Amérique Latine en Résistance : Cristina dans l’œil du cyclone

Editorial / Cristina dans l’œil du cyclone 

 

L’Argentine et l’Amérique latine ont été ébranlées par la tentative d’assassinat contre Cristina Fernandez de Kirchner, le 1er septembre, aux portes de sa résidence. Un homme l’a visé directement à la tête et un mauvais fonctionnement de l’arme a permis de sauver l’actuelle vice-présidente argentine.

Cet épisode constitue un exemple particulièrement criant de la polarisation croissante au sein du pays mais c’est aussi un rappel de la violence qui a toujours fait partie de l’action de la droite en Amérique latine.

L’attaque a eu l’effet d’un véritable séisme et les réactions ont été immédiates. Le président Alberto Fernández a décrété un jour férié, déclarant que la “paix sociale” dans le pays avait été violée. Le vendredi 2 septembre, de grandes manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes argentines, pour exprimer le soutien à Cristina Fernández et rejeter la violence politique. Des messages de soutien et de solidarité sont également arrivés en provenance d’autres pays du continent. Des présidents, tels que Lucho Arce (Bolivie), Miguel Díaz-Canel (Cuba) et Nicolás Maduro, ont condamné l’événement. Maduro a lui-même été victime d’un assassinat raté en août 2018, lorsque deux drones chargés d’explosifs ont explosé près de l’estrade où il tenait un discours.

Les autorités argentines enquêtent à présent sur le responsable de cette tentative, Fernando Sabag Montiel, 35 ans, afin de déterminer s’il a agi seul ou sur ordre de quelqu’un d’autre. A deux reprises, il a refusé de se présenter devant le tribunal.

Sa compagne, Brenda Uliarte, 23 ans, était sur les lieux de l’attaque et a également été arrêtée. Ses déclarations se sont avérées, jusqu’à présent, contradictoires. D’autre part, au moins 30 témoins ont comparu devant le tribunal pour donner des détails sur ce qui s’est passé, dont des manifestants qui se trouvaient sur les lieux, des policiers fédéraux et des gardes du corps de la vice-présidente.

Pour le moment, les enquêteurs suspectent que l’attaque aurait pu être préméditée et que le couple détenu aurait agi avec le soutien d’autres personnes.
La tentative d’assassinat a détourné pendant quelques jours l’attention du précédent “séisme”: le procès contre Cristina Fernández de Kirchner, qui a été présidente entre 2007 et 2015.

Le 22 août, ont pris fin les plaidoiries des procureurs Diego Luciani et Sergio Mola qui avaient requis contre l’ancienne présidente une peine de 12 ans de prison, l’interdiction d’exercer des fonctions publiques et la confiscation de ses biens.

C’est maintenant le tour de la défense des 13 anciens fonctionnaires et hommes d’affaires accusés d’avoir fait partie d’une “association illicite” qui aurait profité à l’homme d’affaires Lazaro Baez, un ami de la famille Kirchner, grâce à des contrats de plusieurs millions.

Plus tard, début octobre, ce sera le tour de la vice-présidente. Entre-temps, celle-ci a souligné que toutes les preuves et tous les témoignages allégués à son encontre sont “faux” et “vont s’écrouler”, ce qui révèle les lacunes d’un système judiciaire lié à l’ancien président Mauricio Macri; il agit selon des intérêts partisans et ne cherche qu’à l’écarter.

Différents analystes, aussi bien en Argentine qu’à l’étranger, n’ont pas hésité à conclure qu’il s’agit là d’un énième cas de « lawfare » : l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire pour persécuter les dirigeants politiques progressistes et de gauche afin de les écarter de la scène politique. On peut citer les cas de Lula, qui a été empêché de participer aux élections de 2018, ou de Rafael Correa, également disqualifié et actuellement en exil en Belgique.

Les épisodes récents, procédure judiciaire et tentative d’assassinat, surviennent au milieu d’une période mouvementée dans le camp péroniste. Le gouvernement d’Alberto Fernández n’a pas réussi à améliorer la situation économique délicate du pays et a pris des mesures de plus en plus impopulaires, même au sein de sa coalition. La pandémie et le conflit en Ukraine ont réduit sa marge de manœuvre.

En ce sens, il est facile d’interpréter les attaques contre Cristina comme une tentative d’éliminer, au sens propre ou figuré, une figure qui pourrait unir la gauche et empêcher une nouvelle victoire de la droite aux élections de l’an prochain.

Dans les mois à venir, l’actuel gouvernement devra trancher, entre donner la priorité à la grande majorité, durement touchée par l’inflation, ou rester l’otage des grands intérêts, tant de la bourgeoisie nationale que des agents extérieurs comme le Fonds Monétaire International. Il est probable que les fissures dans le leadership péroniste s’approfondissent et que Cristina, ou une autre figure, émerge comme candidate à la présidentielle.

 

Brèves

 

Colombie / Extradition du frère de Piedad Córdoba

 

Álvaro Córdoba.

