Au Congo, seule la colonisation est durable

Crise climatique oblige, les multinationales et les diplomates occidentaux enjoignent le Congo à booster sa production de cobalt, un composant essentiel, notamment pour les batteries des voitures électriques. Augmenter la production de cobalt, mais à quelles conditions? Pendant que les Occidentaux rêvent de voitures propres et d’une planète plus verte, les Congolais triment pour alimenter une industrie pas très nette. (IGA)


 

L’esprit de Berlin flotte sur l’Afrique. Pas une seule grande puissance ne laisse le continent en paix. Au contraire, elles mettent tous les moyens en œuvre pour attirer – et garder – des alliés dans leur camp. L’opportunité actuelle, c’est la COP 26, le sommet climatique de Glasgow. L’envoyé américain pour le climat, Jonathan Pershing, vient de boucler une tournée du Cap à Dakar, afin de rameuter les gens de bonne volonté. Au Cap étaient également présents les envoyés pour le climat du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’UE. Un arrêt obligé pour l’envoyé américain Pershing a été Kinshasa, la capitale de la province minière la plus riche du globe terrestre, pour reprendre le jargon de l’industrie.

Pershing a mené une diplomatie climatique des plus intenses et a promis des dollars pour la transition, entre autres, la transition vers moins de charbon en Afrique du Sud. Mais, au Congo, à cette « race to zero » (la course vers zéro émission de gaz à effets de serre), Pershing a associé un objectif stratégique de la plus haute importance : « la course au cobalt ». Sans cobalt, pas de batteries, surtout dans l’industrie automobile. Or, l’industrie minière au Congo fournit 60 % du cobalt et l’industrie occidentale entend obtenir des garanties absolues de pouvoir continuer à emporter le cobalt du Congo. Ainsi que tous les autres métaux du sous-sol du pays. Ici, les astres sont favorables.

Le Congo est un pays appauvri. C’est la première raison, et il accepte toutes les rentrées qu’il peut recevoir. Cette année, le budget ne dépasse pas un très modeste 7 milliards de dollars, pour un pays potentiellement riche comptant une population de 87 millions d’âmes. De fait, l’industrie minière, le moteur du pays, est orientée avant tout sur l’extractivisme : elle extrait le plus de minerais possible du sous-sol, afin de les exporter. En 2018, lorsqu’une nouvelle loi minière est entrée en vigueur, les principaux exploitants miniers se sont violemment opposés à l’augmentation des taxes et à la perspective de voir le gouvernement amener des modifications dans la loi tous les cinq ans.

Ce lobby (« les G7 ») consistait en une étrange alliance de multinationales occidentales et chinoises. Mais Félix Tshisekedi, le nouveau président depuis 2019, manipule astucieusement le lobby. Tshisekedi se profile expressément comme pro-occidental – il se concerte toutes les semaines avec Mike Hammer, l’ambassadeur américain à Kinshasa. Au printemps dernier, il a pris position contre les multinationales chinoises, dans le cadre d’une offensive préparée depuis 2019. Tshisekedi a expliqué qu’il en avait assez « que des étrangers viennent ici sans rien et qu’ils s’en aillent en milliardaires, pendant que nous, nous restons pauvres ».  

Et le Congo joint les actes à la parole. Récemment, hasard ou pas, six entreprises chinoises ont été mises à l’arrêt dans le Congo oriental parce qu’elles exploitaient des minerais sans autorisation. La campagne est bien accueillie à Washington et à Bruxelles. Au début de ce mois, au cours du dialogue entre l’UE et le Congo, la délégation européenne s’est elle aussi exprimée de façon très virulente contre le trafic illégal de minerais. En janvier, l’Union européenne a adopté une réglementation qui oblige les entreprises à contrôler que leurs matières premières ne proviennent pas d’exploitations inhumaines. Les exportations doivent être « clean », mais l’exportation reste la règle.

Les gens font un travail inhumain, parce qu’ils ne peuvent faire autrement, parce qu’ils sont dramatiquement pauvres. À Kolwezi, la plus grande ville minière du Congo, j’ai vu comment on recherchait les corps de mineurs disparus. Ils travaillaient de façon artisanale, sans protection, mais également sans statut, dans le lit de la rivière Musonoi, quand les lourdes pluies ont transformé la rivière en véritable raz-de-marée et ont fait s’effondrer leur puits de mine. Partout, aujourd’hui, aux alentours de Kolwezi, on trouve de ces puits artisanaux. Des dizaines de milliers de personnes y travaillent, dans des conditions indescriptibles. Les minerais que ces gens produisaient se frayaient un chemin vers l’exportation via des acheteurs. Au fil des années, leur part dans la production a si fortement augmenté – elle représente aujourd’hui entre 20 et 30 pour 100 de tout le cobalt extrait du Congo – que l’industrie a décidé de se pencher sur le secteur artisanal. 

Pour l’instant, je dénombre au moins dix initiatives de « responsible sourcing » ou approvisionnement responsable : ce sont des pipelines destinés à canaliser le cobalt artisanal du Congo de façon telle qu’il puisse arriver chez les destinataires connus. Deux compatriotes du consulat belge à Lubumbashi m’ont invité à un lunch au Golf‘, un club tout confort exclusif de cette autre ville minière du Katanga. Ils ont lâché qu’ils étaient très occupés avec la Global Battery Alliance (GBA). Ce lobby de plus de 70 entreprises veut que les fabricants de batteries (et, en premier lieu, les constructeurs automobiles) tournent à plein rendement. La GBA prétend « aborder le changement climatique et soutenir le développement durable », des slogans nobles, mais, pour cela, il faut « déverrouiller le potentiel entier », y compris les matières premières des mines du Congo. Les entreprises belges Umicore et DEME sont membres de la GBA, les diplomates belges à Lubumbashi savent pour qui ils retroussent les manches.

Le résultat ? Le monde entier veut avoir accès au cobalt du Congo pour – dit-on – conjurer une bonne fois pour toutes cette satanée crise climatique. La seule chose durable, au Congo, c’est la colonisation. 87 millions de Congolais restent à la traîne, sans emploi digne, sans revenu décent, sans minerais, sans raffineries, sans industrie transformatrice propre. Pendant que nous nous rafraîchissons, eux peuvent suer sang et eau, comme cela a toujours été le cas depuis des éternités.

 

Raf Custers est journaliste, écrivain et historien.

 

Carte blance parue dans le Standaard

Traduit du néerlandais par Jean-Marie Flémal pour Investig’Action

 

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