Amérique Latine en Résistance : La paix totale en Colombia

Éditorial / Novembre de paix

 

Gustavo Petro est devenu le premier président colombien de gauche à promettre d’affronter les grands maux qui affligent la société colombienne. Lors de ses premiers mois de mandat, il a insisté sur une priorité absolue : “la paix totale” dans le pays.

Le président colombien a ouvert la porte à des négociations avec tous les groupes armés du pays. Les premières avancées ont été réalisées avec la guérilla la plus active du pays, l’Armée de Libération Nationale (ELN).

Début octobre, une délégation de l’ELN dirigée par son commandant en chef, Antonio García, a rencontré à Caracas le commissaire à la paix colombien, Iván Danilo Rueda, pour convenir du rétablissement du dialogue de paix.

L’accord implique non seulement le retour à la table des négociations, mais également la reprise du calendrier convenu en mars 2016; et il annonce le “rétablissement du dialogue après la première semaine de novembre».

Cependant, les personnes impliquées n’ont pas voulu donner plus de détails quant aux dates et au lieu de la réunion de novembre, bien qu’elles aient prévu que les semaines à venir traiteront de “la co-responsabilité des deux parties” et du “renforcement de la confiance”.

À cet égard, Rueda a assuré que l’ELN “a déjà fourni des éléments de confiance” de façon à renouer les pourparlers, tels que : la libération de plusieurs otages et le cessez-le-feu dans plusieurs zones du territoire sous le contrôle armé du groupe insurgé. Entre-temps, Garcia s’est félicité du “retour à une voie établie sur la base du droit international” et a rappelé que la paix ne peut être considérée comme l’absence de conflit. “Les conflits sont un moyen de résoudre les problèmes qui affligent la société. Le plus important étant de savoir les gérer”.

De son côté, à la mi-août, le président colombien, Gustavo Petro, a annoncé la suspension des mandats d’arrêt et d’extradition dictés à l’encontre les chefs de l’ELN participant à la délégation de négociation; ce qui signifiait le point de départ de nouveaux rapprochements.

Par le passé, l’ancien président Ivan Duque, dont le mandat a débuté en 2018, a conditionné la poursuite des pourparlers avec le groupe armé – entamés en 2016 sous l’administration de Juan Manuel Santos – à une série d’exigences jugées déraisonnables. En janvier 2019, les rapprochements ont été paralysés après l’attentat contre une école de police à Bogotá qui a fait 20 morts et plus de 60 blessés. L’attaque a été attribuée à l’ELN bien que ses dirigeants aient nié toute responsabilité.

Aujourd’hui, ce processus bénéficie du soutien du Venezuela, de Cuba et de la Norvège en tant que nations garantes qui se sont engagées à participer au processus “de manière responsable et impartiale”. En outre, les pourparlers sont également accompagnés par le chef adjoint de la Mission de Vérification des Nations Unies, Raul Rosende.

Les premiers pas ont été significatifs et on assiste à une démonstration de bonne volonté sans équivoque de la part du gouvernement colombien. Cependant, le processus sera long, semé d’embûches, et les deux parties chercheront à ne pas répéter les erreurs du passé.

L’ELN aura vu ce qui était arrivé aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie après les accords de paix de 2016. L’État colombien n’a presque rien respecté de tout ce qui avait été convenu, depuis les mesures de réintégration économique jusqu’aux garanties de sécurité. Ainsi, d’anciens guérilleros ont été les victimes de violences paramilitaires en toute impunité, avec près de 300 assassinats au cours des cinq dernières années. Sur le plan politique, le parti formé (Comunes) a également subi toutes sortes de persécutions et de menaces au point de devenir une force marginale sur l’échiquier colombien.

L’ELN gardera ce précédent à l’esprit dans le processus en cours. En même temps, le gouvernement de Petro tiendra compte du fait que la démobilisation des FARC n’a pas entraîné de diminution de la violence dans les territoires où elle opérait, mais qu’elle a plutôt donné lieu à l’émergence d’autres acteurs armés.

Le combat pour la paix est étroitement lié à une autre des priorités du président colombien : mettre fin à la « guerre contre la drogue ». La Colombie est le principal producteur de cocaïne du sous-continent, les États-Unis en étant la principale destination. La plupart des groupes armés participent, d’une manière ou d’une autre, à l’écosystème du trafic de drogue.

Mais ce changement de politique impliquera de se confronter à la présence nord-américaine dans le pays, avec ses bases, la DEA et le fameux “Plan Colombie” qui n’a fait que semer la violence alors que la production de drogue n’a cessé d’augmenter.

