Assange et l’Equateur, résister à l’impérialisme

Depuis le 11 avril 2019, Julian Assange est incarcéré à la prison de Belmarsh près de Londres, en isolement complet. Cette situation a aggravé la tendance à la dépression qu’il connaissait déjà suite à l’acharnement des Etats-Unis qui le poursuivent depuis 2010, depuis la publication par WikiLeaks de documents révélant des crimes de guerre commis en Afghanistan et en Irak par les Etats-Unis et les forces de la coalition.

Depuis le 11 avril 2019, Julian Assange est incarcéré à la prison de Belmarsh à la suite de son arrestation par la police britannique à l’ambassade d’Equateur, après le retrait par le gouvernement de Lenin Moreno de son asile politique.

En ce mois de février 2021, Julian Assange est toujours en prison, dans l’attente des procédures d’appel de l’accusation étasunienne contre le verdict de refus d’extradition prononcé le 4 janvier 2021.

En ce mois de février, l’Equateur connaît la première élection présidentielle depuis l’accession au pouvoir de Lenin Moreno, élection à laquelle il ne se présente pas. L’impopularité due à sa trahison des idéaux de la révolution a débouché sur un score de…2% pour la candidate qu’il soutenait.

 

La poursuite d’Assange, dix ans déjà !

Obama et “l’obstacle Washington Post”

En 2010, alors que WikiLeaks devient de plus en plus connu à la suite de la publication des Iran War Logs (avril 2010) et des Afghan War Diary ( août 2010), à la suite surtout, sans doute, de la vidéo “Collateral Murder”, Julian Assange est devenu un personnage public qui, en plus de son travail de journaliste, est invité dans de nombreux pays à donner des conférences.

Sa façon de travailler a été, à plusieurs reprises, évoquée par des journalistes qui ont eu l’occasion de travailler avec lui. Pendant les audiences de septembre de la procédure d’extradition, de nombreux témoignages ont décrit Assange comme très attentif à la sécurité et à la précision avec laquelle des documents de l’importance de ceux obtenus par WikiLeaks ( rappelons à ce propos le nom de la lanceuse d’alerte à qui cela est dû : Chelsea Manning qui a, elle aussi, payé le prix du respect de sa conscience et du respect de la vérité) devaient être étudiés et expurgés avant d’être publiés dans des journaux tel que cela a été le cas, dans The Guardian, The New York Times, Der Spiegel, El Païs, Le Monde etc.

Ce travail et les publications de WikiLeaks avaient dès le début retenu l’attention des Etats-Unis, y voyant un risque d’intensification des mouvements d’opposition aux guerres, clef de voute de leur politique.

C’est pourquoi, l’administration Obama a mis sur pied une section de 120 agents du renseignement  ( de l’armée et du FBI ) travaillant sur le sujet. L’enquête pénale contre Julian Assange a été ouverte en juillet 2010

Cependant, comme le Premier Amendement de la constitution des Etats-Unis garantit la liberté d’expression et la liberté de la presse, la difficulté d’impliquer Assange sans impliquer certains journalistes de la presse étasunienne constituait “l’obstacle Washington Post” comme cette difficulté était appelée, et elle avait mené à un abandon de la poursuite par l’administration Obama.

A cette époque, cette administration “tenait” déjà Chelsea Manning qui allait être condamnée à 35 années de prison. Mais elle semblait laisser à  Assange la liberté de se déplacer.

Une image d’Assange contre le journaliste Assange

Des actions contre Assange et WikiLeaks étaient pourtant menées comme par exemple le blocage de leurs cartes bancaires. C’est ainsi que lorsqu’il est arrivé en Suède pour un cycle de conférences, Assange s’est retrouvé sans argent et a dû accepter de l’aide. On connaît la situation dans laquelle il s’est alors trouvé et qui s’est transformée en véritable piège, le privant de fait pour des années de toute liberté. L’enquête ouverte par la Suède pour délits sexuels a été finalement fermée le 19 novembre 2019 ( elle l’avait déjà été fermée et réouverte par deux fois). Neuf longues années de poursuite pour un dossier a priori “simple”. La journaliste Stefania Maurizi a pu montrer qu’il avait été prolongé au-delà même de la volonté des autorités suédoises et exacerbé sous la pression des USA.

Les médias qui avaient pourtant bénéficié des publications de WikiLeaks se sont détournés d’Assange mais sont restés attentifs à l’image qui se construisait autour de ces “allégations suédoises”.

