Amérique Latine en Résistance : Les États-Unis maintiennent la “pression maximale”

Éditorial / Le Venezuela à l’ordre du jour

 

Le 25 avril dernier, le président colombien Gustavo Petro a réussi à réunir des délégations de 20 pays lors de la “Conférence internationale sur le processus politique au Venezuela” qui s’est tenue à Bogota. Plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi que l’Union européenne et les États-Unis étaient présents.

Depuis son arrivée à la présidence, Petro a maintenu le Venezuela parmi ses priorités, en rétablissant les relations diplomatiques et commerciales, ainsi qu’en condamnant les sanctions américaines contre son pays voisin.

Cependant, cette conférence à Bogota fut quelque peu “atypique”. Tout d’abord, il s’agissait d’une réunion consacrée au Venezuela sans la présence d’acteurs vénézuéliens, qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition. Un tel événement renforce la thèse selon laquelle la souveraineté vénézuélienne est à la merci de décisions étrangères, même si Petro a bénéficié d’un certain bénéfice du doute.

Mais ce qui a été le plus marquant, c’est que ce sommet n’a pas abouti à des conclusions significatives. En effet, lors de la conférence de presse qui a clôturé l’événement, le ministre colombien des Affaires étrangères, Alvaro Leyva, a essentiellement répété les points établis précédemment : la nécessité d’établir un calendrier électoral, l’appel à la levée (graduelle) des sanctions et l’importance de rétablir le dialogue entre le gouvernement et l’opposition au Mexique.

Il est naturel que la diplomatie se déroule essentiellement en coulisses, mais on ne comprend pas l’appel à une conférence avec tambours et trompettes. Était-ce une initiative de Petro pour renforcer sa propre crédibilité sur la scène internationale ? Certains analystes vénézuéliens ont soupçonné Washington d’avoir “saboté” les avancées possibles.

Pour ce qui est des trois points évoqués et concernant le dernier, le gouvernement vénézuélien a déclaré (à juste titre) qu’il n’était pas logique de continuer à dialoguer si les accords ne sont pas respectés. En novembre de l’année dernière, un accord avait été signé pour libérer 3 milliards de dollars de fonds vénézuéliens gelés à l’étranger. Les ressources devaient être utilisées par le biais des agences de l’ONU dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la réparation des infrastructures.

Néanmoins, l’opposition et ses alliés (qui ont gelé les comptes vénézuéliens) n’ont pas respecté cet accord. Il n’est pas absurde de penser que les États-Unis cherchent à exercer une pression sur le gouvernement vénézuélien de toutes les manières possibles.

Quant au calendrier électoral, le gouvernement de Maduro a été assez “tolérant” sur une question qui devrait relever simplement de la compétence du Conseil National Électoral (CNE) vénézuélien.

L’opposition vénézuélienne, ses sponsors occidentaux et même Petro ont répété la nécessité de fixer des “conditions” et de garantir la présence de missions d’observation sur le terrain. En ce qui concerne le premier point, malgré les dizaines d’accusations de “fraude”, personne n’a jamais présenté la moindre preuve d’infraction  au système électoral vénézuélien. On peut évoquer l'”avantage” dont jouit le gouvernement pour ce qui est de disposer de fonds publics dans sa campagne, mais ce n’est pas un problème concernant exclusivement le Venezuela.

En ce qui concerne l’observation, les autorités vénézuéliennes ont toujours maintenu la porte ouverte aux missions qui n’avaient pas l’ingérence pour objectif. D’ailleurs, l’Union Européenne était présente lors des élections régionales et municipales de novembre 2021 et ses “recommandations”, bien que très médiatisées, étaient assez minimes.

Il est un élément clé que cherche l’opposition: la levée de l’inéligibilité de certains prétendants à la candidature présidentielle. Le gouvernement, pour l’instant, garde cette carte en main. Parmi les inéligibles se trouve l’ex-“président par intérim” autoproclamé Juan Guaido.

Pour terminer, voyons l’aspect le plus important : les sanctions économiques. Une fois dépassés les aspects qui relèvent le plus de la “cosmétique” , la vérité est que l’administration Biden a maintenu les politiques de Trump essentiellement intactes. L’économie vénézuélienne continue  d’être asphyxiée par le blocus américain.

