Amérique Latine en Résistance: Manifestations et pandemie

Editorial / Le peuple bolivien retourne à la rue

 

Des milliers de Boliviens ont arrêté de respecter l’obligation de confinement pour manifester leur rejet après que le Tribunal électoral suprême de Bolivie ait confirmé que les élections prévues pour le 6 septembre seraient reportées au 18 octobre et que, si un second tour était nécessaire, cela se tiendrait le 29 novembre.
Ainsi , Jeanine Áñez occupera pendant presque un an le poste de présidente pour lequel elle s’était auto-proclamée le 12 novembre 2019 suite au coup d’État, alors même qu’elle avait assuré qu’elle ne l’occuperait que pour quelques semaines. Elle avait également déclaré à l’époque qu’elle ne serait pas candidate mais elle s’était finalement présentée.

Dans ce contexte, la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) a appelé à une mobilisation massive le 28 juillet et a été rejointe par la Fédération Unique des Travailleurs Paysans de Chuquisaca, le Conseil des Fédérations Paysannes de Los Yungas, la Confédération Syndicale des Communautés Interculturelles Originaires de Bolivie et la Jeunesse Interculturelle de Yacuiba, Tarija, entre autres organisations à travers le pays.

La réponse a été vraiment massive et les organisations ont annoncé une grève illimitée pour faire pression sur les autorités électorales du pays. En plus de protester contre le report des élections, les manifestants ont également exigé la fin des violences contre les parties qui s’opposent au coup d’État et un plan de santé pour faire face à la pandémie.

“Le problème dans le pays ce n’est pas le Covid-19, c’est ce gouvernement incapable qui n’a pas réagi en temps opportun (…) il politise la pandémie et joue avec la santé et la vie des gens”, a déclaré le président de la COB Juan Carlos Huarachi à la foule.

Mais la réponse du gouvernement de facto ne s’est pas faite attendre. Immédiatement après, le Ministre de la présidence du Gouvernement de facto de la Bolivie, Yerko Núñez, a déposé une plainte pénale contre Evo Morales l’accusant d’être ” complice, coauteur et dissimulateur de délit d’atteinte à la santé publique” pour avoir organisé des rassemblements au milieu de la pandémie.

Parmi les preuves alléguées présentées par le ministre, figure un tweet d’Evo Morales saluant le “grand effort” des manifestants pour maintenir “la vie et la démocratie”. “Cela montre qu’il est l’artisan de tous ces actes criminels”, a-t-il déclaré.

Mis au courant de la plainte, Evo Morales a rejeté la “criminalisation” des protestations sociales, estimant que de cette façon “les problèmes du pays ne seront pas résolus”. “Si le gouvernement de facto avait obtenu un respirateur pour chaque procès intenté contre des dirigeants sociaux et politiques, la pandémie aurait certainement pu être mieux gérée”, a-t-il déclaré.

Malgré cela, selon les sondages, Añez avance à une troisième place loin devant le candidat du Mouvement pour le socialisme [MAS], Luis Arce et celui de la Communauté Citoyenne, Carlos Mesa. Malgré le fait que le TSE de Bolivie ait fait valoir des raisons sanitaires pour reporter les élections de septembre à octobre, les manifestants considèrent que la décision ne répond qu’à des raisons politiques pour tenter d’empêcher la victoire du MAS.

Luis Fernando Camacho, l’une des principales figures du coup d’État de l’année dernière, l’a dit explicitement dans une lettre à Luis Almagro, le secrétaire général de l’OEA, défendant la suspension des élections. “Nous ne pouvons pas permettre aux élections de devenir un mécanisme pour la résurrection [du MAS]”, a-t-il écrit.

Des mois après le coup d’État, les autorités n’ont pas réussi à consolider leur pouvoir malgré le soutien des États-Unis et une répression brutale. Bien que de nombreuses erreurs peuvent être imputées à Evo Morales et à son parti, avant et pendant la crise politique qui a abouti au coup d’État, force est de constater qu’ils continuent d’être la force majoritaire disposant de la plus grande légitimité en Bolivie.