La question principale, ce n’était plus les crimes de guerre commis par les Etats-Unis et les forces de la coalition, les lumières tournées vers ceux-ci pendant quelques temps ont été éteintes et elles ont brutalement éclairé l’image d’un Assange infréquentable. Agissant ainsi, les autorités étatiques et les médias ont, non seulement, détourné l’attention du public des crimes commis – une vieille technique souvent utilisée- mais encore ont fait de celui qui les avaient dénoncés le criminel. Et c’est ainsi qu’a commencé une poursuite qui est en elle-même déjà un châtiment puisqu’elle prive le protagoniste de sa liberté et cherche à le priver aussi de soutien.

Alors qu’il avait quitté la Suède libre ( la procureure Eva Finné ayant clos le dossier) et qu’il s’était rendu en Grande-Bretagne pour y continuer ses activités, Julian Assange s’est retrouvé sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par la Suède, la procureur Marianne Ny ayant fait lancé un avis de recherche contre Julian Assange, avis qui avait été rapidement transformé en mandat d’arrêt international.

Il fut arrêté à Londres, en décembre 2010, placé d’abord en détention, à l’isolement complet à la prison de Wandsworth, puis assigné à résidence dans la banlieue de Londres ( bracelet électronique et pointage dans un commissariat).

Julian Assange a toujours accepté de répondre aux questions de la justice suédoise ( cela pouvait se faire par téléphone, par exemple, comme cela se fait dans de nombreux cas ) mais a refusé d’être extradé vers la Suède, craignant que cette extradition ne soit le tremplin pour une extradition vers les Etats-Unis.

L’asile équatorien

Il comprend clairement les risques de cette dangereuse situation et quand le Royaume-Uni décide son extradition vers la Suède, il décide le 19 juin 2012 de se rendre à l’ambassade d’Equateur pour y demander l’asile politique. Asile qu’il obtiendra le 16 août 2012. ( naturalisation le 12 décembre 2012).

Il est frappant que Julian Assange choisisse l’Equateur, un pays qui depuis 2007 et l’accession à la présidence de Rafaël Correa, cherche de nouvelles voies, en rupture avec la soumission aux Etats-Unis. Même si la politique de Correa ne remporte pas l’approbation de tous, il faut reconnaître que dans cette période postcoloniale, il cherche à rompre avec les dominants et l’exploitation sans contrepartie des matières premières dans les pays dominés. Il se base sur l’exploitation par le pays d’une de ses principales ressources, le pétrole mais cherche à en faire une base pour de nouvelles politiques. Rafael Correa a rompu avec le FMI, expulsé les Etats-Unis d’une base militaire qu’ils avaient sur le territoire et a mis sur pied des politiques sociales contrant celles imposées par le néolibéralisme. Certes l’Equateur est dans le collimateur des Etats-Unis mais moins que le Venezuela par exemple. Assange choisit donc un pays qui résiste aux Etats-Unis et peut comprendre sa situation.

Pour le représenter, il choisit  Balthazar Garzon qui deviendra son contact avec les autorités équatoriennes et restera par la suite et le coordinateur des équipes d’avocats d’Assange et un conseiller juridique de Correa. Les discussions dureront à peu près deux mois avant qu’enfin il reçoive l’asile politique de l’Equateur.
Cependant, entretemps, la petite ambassade de Londres est devenue le lieu le plus surveillé de la planète. Assange ne peut plus en sortir, menacé d’être immédiatement arrêté et extradé vers la Suède,  la police britannique la surveille en permanence et des caméras nombreuses ont fleuri tout autour du bâtiment. On sait maintenant qu’en plus de cette surveillance policière visible, les faits et gestes d’Assange et de ses visiteurs ont été assez rapidement espionnés par une petite agence privée de surveillance qui sous couvert de sécuriser l’ambassade, travaillait en fait pour la CIA. ( Le procès du patron David Morales de cette agence – UC Global- se déroule actuellement en Espagne).

En fait, Julian Assange a été espionné en permanence dans l’ambassade,  comme la société  UC Global l’espionnait pour le compte de la CIA, ceci signifie que la CIA connaissait les moindres faits et gestes  d’Assange et de ses invités ( dont ses avocats ) et par ailleurs toutes les activités diplomatiques de l’Equateur.

Il faut donc noter ce fait important, la CIA connaissait les éléments de la défense d’Assange mis en place par ses avocats. N’oublions pas non plus que quelques temps après son arrestation, la haute autorité de la justice équatorienne a décidé de remettre les effets personnels d’Assange restés à l’ambassade non pas à sa famille ( ni même à la justice britannique) mais aux autorités étasuniennes.