Le président colombien, Gustavo Petro, a signé l’ordonnance d’extradition vers les États-Unis du frère de la célèbre sénatrice Piedad Cordoba, Alvaro Cordoba; son extradition était requise par le tribunal du district sud de New York pour des délits présumés de trafic de drogue.

Le président Petro a ratifié le décret administratif qui entérine l’extradition, de sorte que la défense d’Alvaro Córdoba dispose désormais de 10 jours pour faire appel.

L’ordre du chef de l’exécutif a été émis après que la Cour Suprême de Colombie a approuvé que l’accusé soit jugé par la justice des Etats-Unis Le bureau du procureur colombien ouvrira également une enquête pour trafic d’armes et association de malfaiteurs.

 

Paraguay / Poursuites pénales à l’encontre du vice-président 

 

Le Parquet du Paraguay a ouvert une enquête contre le vice-président, Hugo Velázquez, suite aux accusations américaines selon lesquelles il serait impliqué dans une affaire de corruption présumée.

Velázquez avait d’abord déclaré qu’il présenterait sa démission, décision appuyée par le président Mario Abdo Benítez, mais il est ensuite revenu sur sa décision de démissionner au prétexte qu’aucune enquête officielle le concernant n’avait été diligentée.

Après cela, le président Benítez a insisté sur le fait que la solution idéale serait que Velazquez démissionne, mais il a rappelé qu’il n’avait pas le pouvoir de l’imposer.

Les accusations portées par le Département d’État des Etats-Unis contre une longue liste de dirigeants latino-américains ont été qualifiées d’ingérence manifeste par plusieurs nations du continent.

 

Haïti / Nouvelle vague de protestations

 

Protestations en Haïti (Reuters)

Le peuple haïtien est de nouveau descendu dans la rue, début septembre, pour des manifestations massives dans plusieurs villes.

Les manifestations ont dénoncé la hausse du coût de la vie, suite à une inflation qui a déjà dépassé 30 %, ainsi que l’insécurité et la violence. Les appels à la démission du Premier ministre actuel, Ariel Henry ont été nombreux.

Ariel Henry a accédé au pouvoir à la suite de l’assassinat de Jovenel Moïse, en juillet 2021, mais il a constamment repoussé la décision de convoquer de nouvelles élections dans cette nation caribéenne. Le Premier ministre a promis des mesures pour réduire la pauvreté et augmenter l’approvisionnement en carburant.

 

Venezuela / Mandat d’arrêt contre un ancien ministre

 

Le Parquet du Venezuela a émis un mandat d’arrêt contre Rafael Ramírez, ancien ministre du Pétrole, entre 2002 et 2013, et ancien ambassadeur du pays auprès des Nations unies (2014-2017).

Les autorités l’accusent d’avoir mis en place un système de corruption qui a entraîné, pour la compagnie pétrolière de l’État vénézuélien, des pertes d’une valeur de 4,85 milliards de dollars. Parmi les pièces à conviction qui étayent l’accusation, le procureur général a présenté une vidéo contenant les aveux de Victor Aular qui fut vice-président des finances de la société Petroleos de Venezuela.

Ramirez, pour sa part, a assuré que ces accusations font partie d’une persécution politique à son encontre.

 

Equateur / Clôture des tables rondes de dialogue

Tables rondes de dialogue. (Radio Pichincha)

Le gouvernement équatorien et les mouvements indigènes ont clôturé les quatre premières tables rondes de dialogue établies en juillet après les troubles sociaux qui ont secoué le pays andin.

Les tables rondes thématiques ont porté sur certaines des principales revendications des manifestants qui sont descendus dans les rues de Quito. Certains accords ont été conclus, comme la réforme des lois sur les mines et les hydrocarbures et la subvention des tarifs des services de base pour les familles nécessiteuses.

Toutefois, des différences subsistent sur les principales questions. Par exemple, le gouvernement a refusé de fixer les prix de 42 produits de base et d’effacer des dettes allant jusqu’à 3 000 dollars. D’autres discussions se prolongeront en octobre.

 

Interview

 

Chili / Carlos Gutiérrez: “La convention constituante a inspiré de la méfiance, à un certain moment”

 

Le 4 septembre, plus de 60 % des Chiliens ont rejeté une nouvelle proposition progressiste de constitution pour le pays andin. Carlos Gutiérrez, économiste et analyste politique, explique ce résultat et les prochaines étapes.

 

Ce 4 septembre, le nouveau texte constitutionnel a été rejeté à une large majorité. Comment expliquer ce résultat puisque ce projet de nouvelle constitution avait bénéficié d’un très grand soutien populaire ? Quel rôle les médias ont-ils joué ?

Ce projet de nouvelle constitution a été fermement et largement rejeté. Cependant, nous ne devons pas penser pour autant que le projet de nouvelle constitution a été rejeté. En réalité, les sondages montrent qu’une grande partie de la population continue de soutenir la nécessité de modifier la constitution de 1980, celle de Pinochet. Ce qui a été rejeté, c’est le projet de constitution élaboré par la convention actuelle.

