Commission de la Vérité, de la Justice et de la Paix” avec l’objectif de rendre un rapport sur les responsabilités dans les violations des droits de l’homme dans un délai de trois mois.

Mais dans le conte de fées que les médias dominants fabriquent du matin au soir, et sur internet 24h sur 24h, il n’est même pas envisageable que le gouvernement du Nicaragua se retrouve face à des difficultés dont les causes seraient complexes et multiples. L’emballement médiatique et les positions des personnalités politiques étrangères font office de preuve irréfutable ! Comme cela a déjà été le cas au Venezuela ces dernières années, prendre le public en otage de cette manière est une insulte à son intelligence. Bien sûr, tout ne s’explique pas par les tentacules de la pieuvre impérialiste. Mais pour celui qui s’intéresse un tant soit peu à l’histoire des relations inter-américaines au cours des deux derniers siècles, il n’est pas sérieux d’oublier son poids et de considérer que cette influence est une affaire du passé.

 

 

Comment exporter la démocratie par les dollars

 

 

Il semble que peu d’observateurs soient vraiment choqués par la progression fulgurante de ces événements, qui se nouent à l’image d’un fil d’Ariane vers un seul et même objectif : condamner le gouvernement d’Ortega et exiger des élections anticipées. C’est là où le bât blesse : des pays latinos où les assassinats de syndicalistes, paysans et leaders sociaux ont été une chose courante pendant des années, où les efforts pour la paix des gouvernements sont considérés au mieux comme parfaitement inefficaces, au pire comme inexistants, tels que la Colombie, le Honduras ou le Mexique ne sont pas du tout inquiétés pour l’image de leurs “démocraties”. Il y a quelque chose qui cloche, n’est-ce pas ? Pour éclaircir ce mystère, un rappel sur l’histoire du XXème siècle vaut le détour.

Les coups d’État et déstabilisations fomentés de l’étranger, comme en République dominicaine ou au Guatemala, montrent que dans la deuxième partie du XXème siècle le contexte latino-américain était toujours marqué par l’interventionnisme militaire de la doctrine de Monroe et du “destin manifeste” des États-Unis. Ce n’était rien d’autre qu’une politique impérialiste de contrôle des ressources et des matières premières de l’Amérique latine, présentée désormais comme une “croisade” anticommuniste dans le contexte de la guerre froide. En revanche, la domination des États-Unis ne se limiterait pas à une démonstration de force fondée sur le “changement de régime” et l’envoi de troupes sur le sol, mais elle prendrait aussi des formes de domination culturelle, notamment à travers les soi-disant politiques d’ “aide au développement”.

Dans son discours en janvier 1949, le président américain Harry Truman qualifia les pays non industrialisés de pays “sous-développés”. Ainsi, en 1950, le Congrès américain adopta une Loi pour le Développement International (AID, Act for International Development). Le 4 septembre 1961, une loi du Congrès des États-Unis remplaça l’ACI par l’USAID, qui devait mettre en œuvre une nouvelle vision, plus globale, de” l’aide au développement” adressée à n’importe quel endroit de la planète. Comme on put le constater dans le coup d’État contre Jacobo Arbenz au Guatemala en 1954, la lutte anticommuniste n’était qu’un prétexte. La principale préoccupation du gouvernement américain était d’empêcher le développement de la conscience nationale au sein des armées et de la police des “pays sous-développés”. C’est pourquoi, de 1950 à 1967, “le gouvernement des États-Unis consacra plus de 1 500 millions de dollars à l’aide militaire aux pays d’Amérique latine”. (1)

Après la victoire de la Révolution Cubaine en 1959, John Kennedy annonça l’Alliance pour le progrès en 1961. C’était une initiative similaire au plan Marshall en Europe. Entre 1961 et 1970, l’Alliance pour le Progrès offrit une aide économique à l’Amérique Latine de 20 milliards de dollars. L’un des objectifs était la stabilisation des régimes qui combattaient le communisme par l’influence de Cuba.