Le droit à la confidentialité de la défense a donc été violé à plusieurs reprises.

La décision de l’Equateur de donner l’asile politique à Julian Assange était une décision forte, elle reposait principalement sur la défense de la liberté de la presse et sur le respect des droits humains.( 1)

Concrètement, l’organisation de la vie à l’ambassade fut loin d’être facile car il s’agissait d’un petit appartement où il était difficile d’accueillir un “locataire” permanent en plus des activités diplomatiques. Mais un modus vivendi avait été trouvé et Assange a pu sinon y vivre normalement, y travailler et y recevoir de nombreux invités, des journalistes ( il existe des nombreuses  interviews réalisées à l’ambassade (2)), ses avocats bien sûr,  des  amis et parents et des liens d’amitié se sont aussi noués avec des membres du personnel de l’ambassade comme par exemple avec le consul Fidel Narvaez. Cet homme au parcours peu commun puisque ne venant pas de la carrière diplomatique, mais de l’activisme notamment auprès de l’immigration équatorienne, est aujourd’hui encore un soutien sans relâche de Julian Assange.

 

Le peuple équatorien et Assange trahis

Cependant les choses ont radicalement changé après l’élection en 2017 de Lenin Moreno à la présidence de l’Equateur. Lors de cette élection, Lenin Moreno qui avait été son vice-président, a été choisi par le peuple équatorien – 51% des voix au second tour- pour continuer la politique du Mouvement Citoyen. Mais il a trahi ces voix dès son arrivée au pouvoir.

Elu le 24 mai, dès le mois d’août il négocie avec les USA, utilisant Assange comme un produit d’échange contre des produits financiers du FMI, il accueille de nouveau les soldats étasuniens sur la base et mène sur le plan social des politiques d’austérité très dures. Très vite le peuple équatorien se soulèvera contre ces politiques d’austérité  ( notamment contre l’augmentation du carburant) et dans les premières manifestations, le portrait de Julian Assange est brandi car le peuple a ressenti la trahison envers Assange comme une humiliation pour l’Equateur sur le plan international (3).

Les soulèvements culmineront en octobre 2019, c’est dans un pays en plein désordre social que la pandémie achèvera d’installer le chaos.

En avril 2019, l’Equateur va retirer l’asile politique à Assange ( et quelques mois plus tard la nationalité) et comme Assange refuse de quitter l’ambassade, l’Equateur laisse entrer la police britannique pour l’arrêter.

Après le 11 avril 2019

On sait que le jour même Assange est condamné à 50 semaines de prison ( presque la peine maximale) pour la violation de sa liberté conditionnelle en 2012 et dans la foulée est immédiatement incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh, en isolement complet. Depuis, il n’en est plus sorti alors que les 50 semaines sont purgées depuis longtemps, octobre 2019 normalement, et qu’aucune charge ne pèse plus sur lui au Royaume-Uni. Il reste enfermé dans la seule attente de la décision concernant son extradition vers les Etats-Unis, une demande d’extradition introduite peu de temps après le 11 avril, d’abord pour des charges de piratages informatiques assorties de 5 ans de prison puis rapidement transformées en charges d’espionnage assorties de 175 années de prison. L’administration Trump qui a remplacé celle d’Obama a moins de scrupules à propos de la liberté de la presse mais surtout elle a mis sur pied le tour de passe-passe idéal, transformer Assange en espion. Et derrière l’arbre Assange se trouve cachée la forêt de tous ceux qui voudraient continuer un travail sérieux, simplement sérieux de journalisme d’investigation, des espions que l’on jugera selon l’Espionnage Act”.
Il n’a jamais obtenu de libération conditionnelle, même pas en période de pandémie. Alors que, à cause du risque de propagation du virus dans les prisons, l’OMS et l’observatoire des prisons conseillaient de libérer des prisonniers en fin de peine, en préventive…Assange n’a pu être libéré, ne rentrant dans aucune de catégories prévues !  (Signalons par ailleurs que les libérations conditionnelles effectives pour raison COVID ont été beaucoup moins nombreuses que ce qui avait été conseillé).