Áñez, Camacho, Mesa et les autres dirigeants de droite sont pleinement conscients de cette réalité et ils savent que même en faisant pencher la balance en leur faveur lors des élections, en comptant sur le soutien de l’OEA, la victoire sur le MAS est tout sauf une certitude. Ils essaient, dans ce sens, de gagner du temps et de chercher des astuces juridiques qui pourraient disqualifier Luis Arce.

Pour le MAS, l’enjeu est de continuer à accumuler le mécontentement populaire et de (re) construire un projet qui réponde aux aspirations des majorités populaires boliviennes. Il est important dans ce processus, de tirer les leçons du passé et de ne pas faire confiance aux institutions impérialistes ou compter sur les fascistes pour respecter les règles démocratiques. Le premier allié et le dernier c’est le peuple.

 

Brèves

 

Venezuela / L’opposition boycotte les élections

 

L’opposition soutenu para Washington ne participera pas aux élections de décembre. (Twitter)

L’opposition vénézuélienne dont le leader est Juan Guaidó a annoncé qu’elle ne participera pas aux élections législatives du 6 décembre.

Les secteurs de l’opposition les plus alignés sur Washington ont déjà rejeté à plusieurs reprises leur participation aux joutes électorales, exigeant comme condition préalable que Nicolás Maduro abandonne le pouvoir.

L’administration Trump soutient la position de Guaidó et de ses alliés. Elliott Abrams, l’envoyé spécial du gouvernement des États-Unis en charge du Venezuela, a déclaré que la Maison Blanche continuera à soutenir Guaidó et qu’il espère que les pays alliés feront de même.

Conformément à la constitution du Venezuela, le mandat de l’actuelle Assemblée Nationale prend fin cette même année.

 

Colombie / L’ordre est donné de protéger les ex-guérilleros

 

Le Département Spécial de la Justice pour la Paix (JEP) de Colombie a ordonné au gouvernement d’Iván Duque de prendre des mesures immédiates pour garantir la vie et la sécurité des membres du parti Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común (FARC).

Pour ce faire, le JEP a décrété des « mesures de précaution collectives » en faveur des ex-combattants dans un contexte marqué par une vague d’agressions contre les ex membres de ce groupe armé aujourd’hui dissous, agressions minutieusement répertoriées et documentées par la Mission de Vérification des Nations Unies.

Selon le parti FARC, environ 222 ex combattants insurgés ont été assassinés depuis la signature des accords de paix de 2016, lorsqu’environ 13 000 hommes et femmes ont déposé leurs armes.

 

Brésil / “Un véritable génocide”

 

Le Brésil a eu plus de 100 mil morts (AFP)

L’ex président brésilien, Luis Inácio « Lula » Da Silva, a critiqué l’attitude du président Jair Bolsonaro face au “véritable génocide” qui afflige le Brésil en raison du fort impact du covid-19.

“Le coronavirus a causé 91 000 morts. C’est un véritable génocide. Cela ne peut pas être banalisé”, a déclaré Lula, qui a condamné le fait que, pendant que le pays pâtissait de cette pandémie, Bolsonaro présidait des rassemblements de masse et « saluait les gens sans masque ».

Selon Lula, Bolsonaro “est tout sauf soucieux de résoudre les problèmes du peuple brésilien”, parce que seul l’intéresse le bien-être de sa famille.

A ce jour, le Brésil compte environ 3 millions de personnes contaminées.

 

Équateur / Le gouvernement demande pardon pour la disparition de cadavres

 

Le président de l’Équateur, Lenin Moreno, a présenté des excuses publiques aux proches des Équatoriens décédés des suites de la pandémie de Covid-19, à Guayaquil, défunts dont les corps ont disparu après la saturation du système de santé et des capacités funéraires.

Dans ce sens, les institutions médicales impliquées seront tenues d’apporter des actions de réparation aux familles ayant fait appel à leurs services.

En attendant, le ministère de la Santé accordera un suivi médical et psychologique, durant un an, aux parents des défunts jusqu’au quatrième degré de parenté.

