Amérique Latine en Résistance: Pétrole, Etats-Unis et Venezuela

Éditorial / Mr Biden se rend à Caracas

 

Étonnamment, sans que personne ne s’en aperçoive, une délégation officielle des États-Unis s’est rendue à Caracas le 5 mars pour rencontrer le président Nicolas Maduro au palais de Miraflores. Le président vénézuélien a qualifié cette rencontre de « respectueuse », « cordiale » et « très diplomatique ».

Le conflit en Ukraine se répercutant sur les marchés, et en particulier sur les prix du carburant aux États-Unis, l’administration Biden s’est vu obligée de s’entretenir avec les membres de «l’axe du mal» tels que l’Iran et le Venezuela.

Des gestes de “bonne volonté” sont ressortis de cette rencontre avec la libération de deux citoyens américains détenus au Venezuela. De même, le gouvernement Maduro a promis de réactiver le processus de dialogue avec l’opposition, cette fois, selon une formule plus large et plus inclusive qui n’a pas encore été précisée.

Malgré les efforts déployés par les porte-parole de la Maison Blanche, il était clair pour tout le monde que les préoccupations américaines concernaient exclusivement le pétrole. Avec les élections au Congrès et au Sénat prévues en novembre et un bilan très peu inspirant pour Biden jusqu’à présent, les prix record du carburant menacent sérieusement de mener le Parti démocrate vers le désastre.

Les États-Unis ont bloqué les importations de pétrole en provenance de Russie (quelques 700.000 barils par jour) et chercheraient à les remplacer par du brut vénézuélien. Cependant, l’industrie pétrolière vénézuélienne se trouve dans une situation relativement fragile, en grande partie à cause des sanctions américaines, et ne serait pas en mesure de couvrir cette perte à court terme. Ainsi, l’objectif était-il simplement de chercher à sécuriser de nouvelles sources pour calmer les sacro-saints marchés.

Cependant, la question s’est immédiatement déplacée vers le terrain politique, avec les traditionnels faucons des sujets latino-américains tels que Marco Rubio et Bob Menéndez qui sont passés à l’attaque. Bien peu scrupuleuse, l’administration Biden a vite fait machine arrière et a déclaré qu’il n’y avait pas de pourparlers en cours pour acheter à nouveau du pétrole du Venezuela.

L’une des questions récurrentes était de savoir où en était le président autoproclamé Juan Guaido. Après des années passées à considérer le politicien de l’opposition comme le “leader légitime” du pays, une délégation de haut vol est donc venue s’entretenir avec Maduro sans même le prévenir à l’avance. Les réponses des porte-parole, selon lesquelles la “reconnaissance” de Guaido était maintenue, étaient prévisibles mais néanmoins peu convaincantes.

Entre déclarations officielles et avis anonymes, il est plus qu’évident que Washington cherche à se débarrasser d’une marionnette héritée de l’administration Trump qui n’a aucune chance de provoquer le changement de régime souhaité. Avec tous les yeux rivés sur l’Ukraine, Biden a peut-être (naïvement) pensé qu’il aurait plus de marge de manœuvre pour changer de cap.

Pour sa part, Guaido se retrouve dans une position de plus en plus faible et fragilisée. Les principaux partis depuis longtemps tentent de démontrer que celui-ci n’existe pas. Le secteur le plus extrémiste supplie les États-Unis de ne pas négocier avec le “régime” sans qu’il n’y ait de concessions en sa faveur, mais force est de constater que tôt ou tard, il finira par être évincé.

La position de Maduro, en revanche, s’est vu renforcée dans le contexte actuel. La visite des américains, bien qu’ils veuillent le démentir, est un signe de reconnaissance. Pour la première fois depuis longtemps, le gouvernement vénézuélien gagne un certain avantage sur l’échiquier géopolitique.

D’une part, il est moins « pressé » que ses adversaires qui sont à quelques mois d’une échéance électorale. D’autre part, avec la pression exercée par les organisations multilatérales, le vent souffle en sa faveur pour discuter, au moins, d’un relâchement des énormes sanctions dont il est objet. Ce sera la condition pour permettre l’approvisionnement en pétrole des États-Unis.

De la même façon, il est également dans l’intérêt de Maduro de générer un contexte qui permette à l’économie de se redresser significativement et, ainsi, de se présenter aux élections présidentielles de 2024 dans des conditions plus favorables. En 2021, l’économie vénézuélienne a progressé pour la première fois depuis sept ans, mais il est irréaliste de penser à une véritable reprise à court terme tant que le blocus actuel restera en place.