Washington continue d’utiliser les sanctions comme le ferait un ravisseur, en imposant une punition collective à toute la population vénézuélienne pour obtenir des concessions du gouvernement. En outre, les États-Unis savent qu’ils doivent maintenir une “pression maximale” pour rendre la vie impossible à Maduro lors des prochaines élections présidentielles.

Parallèlement, le département du Trésor a donné son feu vert pour une vente aux enchères des actions de Citgo, une entreprise pétrolière vénézuélienne aux États-Unis. Grâce à la complicité de Guaido, l’entreprise évaluée à 8 milliards de dollars sera probablement mise en pièces pour satisfaire les demandes des créanciers.

En résumé, le jeu est toujours bloqué parce que Washington, bien qu’il reconnaisse que les sanctions n’ont pas réussi à provoquer le “changement de régime” désiré, n’a pas encore trouvé de nouvelle stratégie. Pendant ce temps, le peuple vénézuélien continue de souffrir et de résister.

 

Brèves

 

Paraguay / Santiago Peña remporte les élections

 

Santiago Peña. (Reuters)

Le candidat du Parti Colorado du Paraguay, Santiago Peña, a remporté les élections présidentielles avec plus de 15 points d’avance sur son plus proche concurrent, l’opposant Efrain Alegre.

M. Peña, qui succédera au président Mario Abdo Benítez le 15 août, a remercié de son soutien Horacio Cartes, président du parti Colorado et ancien président sanctionné par les États-Unis. M. Peña a déjà occupé des postes au sein du gouvernement, notamment celui de ministre des finances entre 2015 et 2017.

Après sa victoire, il a également assuré qu’il rétablirait les relations avec le Venezuela, lien qui est rompu depuis 2019.

 

Équateur / Le procès contre Lasso se poursuit

 

L’Assemblée nationale équatorienne a approuvé la poursuite du procès en destitution du président Guillermo Lasso pour le délit présumé de détournement de fonds. 88 des 116 députés présents ont voté en faveur de la résolution.

La décision du corps législatif équatorien intervient après le rejet du rapport de la commission de contrôle fiscal et de contrôle politique de l’Assemblée nationale, qui recommandait de suspendre le procès.

L’Assemblée nationale pourrait voter une motion de censure visant à démettre M. Lasso de ses fonctions dès ce mois-ci. Il faudrait toutefois 92 voix pour qu’elle soit votée. De son côté, le président pourrait anticiper en dissolvant l’Assemblée et en gouvernant par décret jusqu’à la tenue de nouvelles élections.

 

Argentine / Le péronisme toujours sans candidat

 

Sergio Massa peut être le candidat peroniste. (Vía País)

Six mois avant les élections présidentielles en Argentine, le péronisme au pouvoir n’a toujours pas de candidat, ce qui permettrait de modifier le scénario négatif que prévoient la plupart des sondages.

La décision du président Alberto Fernandez de ne pas se représenter et le refus de Cristina Fernández de Kirchner de se présenter ont changé le scénario de la pré-candidature.

Pour l’instant, le ministre de l’économie Sergio Massa est en tête de la liste des candidats possibles. Toutefois, M. Massa n’a pas encore indiqué s’il souhaitait être l’élu. Le parti au pouvoir ne dépasse pas les 30 % d’intentions de vote dans les sondages en raison d’une grave crise économique qui articule inflation, pauvreté, dette et dévaluation record.

 

Brésil / Lula reprend la délimitation de terres indigènes

 

Le gouvernement brésilien dirigé par Luiz Inacio “Lula” da Silva a annoncé la délimitation des six premières terres indigènes depuis 2018.

Il s’agit d’une victoire pour les peuples autochtones du Brésil, qui retrouvent peu à peu leurs droits après l’administration de Jair Bolsonaro qui avait fortement favorisé les intérêts miniers et des éleveurs de bétail.

Lula a également relancé le Conseil National de Politique Indigène (CNPI) et créé le Comité de Gestion de la Politique Nationale d’administration Territoriale et environnementale des Terres Indigènes (PNGATI), afin de protéger les ressources naturelles présentes sur les territoires indigènes.