Au début de la pandémie en Équateur, l’État de Guayaquil a été le plus touché. Aujourd’hui, outre le fait d’avoir à souffrir de la perte d’un proche, les habitants de cet Etat continuent à rechercher les cadavres de leurs êtres chers.

 

Colombie / Mandat d’arrêt lancé contre Uribe

 

Cour Suprême de Colombie a émis un mandat d’arrêt contre Uribe (Reuters)

Le 4 août, la Cour Suprême de Colombie a émis un mandat d’arrêt à l’adresse de l’ancien président Álvaro Uribe Vélez.

Uribe est accusé de subornation de témoins dans une enquête qui porte sur des détournements de fonds et sur ses liens avec les paramilitaires. Son avocat, Diego Cadena, serait également impliqué. Quant à l’actuel président de la Colombie, Iván Duque, il a fermement soutenu à plusieurs reprises son mentor.

Les organisations sociales colombiennes désignent Uribe comme le principal promoteur du paramilitarisme dans le pays. Son mandat a également été marqué par les assassinats connus sous l’appellation de « faux positifs ».

La décision de la Cour Suprême constitue le premier cas d’un mandat d’arrêt émis à l’encontre d’un ex président colombien. Uribe est passible de 12 ans d’emprisonnement.

 

Interview 

 

Chile / Marcelo Araya: « Nos responsables politiques ne veulent pas de changements, nous si, nous les voulons »

 

Fin 2019, les rues du Chili ont vu de puissantes manifestations contestataires qui ont fait trembler le système politique et exigé de profonds changements. Aujourd’hui, en pleine pandémie de coronavirus, dans une société grandement inégalitaire, la rue s’enflamme à nouveau. Cette interview est l’occasion de questionner Marcelo Araya, journaliste et universitaire, sur la pandémie de coronavirus au Chili et les conséquences sur la société chilienne.

 

A ce jour, le Chili se situe au quatrième rang des pays d’Amérique Latine ayant le plus grand nombre de malades atteints du covid-19 et au huitième rang à l’échelle mondiale. D’une façon générale, comment le gouvernement a-t-il géré cette pandémie ?

Le Chili s’affiche en permanence comme un pays moderne, mais il n’a pas les moyens de faire face à cette pandémie de coronavirus. Le pays réagit à divers niveaux : premièrement au niveau gouvernemental et patronal, ensuite au niveau des partis politiques, de l’Assemblée Nationale et des parlementaires, et enfin, avec beaucoup de nuances, au niveau des Chiliens de la classe moyenne et du prolétariat. Ces trois niveaux ne se rencontrent pas ; ils s’ignorent ; ils ne s’entendent pas. Et c’est pourquoi, Jaime Mañalich, l’ex ministre de la Santé de Piñera, a assumé l’échec de sa gestion. Lors de sa démission, un instant touché par le désespoir, il a fait cet aveu : « Je ne savais pas qu’au Chili il y avait autant de pauvreté ».

Le Chili a vendu l’image de la modernité en affichant des chiffres qui ne correspondent pas à la réalité du pays. Un exemple : le revenu par habitant est élevé, mais il est grandement influencé par les énormes revenus des 1%, c’est-à-dire ceux du monde de l’entreprise. Ainsi, les gens pensent que le Chili jouit d’énormes revenus, mais c’est parce que les patrons gagnent énormément. Les inégalités sont terrifiantes parce qu’il y a des gens qui gagnent très peu. La surface des bidonvilles, des zones occupées par les SDF, qui n’ont ni électricité, ni eau potable, ni évacuation des eaux usées, a augmenté de 22% et dans toutes ces zones il est impossible de confiner n’importe quel patient atteint du Covid-19. Un autre élément à prendre en considération c’est le fait que Pinochet ait démantelé et pulvérisé l’ensemble du système public de Santé. Aussi longtemps que les problèmes collectifs ne se sont pas posés, les conséquences de la précarité n’ont pas été visibles, mais avec cette pandémie on a vu clairement comment la privatisation impacte les services hospitaliers. Et puis, en plus, avec un gouvernement de patrons, l’économie a plus d’importance que la vie de nos compatriotes. Et c’est pourquoi ils ont décidé de maintenir l’activité économique.

