Amérique Latine en Résistance : Peuple dans la rue!

Éditorial / Grève en Equateur

 

Le mouvement indigène a secoué la pays en Équateur durant le mois de juin. La grève nationale, qui a duré 18 jours et qui a amené des milliers de militants à Quito, a été une explosion sociale qui a exposé la réalité délicate du pays andin.

Avec un gouvernement dirigé par un banquier, Guillermo Lasso, dévoué aux grands intérêts et aux recettes néolibérales du Fonds Monétaire International (FMI), les conditions de vie de la majorité de la population sont devenues de plus en plus précaires.

Dans ce contexte, les groupes indigènes n’ont pas eu d’autre alternative que celle de descendre dans les rues de la capitale équatorienne.

La mobilisation massive rappelle les protestations qui ont lieu contre l’ensemble des mesures néolibérales prises par Lenín Moreno en 2019. Et, comme à l’époque, l’organisation la plus importante était la Confédération des Nationalités Indigènes de l’Équateur (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador – CONAIE), avec le leadership très marqué de Leonidas Isa.

Parmi les autres organisations qui ont participé aux manifestations figurent la Confédération Nationale des Organisations Paysannes, Indigènes et Noires (Confederación Nacional de Organizaciones Campesinas, Indígenas y Negras – FENOCIN) et le Conseil des Peuples et Organisations Indigènes Évangéliques (Consejo de Pueblos y Organizaciones Indígenas Evangélicos – FEINE).

L’appel à la grève était accompagné de 10 revendications principales:

  • Réduction et arrêt de la hausse des prix du carburant.
  • Moratoire et renégociation des dettes auprès du système financier pour plus de 4 millions de familles.
  • Prix équitables sur les produits agricoles.
  • Emploi et droits du travail.
  • Moratoire sur l’extension de la frontière d’extraction minière/pétrolière.
  • Respect des 21 droits collectifs.
  • Arrêt de la privatisation des secteurs stratégiques.
  • Politiques de contrôle des prix et contre la spéculation sur les produits de première nécessité.
  • Santé et éducation.
  • Politiques visant à freiner la vague de violence en Équateur.

 

Lasso a réagi selon un scénario familier: il dénonce un « coup d’État » en cours et ordonne le déploiement des forces répressives. Le bilan est brutal : 6 manifestants morts, 331 blessés et 158 ​​arrêtés. Les images qui ont circulé sur les réseaux ont révélé les violations des droits de l’homme commises par la police nationale et les forces armées.

La résistance de la CONAIE et des autres mouvements, conjuguée à la médiation de la Conférence Épiscopale, ont amené le gouvernement à la table des négociations. Bien sûr, il y a eu plusieurs « descentes » du train ministériel, avec les départs des ministres de l’Économie et des Finances, Simón Cueva, celui de la santé publique, Ximena Garzón, et celui des Transports et Travaux Publics, Marcelo Cabrera.

Le gouvernement a cédé à certaines des revendications immédiates des mouvements dont la réduction des prix du diesel et de l’essence de 15 cents par gallon. Un recul de l’exécutif, même si les prix (respectivement 1,75 et 2,40 dollars) sont loin de ceux réclamés par les manifestants.

Parmi les autres concessions figurent l’abrogation des plans d’expansion des activités pétrolières et minières_y compris dans les territoires autochtones, l’augmentation des primes pour les familles les plus vulnérables, ainsi que des subventions et des crédits pour les petits producteurs agricoles. Le gouvernement a également accepté de déclarer une urgence dans le secteur de la santé afin d’accélérer l’approvisionnement en médicaments et fournitures nécessaires au fonctionnement du système public.

Au-delà des réponses immédiates, des tables de dialogue ont été mises en place pour chercher des réponses à d’autres demandes dans les 90 prochains jours. Les mouvements contestataires ont regagné leurs territoires mais Iza a bien averti qu’ils retourneraient dans les rues de Quito si Lasso ne tenait pas ses promesses.