 

Brèves

 

Venezuela / Catastrophe naturelle tragique dans le centre-nord du pays

 

Destruction en Tejerías (Reuters)

Des pluies torrentielles et le débordement de cinq cours d’eau dans l’agglomération vénézuélienne de Las Tejerías (dans l’État d’Aragua) ont eu pour conséquences: plus de 50 morts, 52 personnes disparues, 317 maisons totalement détruites et 757 endommagées.

Dans cette ville, – déclarée zone sinistrée par le Gouvernement National – quelques 3 000 fonctionnaires sont à l’œuvre pour effectuer les travaux de déblaiement et de reconstruction.

Cette tragédie est due aux terribles conditions météorologiques qui ont frappé le nord du Vénézuéla ces dernières semaines, conditions climatiques aggravées par le passage de l’ouragan Julia dans la mer des Caraïbes.

 

Equateur / La crise carcérale continue

 

Depuis le début de ce mois-ci, on comptabilise deux nouvelles émeutes dans les prisons de l’Équateur. Sur le sujet, le sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture a signalé que la violence dans les centres de détention est la conséquence du fait que l’Etat les maintienne dans une situation d’abandon.

Selon les chiffres officiels, depuis le début de l’année 2022, le nombre de détenus ayant perdu la vie dans divers massacres survenus dans les prisons du pays s’élève à 106.

A ceux-ci s’ajoutent les 46 décès de 2020, au plus fort de la pandémie du coronavirus, et les 316 morts de 2021 (en augmentation de 587 % par rapport à l’année précédente).

 

Pérou / Un maire d’extrême droite nouvellement élu déclare la guerre au président

 

Rafael López Aliaga (Wikimedia)

Rafael López Aliaga, un entrepreneur de 61 ans, qui a remporté les élections municipales et régionales de Lima, a déclaré qu’il serait le principal opposant du Président Pedro Castillo.

En toute logique, il a prévenu qu’il ne rencontrerait pas le président, en dépit du fait qu’il a besoin de la collaboration du Gouvernement national pour réaliser toute une série de ses promesses de campagne controversées, en commençant par celle de faire de Lima une puissance mondiale et en passant par celle d’obtenir un prêt d’un milliard de dollars ou celle de construire un train.

López, actuellement mis en examen pour blanchiment d’argent et évasion fiscale, s’est déclaré ennemi de tous les féminismes, de la presse et des immigrés. Il est membre de l’Opus Dei et il prétend être adepte du célibat autant que de l’autoflagellation.

 

Argentine / FMI procède à un nouveau décaissement

 

Le Fonds Monétaire International (FMI) a approuvé un nouveau décaissement de la part de l’Argentine de 3,8 milliards de dollars après entente sur la seconde révision de l’Accord sur les Facilités Elargies. Le total décaissé dans le cadre de l’accord signé par l’ancien président Mauricio Macri s’élève à 17,5 milliards de dollars.

A ce sujet, le FMI a loué les récentes actions du gouvernement argentin qui ont permis de « stabiliser les marchés, de restaurer la confiance”.

Le FMI appelle également à mener des « politiques macroéconomiques prudentes” et à poursuivre “la ferme mise en œuvre du programme pour faire face à la situation encore fragile, pour renforcer la stabilité et atteindre les objectifs du programme soutenu par le Fonds”.

 

Haïti / Des manifestations contre l’intervention étrangère

 

Manifestations contre l’intervention étrangère (EFE)

Le peuple haïtien continue de manifester massivement dans les rues des principales villes du pays.

En plus d’exiger des solutions pour combattre l’inflation, les pénuries, l’insécurité et vaincre une nouvelle poussée d’épidémie de choléra, les Haïtiens réclament également la démission du gouvernement d’Ariel Henry qui a outrepassé son mandat et refuse de convoquer des élections.

Désormais, les manifestants rejettent également une éventuelle intervention militaire étrangère, intervention demandée par Ariel Henry et que dirigeraient les États-Unis, sous le prétexte de combattre les gangs criminels actifs dans le pays.

“L’occupation, c’est fini ; vive notre indépendance”, ont clamé des milliers et des milliers de manifestants, lundi 17 octobre.

 

Interview

 

Brésil / Lucas Estanislau: “Lula est le grand favori pour le second tour”

 

Le 30 octobre, le peuple brésilien élira son prochain président lors du second tour des élections présidentielles. Luis Inacio “Lula” da Silva, du Parti des travailleurs (PT), affronte l’actuel président, Jair Bolsonaro, droite radicale. Dans cette interview, Lucas Estanislau, correspondant de Fato au Venezuela, explique les enjeux de cette élection.

Lula a remporté le premier tour mais n’a pas atteint les 50%. Est-il le favori pour le second tour du 30 octobre ?

Certes, Lula est le grand favori du second tour, mais pas autant que la gauche brésilienne et latino-américaine l’attendait. En fait, Bolsonaro a bénéficié d’un vote solide au premier tour et, selon les derniers sondages, il a toujours une intention de vote solide pour le second tour.