En fin de compte, le conflit en Ukraine a fini par affaiblir la position des États-Unis dans son propre hémisphère. Pour l’instant, le coût politique a ralenti les avancées mais le dialogue est officiellement ouvert.

Il est important de préciser qu’un éventuel changement de politique étrangère n’est pas dû à un sursaut de décence mais plutôt à un aveu d’échec de la stratégie actuelle. Le « changement de régime » continuera d’être l’objectif final. A ce titre, le Venezuela et les pays du Sud doivent se souvenir des paroles du Che: ” On ne peut pas faire confiance à l’impérialisme, ne serait-ce qu’un tout petit peu.”

 

Brèves

 

Colombie / L’uribisme se meurt

 

Fico Gutiérres sera le candidat conservateur en Colombie. (Forbes)

Après les élections législatives du 13 mars dernier, le Centre Démocratique (CD), parti fondé par l’ancien président Alvaro Uribe (2002-2010), a perdu 17 de ses 32 élus à l’Assemblée et cinq sénateurs par rapport à 2018.

Ainsi, ce parti qui était celui qui recueillait le plus de voix, se trouve-t-il relégué à la cinquième place. Suite à ces résultats désastreux, Oscar Zuluaga, son candidat aux élections présidentielles, s’est retiré de la course pour sièger à La Casa del Nariño.

Pour l’instant, le parti d’Uribe soutient «officieusement» Federico «Fico» Gutierrez, l’ancien maire de Medellin, qui va essayer de redonner un peu de vigueur au vote de la droite extrême et conservatrice. Mais les sondages placent en tête Gustavo Petro, le candidat de la gauche. Le premier tour est prévu le 29 mai.

 

Brésil / Bolsonaro va changer huit ministres

 

Le président du Brésil, Jair Bolsonaro, va changer huit des 23 membres de son gouvernement puisque ces ministres actuellement en poste seront candidats aux élections législatives du 2 octobre prochain.

Conformément à la loi électorale brésilienne, les ministres qui briguent un siège au Sénat ou un poste de gouverneur d’un Etat doivent cesser leur fonction ministérielle à la fin du mois.

Quant à leur remplacement, l’idée du Chef de l’Etat est de nommer l’un des membres de leur équipe ministérielle respective.

 

Paraguay / Les transporteurs protestent contre la hausse des carburants

 

Maniféstation des transporteurs. (Telesur)

Les transporteurs paraguayens descendent à nouveau dans les rues pour protester contre les récentes augmentations du prix des carburants.

En janvier, un litre de diesel coûtait 4 530 guaranies (soit 0,65 dollar), alors qu’il coûte aujourd’hui 7 050 guaranies (soit un dollar). Quant à l’essence ou naphta, son prix est passé de 4 790 guaranies le litre (0,69 dollar) à 7 615 (1,09 dollar) sur la même période.

Faute d’accord avec la compagnie pétrolière nationale, certaines associations de transporteurs ont d’ores et déjà commencé à augmenter les prix du fret.

 

Équateur / La CIDH condamne la situation des prisonniers en Equateur

 

Suite aux nombreux actes de violence enregistrés dans les centres pénitentiaires du pays, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) a publié un rapport sur la situation des personnes incarcérées en Équateur.

“En 2021, un total de 316 personnes incarcérées ont perdu la vie au cours de leur détention dans des locaux dont la sécurité incombe à l’Etat et des centaines d’autres ont été blessées dans une série d’agressions causées par les détenus eux-mêmes », indique la CIDH.

Selon la CIDH, en 2021, le nombre de morts dans les prisons équatoriennes a augmenté de 587 % par rapport à 2020, année où 46 décès avaient été enregistrés.

 

Argentine / Fernández annonce un “fonds de stabilisation”

 

Alberto Fernández (AFP)

Le président de l’Argentine, Alberto Fernandez, va créer un “fonds de stabilisation” grâce auquel il compte lutter contre l’inflation qui, pour le mois de février, a dépassé 52,3% en glissement annuel.

Le président a invoqué la guerre entre la Russie et l’Ukraine et sa répercussion sur les prix des denrées alimentaires au niveau mondial, et en particulier sur le prix du blé.

Pour répondre à cette situation, Fernández a expliqué sa décision de “créer un fonds de stabilisation dans le but d’éviter le transfert de cette hausse des prix mondiaux sur le prix que payent » les consommateurs argentins. Il n’a cependant pas précisé comment va fonctionner ce fonds.