La grève a été une nouvelle démonstration de l’épuisement du modèle néolibéral en Amérique latine et en Équateur en particulier. Dans un contexte déjà complexe, des événements tels que la pandémie ou le conflit en Ukraine laissent à découvert l’empressement du gouvernement Lasso dans son désir de protection des intérêts des élites.

En même temps, il ‘y a plus aucun doute sur le fait que, comme en 2019, les organisations indigènes équatoriennes ne disposent toujours pas d’un horizon politique où convergeraient leur capacité de mobilisation. Dans le cas contraire, des demandes très ponctuelles peuvent simplement épuiser la capacité de combat tout en permettant aux gouvernements en place de gagner du temps.

Autre point d’analyse: le manque d’articulation entre des mouvements comme la CONAIE et d’autres forces de gauche, notamment le « correísme[1] », pour construire une large alliance néolibérale qui réaborderait les problèmes structurels du pays. Le manque d’unité, dû à la méfiance mutuelle, finit par permettre à la droite de gagner les élections ou de démobiliser plus facilement les protestations dans la rue.

[1] En référence à l’ancien président Rafael Correa.

 

Brèves

 

Colombie / Petro ratifie le rejet de la fracturation hydraulique

 

Fracking en Colombie (Pacifista)

Gustavo Petro, qui assumera ses fonctions de président de la Colombie le 7 août prochain, a réaffirmé que son gouvernement n’autorisera pas l’extraction pétrolière par fracturation hydraulique. Le candidat du Pacte Historique a remporté les élections présidentielles du 19 juin dernier.

Cette décision va compliquer la renégociation de contrats pouvant s’élever à plusieurs millions de la part de la compagnie nationale Ecopetrol et va rendre plus tendues les relations entre le nouveau gouvernement et le secteur pétrolier.

En mars de cette année, l’Autorité Nationale des Licences Environnementales (ANLA) a approuvé le premier projet pilote de fracturation hydraulique dans le département de Santander. Cette mesure a suscité des critiques de la part de l’opposition et de divers secteurs de la société civile.

 

Venezuela / Des progrès dans l’affaire Carlos Lanz

 

Après presque deux ans, le Bureau du Procureur Général du Venezuela a fait la lumière sur l’enlèvement suivi du meurtre du sociologue et leader politique révolutionnaire Carlos Lanz et a permis d’inculper les responsables. Lanz, figure largement reconnue dans les rangs de la Révolution bolivarienne, avait disparu en août 2020.

Le procureur Tarek William Saab a désigné Maxiorisol (Mayi) Cumare, épouse de Lanz, comme l’auteur intellectuel du crime, crime commis dans le but de dissimuler un présumé réseau de corruption qu’elle dirigeait dans une institution publique.

A également été mis en détention Glenn Castellanos, l’amant de Maxiorisol Cumare. Les deux inculpés sont accusés d’être les commanditaires du meurtre, d’association criminelle et de dissimulation de faits délictueux.

 

Brésil / Lula muni d’un gilet pare-balles

 

Lula en campagne électorale (Globo)

L’ancien président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, le candidat actuellement en tête dans les sondages pour les élections du 2 octobre prochain, a porté pour la première fois un gilet pare-balles lors d’un meeting à Rio de Janeiro.

Quelques instants avant le début du meeting, le public avait été agressé avec une bouteille contenant un explosif et des excréments. L’agression n’a pas fait de blessés, mais elle a mis en garde l’équipe chargée de la sécurité du candidat durant la campagne électorale.

Selon l’institut de sondage Genial/Quaest, le leader du Parti des Travailleurs recueillerait 45 % des intentions de vote tandis que Bolsonaro ne dépasserait pas les 31 %.

 

Uruguay / Des fouilles pour retrouver les corps des disparus sous la dictature

 

Ce 19 juillet, l’Institution des Droits de l’Homme de l’Uruguay a repris les fouilles sur des terrains militaires à la recherche des corps de personnes qui furent emprisonnées et qui disparurent pendant la dictature de 1973-1985.