Nous pouvons observer que lors de la campagne pour le premier tour, il y avait deux sentiments différents au sein des militants du PT et de la gauche brésilienne : une partie des militants croyait qu’une victoire au premier tour était possible et lorsque cela ne s’est pas concrétisé, il y a eu un découragement, un retard dans la campagne; mais une autre partie ne croyait pas à cette victoire. Maintenant, pour le second tour, la campagne a été beaucoup plus pragmatique, elle s’est concentrée sur les erreurs de Bolsonaro, les mensonges que Bolsonaro raconte, qui sont nombreux. On a aussi beaucoup parlé des salaires, de l’économie, de l’inflation, qui sont des sujets plus durs, plus concrets, qui servent davantage à souligner les grands échecs du gouvernement actuel.

Bolsonaro a fini par obtenir un nombre de voix supérieur aux prévisions des sondages, ainsi que de bons résultats au Congrès. Comment expliquer ce phénomène ? Est-il possible que l’extrême droite brésilienne ait été sous-estimée ?

Cette assurance que Lula allait gagner au premier tour ne concernait qu’une partie des militants, il y avait une autre partie qui pensait, en fait, que les sondages n’étaient pas si fiables ou précis.

Cependant, il y a eu deux mouvements pour que Bolsonaro obtienne ce résultat : 1-Beaucoup de ses électeurs ne répondent pas aux sondages comme les y encourageait Bolsonaro qui ne croit pas aux sondages et ils développent toute une rhétorique sur ce sujet ; 2-L’extrême droite au Brésil a pris les votes utiles, beaucoup de votes qui allaient aller à Simone Tebet, qui est arrivée en 3ème position, et à Ciro Gomes, arrivé en 4ème position, ces votes ont fini par être des votes pour Bolsonaro.

Je ne pense pas que l’extrême droite ait été sous-estimée, mais plutôt qu’il y a eu de réelles manœuvres politiques de la part de Bolsonaro, qui représente le gouvernement, orchestre tous les rouages: l’État, l’argent, pour mener la c pour mener la campagne; ce qui explique les résultats et non une prétendue sous-estimation de l’extrême droite.

La campagne électorale de Lula a été marquée par des alliances. D’un côté, des alliés “naturels” comme le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), qui a élu des représentants dans plusieurs États pour la première fois, de l’autre des secteurs de la bourgeoisie et des personnalités comme Alckmin. Comment doit-on gérer ces tensions et de quel côté doit pencher la balance dans la campagne pour le second tour ?

Dans l’histoire du PT et de Lula depuis 2002, il y a toujours eu des alliances stratégiques avec des secteurs stratégiques de la société brésilienne. En 2002, le vice-président de Lula était José Alencar, un grand homme d’affaires, un représentant de la bourgeoisie industrielle brésilienne, et cela a plus ou moins donné le ton et déterminé la relation du gouvernement de Lula avec ce secteur industriel.

Après l’opération Lava Jato, le secteur industriel est resté très fragilisé. Le secteur qui est le plus fort, avec Bolsonaro, est l’agrobusiness et le secteur financier. Ces relations constitueront un défi pour Lula, il faudra voir comment il traitera avec l’agrobusiness, allié du MST, ainsi qu’avec le capital financier du Brésil. Mais dans l’histoire du PT, ce n’est pas une surprise, ce n’est pas une nouveauté, le parti est connu pour faire des alliances stratégiques même avec des représentants de la bourgeoisie. Je ne pense pas que cela aura un impact très important sur le vote, car il s’agit d’une pratique largement connue et le PT a gouverné selon cette pratique pendant 13 ou 14 ans, ses militants le savent bien et il me semble qu’il n’a pas d’objections ou de reproches majeurs à ce stade de la campagne. Nous devrons voir ce que l’extrême gauche du PT fera à ce sujet si Lula devient le prochain président.

 

Maurice Bishop avec Fidel Castro et Daniel Ortega.

 

Veines ouvertes / Meurtre de Maurice Bishop

 

En 1979, le mouvement socialiste New Jewel dirigé par Maurice Bishop prend le pouvoir lors d’une révolution à la Grenade.

Le gouvernement qui a été mis en place a réalisé de grandes avancées sociales, dans des domaines tels que l’éducation, la santé et l’égalité des sexes; il s’est allié à des pays socialistes tels que Cuba. Bishop était un champion de la libération des Noirs et de la souveraineté des Caraïbes. Pour toutes ces raisons, la Grenade est devenue une “menace” pour l’hégémonie américaine dans la région.

En octobre 1983, des conflits internes ont conduit à un coup d’État et au renversement du gouvernement révolutionnaire. Bishop a été assassiné. Quelques jours plus tard, les États-Unis ont envahi l’île.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source: Investig’Action

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