“John F. Kennedy et ses conseillers conçoivent un plan d’intervention dans la région, l’Alliance pour le progrès, consistant en un investissement de vingt milliards de dollars pour le développement économique et une imposante assistance militaire. La décennie des années soixante est marquée par la formation d’une nouvelle génération de militaires latino-américains et du transfert de capital et de technologie de l’armée étasunienne vers l’Amérique latine. Le Pentagone et la CIA dessinent leur stratégie pour stopper l’avancée du socialisme : l’École de Panama, tenue par l’armée étasunienne, forme les cadres des forces armées latino-américaines”. (2)

Sous le concept fallacieux de “politiques d’aide au développement”, la “création d’armées fortes et de police” et “l’aide militaire aux régimes réactionnaires et pro-impérialistes” servaient à offrir aux monopoles “les conditions les plus favorables à l’exploitation des pays sous-développés”. (3) En d’autres termes, ces “aides” représentaient avant tout une arme politique en faveur des intérêts économiques des pays du Nord. Ceux-ci étaient représentés dans l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), fondée en 1961 et également connue sous le nom de “club des pays riches”. Elle était composée de 27 pays, essentiellement ceux d’Amérique du Nord, d’Europe occidentale et le Japon.

 

 

Les résistances émergent tôt ou tard

 

 

Mais la nouvelle réalité issue de la décolonisation en Asie et en Afrique représentait aussi une prise de conscience : la force des pays libérés résidait désormais dans leur unité. Cela leur permettrait d’exercer une certaine orientation dans l’agenda de l’Assemblée des Nations Unies, et de défendre le “droit au développement” autonome. Ainsi, dans les années 70, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) jouerait un rôle important dans la défense des intérêts du Groupe 77. Créée en 1964, la CNUCED fut qualifiée par la Déclaration Commune des 77 pays comme un “tournant historique”.

L’invasion et l’occupation militaire du Nicaragua par les États-Unis permet de mieux apprécier la valeur historique de la Révolution Populaire Sandiniste et la résistance aux ingérences dont elle fit preuve dans les années 1980. Le scandale du financement des Contras par la CIA à travers le trafic de drogue en Amérique centrale fut la preuve que ces plans ne sont pas infaillibles. Malgré les nombreuses ingérences et déstabilisations subies tout au long de l’histoire, les peuples du Sud ont un avantage sur les puissants : la mémoire et l’intelligence collective.

Après la répression des dictatures, la crise de la dette et le règne du FMI dans les années 1970-80, l’Amérique Latine allait connaître de nombreux révoltes sociales dans la décennie de 1990, préparant le terrain pour l’arrivée de nouveaux gouvernements progressistes au Brésil, en Équateur, au Venezuela ou en Bolivie. L’étape suivante fut de lancer l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA), un organisme de coopération régionale créé en 2004 pour mettre en échec le projet de la Zone de Libre-échange des Amériques (ALCA en espagnol) défendu par les États-Unis.

 

 

Que reste-t-il aujourd’hui des ingérences d’hier ?

 

 

Depuis les années 1990, à la fin de la guerre froide, l’aide US n’avait plus le prétexte de la contention du communisme. Il a alors pris la forme de “lutte antiterroriste” ou de “politiques de sécurité et anti-drogue”. Voici les principaux bénéficiaires de l’aide US en Amérique Latine : 9,5$ milliards pour la Colombie ; 2,9$ milliards pour le Mexique ; et depuis 2016, l’aide à l’ensemble des pays du Triangle Nord d’Amérique centrale (le Salvador, le Guatemala et le Honduras), a dépassé celle destiné aux deux premiers. (4) Ce qui explique qu’on condamne systématiquement certains pays et pas d’autres…au détriment de la réalité et du degré de violence.

Pourtant, la guerre froide n’est pas finie dans la tête de certains. C’est ainsi que le sécrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, croit nécessaire en 2018 de se plier aux exigences de la Maison Blanche, et de harceler nuit et jour des pays comme le Nicaragua ou le Venezuela au risque de se ridiculiser. En effet, lorsque dans une session spéciale de l’OEA le porte-parole US vient de critiquer la violence au Nicaragua et de l’attribuer exclusivement au gouvernement, peut-on le croire sur parole ? Il vaudrait mieux lui rappeler que son pays n’a pas la moindre légitimité pour parler du Nicaragua, car il l’a envahi et occupé militairement pendant 21 ans, pour ensuite soutenir le clan du dictateur Somoza pendant 43 ans de plus !