L’institution déclare que ces fouilles auront lieu sur les terrains qui dépendent du Service des Matériels et des Armements (SMA) et qui avait fonctionné comme centre de torture entre 1975 et 1977.

Des organisations citoyennes et de défense des droits de l’Homme ont exigé que l’État uruguayen assume la responsabilité des disparitions survenues dans le cadre du plan Condor. On estime qu’environ 200 personnes ont disparu sous la dictature militaire.

 

Panama / Le pays secoué par des manifestations massives

 

Manifestations au Panama (AP)

Les forces syndicales et les organisations citoyennes de base sont descendues dans les rues au Panama pour protester contre le gouvernement de Laurentino Cortizo.

Ces manifestations ont paralysé le pays et bloqué certaines routes principales. Elles visent à dénoncer la hausse des prix du carburant, de la nourriture et des médicaments dans ce pays d’Amérique centrale. La corruption et la gabegie dans la gestion des finances publiques font aussi partie de la liste des motifs de mécontentement.

L’exécutif a mis en place des mécanismes de dialogue avec les organisations sociales. Certaines, comme l’Alliance Nationale pour les Droits du Peuple Organisé (Alianza Nacional por los Derechos del Pueblo Organizado – ANADEPO), proposent de mettre fin aux blocages en échange d’une baisse effective du prix des carburants et du panier des produits alimentaires de base.

 

Interview

 

Argentine / Alfredo Zaiat: “Manque d’audace dans la politique économique du gouvernement”

 

L’Argentine vit des temps turbulents, avec une économie instable et des tensions politiques au sein du gouvernement d’Alberto Fernández. Le journaliste et économiste Alfredo Zaiat aborde ces questions dans cet entretien pour Investig’Action.

Il y a quelques jours, nous avons assisté à la démission du ministre Martín Guzmán dans des circonstances controversées. Est-il correct de parler de crise au sein du gouvernement d’Alberto Fernández ? Comment en est-on arrivé là ?

Il est clair que l’économie argentine traverse une crise et cela en entraîne une autre au sein du gouvernement d’Alberto Fernandez. Pourquoi en est-on arrivé là ? Je crois qu’il y a eu des facteurs externes, comme la pandémie et la guerre (en Ukraine) avec un héritage très lourd qui a fortement conditionné la politique économique: il s’agit du désastre laissé par le gouvernement de Mauricio Macri. S’ajoute à cela la carence dans la gestion de ces trois crises, crise liée au macrismo, crise liée à la pandémie et crise provoquée par la guerre en Ukraine.

Il me semble que cette tension née de la gestion d’événements exceptionnels, et essentiellement la manière avec laquelle a été gérée la reprise économique, ont été déterminants. En effet, l’économie argentine s’est redressée de façon soutenue en 2021 et en 2022, jusqu’à ce jour, mais comment a-t-elle été redistribuée? Mal. Fondamentalement, elle est restée concentrée dans les secteurs les plus puissants et par conséquent cela crée des tensions avec la base électorale même de l’actuelle coalition gouvernementale laquelle a des liens privilégiés avec les secteurs les plus délaissés de l’économie, avec la classe laborieuse et même avec les petites et moyennes entreprises qui, elles, sont victimes des décisions dictées par l’esprit de domination des oligopoles.

Il y a clairement une crise économique qui se traduit par des taux d’inflation qui flirtent avec les 70% annuels, avec les revenus des travailleurs et des retraités qui sont à la traîne de ces taux d’inflation et il est impossible alors de retrouver le pouvoir d’achat perdu sous le macrismo. En moyenne, c’est près de 20% du pouvoir d’achat en termes réels qui ont été perdus pendant le macrismo et jusqu’à présent, sous le gouvernement d’Alberto Fernández, cette perte est toujours là.