Chili / L’extrême droite domine le Conseil constitutionnel

 

Le Parti républicain a été le gran vainqueur. (AP)

Le Parti républicain est celui qui a recueilli le plus de votes lors des élections pour élire les membres du Conseil constitutionnel chargé de rédiger une nouvelle constitution.

Le parti d’extrême droite a obtenu 35 % des voix et 23 des 51 sièges, tandis qu’Unité pour le Chili, la coalition soutenue par le président Gabriel Boric, a obtenu 29 % des voix et 16 sièges. Avec la coalition de droite Chile Seguro, le parti républicain dispose de plus des 3/5 du Conseil constitutionnel et il a déclaré qu’il souhaitait une nouvelle constitution semblable à l’actuelle, qui date de la dictature de Pinochet.

Le précédent projet de nouvelle Constitution avait été rejeté lors d’un référendum en septembre 2022.

 

Interview

 

Brésil / Breno Altman : «Pour le Brésil, l’intégration régionale est une question stratégique»

 

Au cours de ses premiers mois de gouvernement, Lula da Silva a donné la priorité aux relations extérieures et il a fortement pris position sur un certain nombre de questions. Dans cette interview, nous recueillons le point de vue du journaliste et analyste brésilien, Breno Altman, sur la projection internationale de la plus grande nation d’Amérique Latine.

Dès le premier jour, le gouvernement Lula a adopté des positions fermes en ce qui concerne sa politique étrangère. Tout récemment, le Brésil a annoncé qu’il réintégrait la UNASUR. Allons-nous assister à une renaissance de cette organisation et du projet d’intégration régionale ? Quelles pourraient être les prochaines étapes ?

Je crois que la stratégie du Brésil en matière de politique étrangère, c’est l’intégration régionale. Le Brésil, sous le gouvernement de Lula, n’envisage pas son rôle dans le monde actuel de manière isolée. Le calcul géopolitique du président brésilien c’est d’avancer aussi loin que possible dans l’intégration de l’Amérique Latine et plus particulièrement, celle de l’Amérique du Sud; ceci en redonnant vie à ses institutions, principalement la UNASUR, mais aussi le MERCOSUR, pour créer un bloc capable d’intervenir sur la scène internationale.

Outre la réinsertion du Brésil dans la UNASUR, Lula parie sur le renforcement de la CELAC et sur les mesures institutionnelles qui pourront être prises. Voici quelques idées importantes qui sont envisagées : reprendre le projet d’une Banque du Sud lié à l’UNASUR, mettre en place un système de paiements et d’échanges financiers capable de fonctionner sans passer par le dollar,  avec un autre type d’enregistrement monétaire, etc.,  autant d’avancées économiques fondamentales pour progresser vers l’intégration. Donc, la première étape c’est relancer l’intégration pour ensuite promouvoir la participation de l’Amérique Latine et de l’Amérique du Sud sur la scène mondiale.

Une autre nouvelle significative a  été l’accord commercial avec la Chine avec cette particularité : les échanges se feront dans les monnaies nationales. Peu de temps auparavant, quelque chose de semblable avait été annoncé en ce qui concerne l’Argentine. Quelle est l’importance de ces avancées, d’une part, pour l’économie brésilienne et, d’autre part, sur le plan géopolitique ?

L’accord avec la Chine sur des échanges financiers en monnaies nationales est essentiel. La Chine dispose déjà d’un tel système qui permet d’effectuer des paiements entre pays sans passer par le dollar. Désormais, le Brésil a rejoint ce système en tant que nouvelle opportunité. Cela ne veut pas dire que, dans un premier temps, tous les échanges se feront en monnaie nationale, cela peut aussi se faire par le biais du dollar, mais cette possibilité d’échanges en monnaie nationale a été mise en place et c’est fondamental pour deux raisons essentielles.