C’est un point sur lequel il convient de réfléchir. Par exemple, la population a éprouvé, à un moment donné, une certaine méfiance à l’égard des débats et des discussions qui se déroulaient au sein de la convention, à l’égard de la manière dont s’effectuaient les discussions lors de la rédaction, ce dont la droite a effectivement su tirer parti. Ceux qui ont donc perdu sont la convention et la liste du peuple, considérée comme un outil de la base populaire qui ne cadrait pas avec les structures traditionnelles de la façon de faire de la politique; ceci a provoqué un grand désarroi au sein de la base populaire.

Quant aux médias, ils ont certainement joué un rôle important, car la plupart d’entre eux constituent le bras idéologique des grandes élites économiques et du pouvoir. Ils ont joué sur la confusion, en remettant constamment en question chacun des articles de la constitution, en soulignant le fait que la façon selon laquelle elle avait été rédigée donnait lieu à de nombreuses confusions et interprétations. Certaines statistiques montrent que le plus grand rejet de la nouvelle Constitution a été enregistré dans les secteurs les plus pauvres et les plus populaires de la population; c’est un secteur qui est fortement “bombardé” par les médias.

La grande question est ” Et maintenant, que se passe-t-il?”. Quelles erreurs faut-il corriger tant dans le texte constitutionnel que dans l’ensemble du processus pour finalement remplacer la Constitution Pinochet ?

Il y a un point intéressant, c’est que de nombreux secteurs, certains alignés sur les politiques institutionnelles et d’autres non, ne se sont pas sentis représentés. De fait, un slogan a circulé pendant tous ces mois : “J’approuve mais pas comme ça”. En d’autres termes, pour certains, la forme n’était pas idéale. Et tout spécialement, du fait que la convention était tenue de respecter certaines prémisses : les accords internationaux ne pouvaient pas être remis en cause, les concessions minières, l’institutionnalité républicaine, les pouvoirs ne pouvaient pas être transformés.

Et ce qui a été le plus critiqué, c’est le fait que les éléments constitutifs de l’économie chilienne ne pouvaient pas être remis en cause. Par exemple, dans la nouvelle constitution, l’État continue de financer les secteurs privés, il continue d’avoir l’obligation d’acheter la dette privée, la Banque centrale continue d’avoir l’indépendance de gérer les finances à sa guise; ce sont ces éléments qui ont généré la crise actuelle.

Quoi qu’il en soit, le président chilien, Gabriel Boric, a l’intention de faire avancer le renouvellement ou la construction d’un nouveau projet en recourant à d’autres mécanismes. On parle de deux possibilités : un processus de réforme au sein du Congrès, en passant par les institutions existantes, ou un processus constituant avec des membres du Congrès, de la société civile, des partis politiques et des mouvements sociaux, une sorte de nouvelle convention mais à partir du Congrès. Le grand problème qui demeure, c’est que la majorité de la population considère que l’État constitué a un très fort manque de légitimité.

Gabriel Boric n’a pas eu la vie facile dans les premiers mois de son mandat. Quel pourrait être l’impact de cette défaite sur la scène politique chilienne, et pour le gouvernement en particulier ?

Le gouvernement de Boric achèvera bientôt sa première année et une grande partie des promesses n’ont pas été tenues. Cela a également favorisé ce sentiment permanent d’illégitimité. De plus, la droite a été très habile pour faire passer le triomphe du “rejet” comme un moyen d’évaluer le gouvernement de Boric.

Mais, pour être honnête, sur certaines questions assez épineuses au Chili, il a maintenu les mêmes politiques que son prédécesseur (Sebastian Piñera). Par exemple, en ce qui concerne le grand problème qui existe dans le sud du Chili avec les Mapuches, il y a toujours une forte répression et dans certaines régions de l’Araucanie, elle a augmenté. On n’a pas fait grand-chose sur la question du système de retraite, sur la nécessité d’augmenter le salaire minimum, quelque chose de concret qui permettrait de résoudre les difficultés matérielles, ni sur la sécurité sociale privatisée.

Alors, aujourd’hui, la droite a des éléments forts pour l’attaquer, à la fois à cause de son inefficacité et à cause de ce qui s’est passé lors de ce référendum. C’est pourquoi il est si soucieux de poursuivre ce processus constituant, car c’est le seul moyen de donner une continuité à son projet et de faire pression pour respecter son agenda. Ce ne sera pas du tout facile, surtout au vu des conditions économiques des deux prochaines années.

 

Statue de Francisco Morazán à Tegucigalpa.

 

Veines ouvertes / L’exécution de Francisco Morazán

 

Originaire du Honduras, José Francisco Morazán Quesada a été président de la République fédérale d’Amérique centrale entre 1830 et 1839. Il est considéré comme un grand penseur et un visionnaire de son temps.

Durant son mandat, Morazán a promu la séparation de l’État et de l’Église, développé les infrastructures et cherché à redistribuer les terres. Mais ses réformes progressistes ont suscité une forte opposition de la part des élites locales et surtout de l’Église catholique.

La république unifiée finira par se désintégrer en cinq pays (Costa Rica, Nicaragua, Honduras, Salvador et Guatemala) en 1841, tandis que Morazán sera écarté du pouvoir puis exécuté.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source : Investig’Action

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