Amérique Latine en Résistance: Crise au Brésil

Éditorial / Pandémie, solidarité et Bolsonaro

 

Le Brésil a été l’un des pays les plus touchés par la pandémie de la Covid-19 dans le monde et il est plongé dans une crise ces derniers jours, avec un nombre record de cas et de décès.

En réponse, l’entité brésilienne régulatrice sanitaire (Anvisa) a approuvé l’utilisation d’urgence du vaccin CoronaVac (produit par la firme chinoise Sinovac en association avec l’Institut brésilien Butantan ) et le britannique AstraZeneca / Oxford, les premiers à avoir été autorisés dans le Pays.

Le jour où il a commencé sa campagne nationale de vaccination, le 17 janvier, le Brésil a dépassé 210 000 décès du coronavirus, un chiffre qui montre comment le géant latino-américain, avec ses 210 millions d’habitants, est l’un des épicentres mondiaux de la pandémie, le deuxième pays avec le plus de décès dans le monde (après les États-Unis) et le troisième avec le plus grand nombre de personnes infectées.

En outre, la vaccination se produit au milieu d’une reprise de l’épidémie dans tout le pays, avec des bilans quotidiens de plus de 1000 décès et une situation dramatique à Manaus, la plus grande ville de l’Amazonie brésilienne, où l’infrastructure sanitaire a été complètement saturée en raison de la nouvelle souche de coronavirus.

Le gouverneur de l’État d’Amazonas, Wilson Lima, a admis que les hôpitaux sont saturés, les cimetières débordent et la ville fait face à un grave manque de bouteilles d’oxygène pour les patients hospitalisés à cause de la Covid-19 qui sont connectés à des respirateurs mécaniques.

Selon Lima, Manaus enregistre le double du nombre d’hospitalisations enregistrées quotidiennement en avril et mai de l’année dernière. Quant à la demande d’oxygène dans les hôpitaux, qui atteignait 30 000 mètres cubes par jour au moment le plus grave de la première vague de la pandémie, elle a dépassé les 76 000 mètres cubes. Les médecins ont reconnu, qu’en raison du manque de bouteilles, ils ont été contraints de privilégier les patients qui ont les meilleures chances de vivre.

Ceux qui en ont les moyens doivent payer entre 3.000 et 5.000 réales (entre 500 et 1.000 dollars) pour un réservoir d’oxygène et la recharge (qui dure en moyenne 12 heures) coûte environ 100 dollars de plus. Les prix de nombreux produits liés à l’oxygène hospitalier ont doublé ces derniers temps, alors que le drame se transforme en opportunité commerciale.

Face à cette situation, les autres entités du Brésil ont dû envoyer une assistance médicale. Une manifestation de solidarité est venue du Venezuela. Le gouvernement Maduro a réagi à l’urgence de Manaus en envoyant six réservoirs contenant un total de 136 000 litres d’oxygène, soit 14 000 bouteilles individuelles.

D’autre part, 107 médecins brésiliens et vénézuéliens, diplômés de l’École latino-américaine de médecine de Caracas, ont formé la brigade «Simon Bolivar» et se sont présentés au consulat vénézuélien à la frontière avec le Brésil, pour offrir leurs services à Manaus.

Le geste vénézuélien a reçu de nombreux éloges dont, bien sûr, de la part de la population et des autorités locales de Manaus.

La réaction n’a pas été partagée par le président brésilien Jair Bolsonaro, qui a préféré lancer une diatribe contre Maduro en disant, de façon absurde, que les Vénézuéliens ont dû manger tous les chiens et les chats.

Le leader de droite se trouve dans une position politique de plus en plus précaire. Avec une gestion désastreuse de la pandémie, Bolsonaro voit son approbation de plus en plus faible dans les sondages; les manifestations, entre marches de protestation et “cacerolazos”*, se multiplient. Dans les cercles politiques, le scénario de destitution commence à être à nouveau évoqué.