Premièrement, cela réduit la possibilité pour les États-Unis de faire pression sur les économies nationales, tout comme celle d’appliquer des sanctions et de créer des difficultés de paiements au niveau des exportations et des importations. Deuxièmement, une fois que les échanges peuvent se faire en devises nationales, le coût de ces opérations est beaucoup plus bas, surtout pour des pays qui ont des problèmes de devises, qui n’ont pas de monnaie forte, ni de dollars, car, lorsque les opérations sont effectuées en dollars, ces pays doivent payer un supplément pour acquérir ces dollars nécessaires aux paiements. C’est, par exemple, ce qui se passe aujourd’hui en Argentine, mais aussi pour d’autres pays qui ont des dollars, comme c’est le cas pour le Brésil, qui a une réserve internationale de près de 400 milliards de dollars, mais conserver ces réserves représente un coût.

Si le dollar commence à être remplacé par des échanges en monnaies nationales, l’obligation de maintenir ces réserves en dollars peut devenir moins impérieuse et le coût de la conservation de ces réserves sera moindre.

Enfin, le Brésil a également adopté une position ferme en appelant à des négociations pour mettre fin au conflit en Ukraine et il va ainsi à l’encontre de la thèse occidentale qui diabolise et culpabilise seulement la Russie. Avez-vous été surpris par cette orientation qui défie l’hégémonie nord-américaine ? Et s’agissant de l’Ukraine, quelle est la voie proposée par Lula ?

Le président Lula a toujours eu une position clairement en faveur de l’autodétermination des peuples. Historiquement, il n’a jamais soutenu aucune politique armée ou belliciste telle que le système impérialiste dirigé par les États-Unis a pu l’imposer à d’autres pays.

Rappelons que Lula, lors de son premier mandat, s’est opposé à la guerre en Irak et maintenant il s’oppose à nouveau à la guerre. Lula ne veut aucune forme de participation ni à la guerre entre l’Ukraine et la Russie ni à la diabolisation de la Russie. Il estime que dans cette guerre il n’y a pas qu’un seul coupable, mais un grand nombre de coupables, que la Russie a commis une erreur avec son intervention militaire parce qu’elle a violé l’intégrité territoriale et l’autodétermination des peuples, mais il considère également que l’Ukraine, avec le soutien des États-Unis et de l’Union Européenne, avait précédemment violé l’autodétermination des minorités russes à l’intérieur de l’Ukraine, avait violé les accords de Minsk et avait mis en danger la sécurité de la Russie avec la possible intégration de l’Ukraine dans l’OTAN.

En d’autres termes, Lula a une vision beaucoup plus large que celle des États-Unis ou de l’Union Européenne en ce qui concerne l’origine de cette guerre et il propose une solution très différente. Alors que les puissances occidentales parient sur la guerre, sur la défaite militaire de la Russie et sur l’expulsion de la Russie des territoires qu’elles considèrent comme ukrainiens, y compris de la Crimée, le président brésilien plaide pour la paix, pour un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel et pour des négociations de paix qui impliqueraient des concessions territoriales de la part de l’Ukraine, mais qui, fondamentalement, vont impliquer que l’on prenne en compte  la sécurité collective de tous les acteurs concernés. À cet égard, Lula propose un “club” pour la paix, c’est-à-dire un groupe de pays qui ne soient pas directement impliqués dans le conflit et qui soient prêts à faire pression pour que ces négociations aient lieu et qui soient prêts à les faciliter.

 

Fresque dédié à Roque Dalton à El Salvador.

 

Veines ouvertes / Assassinat de Roque Dalton

 

Poète, essayiste, écrivain, journaliste, militant communiste et guérillero salvadorien, Roque Dalton (1935-1975) a récupéré les âmes et révolutionné les consciences.

 Figure essentielle de la littérature d’Amérique centrale, il a promu l’intérêt pour l’histoire du Salvador et la recherche de profondes transformations sociales. Figure reconnue de la gauche salvadorienne, Dalton a rejoint l’Armée révolutionnaire du peuple (ERP) pour lutter contre la dictature soutenue par les États-Unis.

Le 10 mai 1975, à l’âge de 39 ans, il est assassiné par ses propres camarades de l’ERP à la suite de désaccords internes et de fausses accusations d’être un agent de la CIA.

 

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Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source : Investig’Action

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