Malgré la pandémie le pays a connu quelques manifestations et aussi des concerts de casseroles. Quelles sont les principales revendications ?

Ne pas avoir faim. Les gens ont faim. Les gens ne peuvent pas se déplacer ; ils ne peuvent pas travailler ; ils sont confinés, mis en quarantaine obligatoire dans toute la région métropolitaine de Santiago qui compte environ 7 millions d’habitants. Si on ajoute à cela le couvre-feu de 10 heures du soir à 5 heures du matin, on comprend que les gens ont eu l’impression d’étouffer et ont senti le besoin de s’exprimer dans la rue et de manifester leur colère ou de célébrer quelque fait mémorable par des concerts de casseroles. Lorsque les députés et les sénateurs ont décrété que les Chiliens avaient le droit de retirer 10% de leur épargne-retraite, il y a eu de nombreuses manifestations jubilatoires.

C’est au milieu de ce contexte qu’on commence à appliquer une mesure historique qui va permettre à des millions de Chiliens d’avoir accès à une partie de leurs fonds de pension privés (AFP). Que pensez-vous de cette décision et quelles conséquences va-t-elle avoir selon vous ?

Je salue le fait que les Chiliens puissent enfin retirer 10% de leur épargne-retraite pour les dépenser dès maintenant et subvenir à leurs besoins immédiats. Ces manifestations ont deux interprétations possibles. D’abord, faire savoir à la classe politique que la démocratie ce n’est pas seulement exprimer un vote à chaque élection, mais que les gens veulent participer en permanence, les gens comprennent qu’on les dupe avec des lois obscures. Deuxièmement, une fenêtre s’ouvre pour changer un système de retraites qui est absolument individualiste et qui nourrit les grandes entreprises parce que c’est elles qui gèrent ce fond de pensions sans se soucier le moins du monde de savoir si les gens toucheront une pension décente le jour de leur départ en retraite. En outre, selon ce système, la personne qui gagne peu épargne peu et donc touchera une pension misérable. Les gens veulent un système de retraites mixte, avec des fonds collectifs pour être solidaires des personnes qui n’auront pas eu la possibilité d’accumuler beaucoup d’épargne. Et tout cela survient à la veille du plébiscite du 25 octobre. Mais nous ignorons si ce plébiscite aura vraiment lieu à la date indiquée à cause de cette pandémie et si le pouvoir ne va pas s’en servir de prétexte pour repousser une fois de plus cette élection. Avec ce plébiscite nous devons décider si oui ou non nous voulons une nouvelle constitution, une sorte d’Assemblée Constituante pour réaliser un changement profond dans le pays avec une orientation plus humaniste de la vie économique. Nos responsables politiques ne veulent pas de changements, nous si, nous les voulons.

 

Fresque de Diego Rivera sur la Révolution Mexicaine

 

Veines Ouvertes / Emiliano Zapata

 

Emiliano Zapata est né le 8 août 1879. Au cours de ses presque de 40 ans de vie, il est devenu l’un des principaux dirigeants politiques et militaires du Mexique.

Après avoir grandi au milieu de la pauvreté dans l’état de Morelos pendant la dictature de Porfirio Díaz, Zapata a participé à une série de rébellions contre les propriétaires fonciers, levant les bannières des droits des paysans et de la réforme agraire.

Pendant la Révolution mexicaine, il a eu un rôle déterminant sur le plan constitutionnel, à la tête de l’Armée de libération du Sud. Avec Pancho Villa, il a fini par être marginalisé et persécuté par les nouveaux dirigeants mexicains, mais sa lutte est restée un exemple pour les mouvements zapatistes qui allaient renaître des décennies plus tard.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Manuel Colinas Balbona et Ines Mahjoubi. Relecture par Ines Mahjoubi.

 

Source : Investig’Action

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