La “restauration conservatrice” des dernières années, avec les “coups d’État en douce” pour renverser Lugo au Paraguay, Zelaya au Honduras, Rousseff au Brésil ; l’échec du processus de paix en Colombie, la persécution judiciaire contre Jorge Glas, Lula Da Silva et maintenant Rafael Correa, est le contexte idéal pour que l’OEA, cet organisme obsolète, essaie même d’en finir avec le souvenir des conquêtes sociales des dernières années.

Puisque les US n’ont pas inventé l’eau chaude, pour arriver à leurs fins ils doivent utiliser les moyens du bord. C’est donc sans surprise que la Freedom House, financée entre autres par l’USAID et la National Endowment for Democracy (NED), a décidé de créer un groupe de travail spécial dédié à lutter contre le FSLN au Nicaragua dès 1988. Il est toujours opportun d’entendre le co-fondateur de la NED, Allen Weinstein : “Beaucoup des activités que nous menons aujourd’hui étaient prises en charge par la CIA il y a vingt-cinq ans. La grande différence, c’est que lorsque ces activités sont menées ouvertement, le flop potentiel est de zéro. L’ouverture est leur propre (garantie de) protection”. (5)

Aujourd’hui, l’ingérence continue à passer par le financement des mouvements d’opposition, encadrés par des programmes de formation pour “jeunes leaders” prêts à défendre bec et ongles les valeurs de la sacrosainte “démocratie” et à renverser les “dictatures” de leurs pays d’origine. C’est ainsi que de 2014 à 2017, la NED a financé à hauteur de 4,2$ millions des organismes nicaraguayens comme le IEEPP, la CPDHN, Invermedia, Hagamos Democracia ou la Fundacion Nicaraguense para el Desarrollo Economico y Social. Lorsqu’on rappelle ceci aux jeunes opposants et à leurs sympathisants, ils font semblant de ne pas comprendre…

S’il a pu être d’une efficacité redoutable dans certains pays comme l’Ukraine en 2014, le schéma que nous avons décrit doit être confronté à la réalité et aux traditions politiques de chaque pays. Au Nicaragua, le FSLN est la force politique dominante qui a obtenu la victoire démocratiquement aux trois dernières élections. Il est significatif que les secteurs de l’opposition qui comptent sur l’appui des US, de la droite et du patronat local, soit obligés d’utiliser les références au sandinisme pour essayer d’obtenir une certaine crédibilité. Or, cette pratique va trop loin lorsqu’elle essaie de comparer le gouvernement sandiniste et la dictature de Somoza, en diabolisant ainsi Daniel Ortega.

La marche pour la paix convoquée par le FSLN le 13 juillet, en hommage au 39ème anniversaire du “repli tactique” historique du sandinisme à Masaya, est une nouvelle démonstration de force du peuple nicaraguayen et de sa volonté de faire échouer la stratégie violente de l’opposition. Les peuples du monde seront-ils à la hauteur de la solidarité qu’exige ce moment ?

 

Notes :

1) Yves Fuchs; La coopération. Aide ou néo-colonialisme? Editions Sociales. Paris, 1973, pp. 55
2) Claude Lacaille ; En Mission dans la Tourmente des Dictatures. Haiti, Equateur, Chili: 1965-1986. Novalis, Montreal, 2014. p 23.
3) Gustavo Esteva, “Desarrollo” en  SachsWolfgang (coord.) Diccionario del Desarrollo, Lima, PRATEC, 1996. p. 52.
4) https://www.wola.org/es/analisis/ayuda-militar-de-estados-unidos-en-latinoamerica/
5)Washington Post, 22 septembre 1991.

 

Source : Journal de Notre Amérique n° 38

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