Alors que la gauche brésilienne cherche à se regrouper dans ce contexte complexe, Bolsonaro cherche à survivre jusqu’aux élections générales de fin 2022. Cependant, l’instabilité interne se double de la perte d’un allié «naturel» en la personne de Donald Trump.

Le président brésilien ne se laissera pas aller à l’immaturité d’affronter la nouvelle Maison Blanche, de la même manière que Biden sait que, bien que politiquement incorrect, Bolsonaro est un allié beaucoup plus confortable pour les entreprises nationales que toute alternative du Parti des travailleurs (PT).

Les prochaines semaines seront décisives avec d’un côté un gouvernement qui essaie de restreindre son ineptie criminelle dans la gestion de la pandémie et de l’autre une opposition qui essaie de hausser le ton, cherchant un changement de cap qui permettrait de sauver des milliers de vies brésiliennes.

* NdT: bruit des casseroles frappées les unes contre les autres.

 

Brèves

 

Venezuela / Lutte pour récupérer les avoirs

 

Venezuela veut récupérer les avoirs à l’étranger (AlbaCiudad)

L’Assemblée Nationale du Venezuela a mis en place une Commission Spéciale chargée d’enquêter sur les « Actions perpétrées contre la République » et de rechercher les « meilleurs conseillers internationaux » pour lancer un processus de récupération des ressources et des actifs du pays détenus à l’étranger.

Selon José Brito, président de cette commission, celle-ci concentrera son attention sur les 30 milliards de dollars en dépôt sur des comptes bancaires à l’étranger et sur la société Citgo, filiale de PDVSA aux États-Unis.

En outre, nous allons “présenter au pays un bilan des terribles préjudices que la gestion de la législature précédente a causés au pays”, par exemple, l’équipe antérieure s’est octroyé 18 millions de dollars “pour rétribuer des cabinets d’avocats” et s’approprier les actifs de l’Etat vénézuélien.

 

Amérique latine / L’ALBA dénonce la marchandisation des vaccins

 

Sacha Llorenti, secrétaire de l’ALBA-TCP, a déploré que 95% des vaccins contre le coronavirus soient concentrés dans les dix pays les plus riches du monde.

Sacha Llorenti a également dénoncé la manière dont certains vaccins sont commercialisés; celle-ci “augmente leur prix pour tout le monde et fait que les personnes à haut risque dans les pays les plus pauvres et les plus marginalisés” ne pourront pas être immunisées.

Le fonctionnaire a fait remarquer que même si le monde dispose désormais de vaccins contre la Covid-19, “les pays riches s’accaparent une telle quantité de doses qu’ils pourront vacciner près de trois fois toute leur population”.

 

Amérique centrale / Caravane de migrants vers les États-Unis réprimée

 

La caravane de migrants a été réprimée Guatemala. (EFE)

Les forces de sécurité du Guatemala ont brutalement réprimé une caravane de migrants qui se dirigeaient vers les États-Unis.

Depuis le 13 janvier, des milliers de Honduriens ont quitté la ville de San Pedro Sula, au nord de ce pays d’Amérique centrale, formant une nouvelle caravane qui se dirigent vers les États-Unis, la première de cette année 2021.

Au départ, on estimait à 4 500 le nombre des Honduriens ayant entrepris ce voyage. Mais, d’autres groupes les ont rejoints en chemin, allant jusqu’à atteindre les 9 000 personnes.

Après la dispersion de cette caravane par les forces de l’ordre, les gouvernements des États-Unis, du Mexique et du Guatemala ont convenu d’interdire le passage par leurs territoires de caravanes de migrants.

 

Équateur / Arauz annulerait le programme du FMI

 

Andrés Arauz, candidat à l’élection présidentielle en Equateur, a annoncé que, s’il était élu, il ne respecterait pas les accords passés entre l’actuel gouvernement du pays et le Fonds Monétaire International (FMI).

“L’accord conclu avec le FMI pénalise les familles équatoriennes et empêche tout programme de croissance économique”, a-t-il déclaré lors d’une interview.