On comprend qu’il s’agit d’une situation complexe, avec des facteurs externes, mais comment jugez-vous les politiques économiques du gouvernement? Doit-on expérimenter d’autres «recettes » ou prendre exemple sur d’autres modèles ?

Face à la complexité et à ces facteurs externes déjà mentionnés, je crois que la politique économique du gouvernement manque d’audace. On peut même approuver les grandes lignes d’une économie qu’on peut qualifier d’hétérodoxe, mais l’hétérodoxie peut être conservatrice ou audacieuse.

Jusqu’à présent, cette politique économique, indubitablement, a eu des traits hétérodoxes, par exemple un impôt extraordinaire sur les grandes fortunes, voire des mesures d’expansion fiscale qui ont généré un transfert de revenus vers les secteurs informels et même vers les entreprises pour qu’elles payent de meilleurs salaires. Idem pour ce qui concerne la renégociation de la dette ; on a diminué la dette pour les prochaines années en réduisant fortement le taux d’intérêt. Mais il y a clairement un manque de mesures capables de séduire la majorité de la population et fondamentalement les plus vulnérables.

Faut-il essayer d’autres recettes ? Je crois que là où il faut avancer c’est dans la prise de mesures audacieuses. Le kirchnerisme, dans ses douze années et six mois de gouvernement, a pris trois mesures que l’on peut qualifier d’audacieuses et que je mettrais moi en avant : l’allocation familiale universelle, la suppression du système de retraites privées et la nationalisation de la compagnie pétrolière nationale YPF. Il me semble que ce qui manque, ce sont des réponses extraordinaires pour affronter des événements extraordinaires.

Ces derniers temps, on perçoit de l’extérieur un manque d’unité dans le camp du “péronisme”. Y a-t-il des moyens de redresser le navire, en pensant aux élections de l’année prochaine ?

Il est évident qu’il existe une tension très forte dans l’espace de gouvernement appelé «péronisme». Je crois qu’il y a moyen d’essayer de faire en sorte que la convergence, l’union, puissent perdurer, mais cela exige de la confiance, du dialogue, de la coopération, que les questions d’ego soient laissées de côté, que la priorité de l’objectif principal soit établie à savoir éviter que la droite reprenne le pouvoir politique.

Il est clair qu’en Argentine, le pouvoir économique, médiatique et judiciaire est entre les mains de la droite. Par conséquent, et c’est même une question de survie, il faut préserver les espaces de droits sociaux et de droits du travail dont disposent encore les travailleurs, les secteurs informels et les retraités, qui sont certes peu nombreux, mais importants . Si la droite revient ce sera, comme elle l’a déjà annoncé, avec un objectif et un plan économique très régressifs, très agressifs. Elle est même décidée à faire violence au lien social démocratique. Il y a une phrase attribuée à l’un des grands écrivains argentins et même mondiaux, José Luis Borges : « Ce n’est pas l’amour qui les unit, c’est l’effroi » et, chez nous, c’est l’effroi face à la droite.

 

Fresque dedié à Gladys Marín à Santiago.

 

Veines ouvertes / Anniversaire de Gladys Marin

 

Gladys Marín est née le 16 juillet 1938 et est l’une des figures les plus reconnues du Parti communiste chilien (PCCH) et de la résistance contre la dictature militaire (1973-1990) soutenue par les États-Unis.

Active politiquement dès son plus jeune âge, elle a été députée entre 1965 et 1973. Après le coup d’État (11/09/73), depuis l’exil ou la clandestinité, Marín a lutté sans relâche contre le régime de Pinochet, dénonçant ses abus et organisant la résistance.

Après la fin de la dictature, elle a été secrétaire générale du PCCH pendant 8 ans. Elle a également été la première personne à porter plainte contre l’ancien dictateur, pour la disparition de son mari Jorge Muñoz en 1976.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi et Manuel Colinas Balbona. Relecture par Ines Mahjoubi.

 

Source : Investig’Action

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