 

Interview 

 

Chili / Marcelo Araya: “Boric cherche le dialogue sur la violence”

 

Le premier objectif du gouvernement est de donner des signaux clairs sur le fait que son gouvernement recherche le dialogue au-delà de la violence, au niveau de toute la population et de tous les secteurs du pouvoir. Ce ne sera pas facile, car le niveau d’influence des secteurs extrémistes est puissant à l’heure de la coexistence.

Mais Gabriel Boric a clairement indiqué qu’il veut empêcher que les jeunes qui ont manifesté dans les rues depuis le 18 octobre, et qui ont été arrêtés et poursuivis pour des actions plus ou moins violentes, aillent en prison pour purger leur peine.

Une autre pari prometteur est de mettre en œuvre des actions pour consolider l’esprit féministe du gouvernement de Boric, par exemple, par la composition de son gouvernement où il y a une majorité de femmes. Les institutions traditionnelles y ont contribué par des initiatives particulières, comme celle des Carabineros de Chile, qui ont désigné une femme sous-officier pour conduire la voiture présidentielle, et une femme comme aide de camp du président.

La troisième question que les Chiliens espèrent voir bientôt résolue est celle d’une meilleure coexistence avec les peuples indigènes. M. Boric s’engage à tout mettre en œuvre pour que l’État respecte les différences tout en préservant l’unité du pays. Mais la dette, que le peuple Mapuche affirme que l’Etat a envers lui, est lourde. La droite attribue à ces groupes des actions criminelles que l’opinion publique réprouve, comme le fait de s’associer au trafic de drogue pour survivre. Alors, selon les dires de la droite, Boric serait un mauvais président parce qu’il prétend dialoguer avec des délinquants. Mais, malgré cela, il y a de l’espoir.

Le nouveau gouvernement est hétérogène dans sa composition, et le président a cherché à traiter la question économique sur un ton conciliant. Pourra-t-il effectivement améliorer les conditions de vie de la majorité sans se mettre à dos le grand capital ou bien la confrontation est-elle inévitable ?

Le grand capital du Chili embrasse la droite. Cette droite chilienne est divisée entre les conservateurs croyants mais également néolibéraux en ce qui concernent les fondamentaux économiques et les relations avec les travailleurs, la droite politique néolibérale, essentiellement composée d’hommes d’affaires pragmatiques, et la droite des générations les plus jeunes, plus technologique, plus libérale en ce qui concerne les valeurs humaines, et individualiste.

Gabriel Boric sait qu’il aura toujours une faction de la droite avec laquelle négocier. Son habileté politique doit s’attacher à la maintenir divisée comme elle l’a été ces derniers temps.

Son gouvernement propose de profonds changements en matière de relations humaines entre les personnes et les différents groupes de chiliens. Respect de la différence. Il ne propose pas une grande révolution mais des transformations en accord avec les processus institutionnels.

La cérémonie d’investiture de Boric a révélé certains choix “pragmatiques” concernant les invités internationaux. Pensez-vous que cela sera une caractéristique du nouveau gouvernement ?

À mon avis, les actions du nouveau gouvernement répondront aux conditions propres à un groupe générationnel qui est arrivé au pouvoir avec des aspirations et des expériences très différentes de ceux qui ont gouverné le Chili après la dictature de Pinochet.

C’est une génération qui a moins de préjugés à l’égard de la diversité sexuelle et ethnique, etc. Ils ne sont pas encore tombés dans les “jeux politiques classiques” qui consistent à conclure des accords incompatibles avec leurs engagements initiaux, mais cela n’exclut pas leur volonté de dialogue. Néanmoins, il commettra sûrement de nombreuses erreurs, en raison de son impulsivité juvénile et de son désir de protagonisme, pour montrer qui est le meilleur référent en matière de changement.

 

Fresque dedié à Rodolfo Walsh à Buenos Aires.

 

Veines ouvertes / Meurtre de Rodolfo Walsh Walsh 

 

Écrivain et révolutionnaire, Rodolfo Walsh est considéré comme l’un des principaux précurseurs du journalisme d’investigation en Argentine.

Homme aux profondes convictions anti-impérialistes, ce journaliste s’est rendu à Cuba après la révolution et a participé à la fondation de l’agence de presse Prensa Latina. Il a été responsable du décryptage du message de la CIA qui annonçait les projets d’invasion américains à Playa Girón (1961).

Walsh a également été un pionnier du roman de non-fiction avec son œuvre Opération massacre (1957). Fervent combattant de la dictature de Jorge Rafael Videla (1976-1983), il a été assassiné le 25 mars 1977 par les forces de sécurité argentines.

 

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Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source : Investig’Action

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