Il n’a pas été libéré non plus après que le 4 janvier dernier, la juge Vanessa Baraitser a refusé son extradition vers les Etats-Unis. Il est donc maintenant, toujours dans les mêmes conditions d’isolement ( encore renforcées par la pandémie), toujours à la prison de Belmarsh. L’accusation étasunienne a introduit un appel de la décision de refus d’extradition. La défense d’Assange a jusqu’au 29 mars pour introduire un appel incident. L’appel incident devrait bien sûr dire l’impossibilité de retourner en arrière par rapport à la décision du 4 janvier mais devrait aller plus loin, faire reconnaître comme raisons de ne pas extrader Assange, les raisons liées à la protection du travail des journalistes qui ont été niées par la juge se rangeant sur ces points aux côtés de l’accusation.

La compagne d’Assange a dit sur Twitter à ce sujet: ” Nous voulons une conclusion selon laquelle l’extradition est une tentative de criminaliser le journalisme, pas seulement aux Etats-Unis, mais au Royaume-Uni  et dans le reste du monde et que la décision d’inculper Julian Assange est un acte politique, une violation du traité, une violation de droits humains et un abus de procédure”.

Aux Etats-Unis, un nouveau président est arrivé mais pour Assange rien de changé, d’ailleurs Biden était vice-président d’Obama quand la poursuite avait commencé et il l’avait qualifié de “High Tech terrorist”. Les charges restent les mêmes.

 

Février/ Avril, Assange/ Equateur

Ce mois de février a vu se dérouler le premier tour des élections en Equateur, après que des tentatives ont été faites pour interdire au parti du mouvement citoyen de se présenter, après des essais de blocage complet des élections, et cela alors que le pourcentage de soutien à Moreno est si faible qu’il a décidé de ne pas se présenter et, ayant bien rempli son rôle vis-à-vis des Etats-Unis, de s’y rendre, laissant son pays dans le chaos.
Nullement spécialiste de l’Amérique latine, je désire seulement noter comment je ressens ce parallélisme entre Assange et ce qu’il a dénoncé de la domination des Etats-Unis et la reprise de leur mainmise sur l’Equateur par cette sorte de coup d’Etat d’un genre nouveau et par le soutien au lawfare contre Correa.

Assange et l’Equateur sont liés non seulement par la demande d’asile mais aussi lié fondamentalement par la résistance aux politiques de domination des Etats-Unis qui continuent de se manifester par les guerres qu’elles soient guerres brutales et continues comme en Irak et en Afghanistan, ou plus récentes et tout aussi brutales en Libye et en Syrie, qu’elles soient guerres économiques comme au Venezuela, guerres médiatiques….

Quand on parle de Julian Assange, on parle d’un journaliste qui a révélé des crimes de guerre, des corruptions, des malversations, on parle d’un homme qui a permis d’identifier des milliers de victimes civiles, des milliers de morts. On parle de celui qui a dénoncé ceux-là même qui osent l’accuser de trahison.

Assange et Wikileaks nous ont permis de connaître ces faits et de nous informer sur la réalité des guerres qu’on nous disait humanitaires. Le messager ne doit pas être tué.

Depuis dix ans, l’acharnement se poursuit. En 2016, un groupe de l’ONU travaillant sur le sujet a déclaré la détention d’Assange arbitraire et a clairement montré du doigt le Royaume-Uni et la Suède, exigeant sa libération immédiate. Au début de ce mois de février, cela faisait 5 ans. Ni le Royaume-Uni, ni la Suède n’ont réagi. Mais cette décision de l’ONU devrait empêcher tout argument supposant que l’on doive faire confiance à la justice britannique, il y a manifestement des cas où le doute doit prévaloir et le courage politique l’emporter.  

Le 11 avril 2021, il y aura deux ans que la police britannique aura arrêté Assange dans l’ambassade d’Equateur à Londres, à l’invitation du gouvernement équatorien de Moreno.

Le 11 avril 2021, les Equatoriens pourront tourner cette sombre page de leur histoire récente, lors du second tour des élections présidentielles.

La lutte pour la libération d’Assange se prolongera au-delà de celle-ci, elle viendra, il faut en être sûr, mais la lutte continuera pour le droit d’être informé et pour …reconstruire un mouvement pour la paix !    

 

(1) Déclaration de Ricardo Patino, ministre des Affaires étrangères

(2)

Le Grand Journal – Juin 2014-   https://www.youtube.com/watch?v=ScFu7MeY4G4

RT – 2015- https://www.youtube.com/watch?v=eJ0qTjC5Qw4  

John Pilger – Novembre 2016 –  https://www.youtube.com/watch?v=WksG3XSBvE4

(3) https://legrandcontinent.eu/fr/2019/06/29/lequateur-au-miroir-du-cas-assange-une-conversation-avec-guillaume-long/

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