L’actuel gouvernement de Lenín Moreno a négocié une ligne de crédit d’un montant de 6,5 milliards de dollars en échange de son engagement à prendre une série de mesures d’austérité, y compris des hausses d’impôts et des licenciements de salariés de la fonction publique.

Arauz ,qui a le soutien de Rafael Correa, est en tête dans les sondages sur les intentions de vote, mais un possible second tour qui l’opposerait à l’homme d’affaires Guillermo Lasso ou au leader indigène Yaku Pérez n’est pas exclu.

 

El Salvador / Accès interdit aux enregistrements des faits survenus à El Mozote

 

El Mozote après le massacre (Loyola University Collection)

L’archevêque José Escobar Alas, à la tête de l’archevêché de San Salvador, a refusé qu’un juge ait accès aux archives de l’Eglise concernant le massacre de El Mozote.

Escobar a affirmé que l’église s’efforçait de « protéger les victimes » du massacre perpétré par l’armée du Salvador en 1981. En 2013, Escobar lui-même avait clos le travail d’une organisation sous tutelle de l’archevêché qui enquêtait sur les violations des droits de l’homme pendant le conflit.

L’armée salvadorienne elle aussi fait obstruction à l’enquête sur le massacre perpétré en décembre 1981 qui coûta la vie à plus de 800 civils.

 

 

Interview 

 

Equateur / Tassi: “Le futur est en jeu en Equateur”

 

Les élections présidentielles approchent en Equateur. Le 7 février, on élit une nouvelle Assemblée Nationale, ainsi qu’un président et un vice-président. Giovanna Tassi, journaliste et analyste politique équatorienne, a expliqué à Investig’Action ce qui est en jeu dans ce combat, en mettant spécialement l’accent sur la candidature d’Andres Arauz.

 

Les élections présidentielles et législatives approchent en Equateur. Quels en sont les enjeux?

Ce qui est en jeu en Equateur est très simple: le futur; ou nous revenons à un passé terrifiant et très sombre comme dans les années 90 lorsqu’il y a eu une fuite des Equatoriens vers l’extérieur en raison de la crise bancaire et de la dollarisation. Ce qui est en jeu, c’est un système démocratique qui représenterait réellement les secteurs les plus défavorisés du pays et qui ne continuerait pas à faire le jeu des classes aisées, des banques et des familles qui ont toujours gouverné l’Equateur comme s’il s’agissait de leur propriété.

L’institutionnalité se trouve également en jeu, récupérer un pays que l’on a perdu avec Lenin Moreno. Tout le système institutionnel a été démonté, ce système qui avait été construit dans les 10 années du gouvernement de Rafael Correa. Lenin Moreno et son équipe ont reconstruit le pays qui existait avant cette décennie, avec les autorités désignées et une partie des cercles de pouvoir qui administrent ce pays. Il est très important de récupérer l’institutionnalité et le fonctionnement du secteur public.

Andres Arauz, candidat soutenu par Rafael Correa, a l’avantage dans les sondages les plus récents. Après le virage à droite de Lenin Moreno, quelles sont quelques-unes des priorités pour Arauz et son parti?

Les priorités du binômes de l’espoir sont: le travail, le futur, la dignité. L’Equateur connaît une situation de chômage terrible, on pourrait dire que 50% de la population se trouve au chômage. C’est un chiffre épouvantable, et c’est également le résultat du désengagement de l’Etat dans la doctrine néolibérale.

En revanche, avec Andres Arauz et Carlos Rabascall, d’autres propositions sont faites pour améliorer l’économie: attribuer mille dollars à un million de familles dans la première semaine de gouvernement, répartir trois milliards de dollars dans l’investissement public, un milliard en co-financement pour la rémunération du secteur privé, 3 milliards en crédit de l’Etat aux coopératives d’épargne et 475 millions dans les services publics et pour la réincorporation de ressources humaines. Avec ces mesures, on prévoit récupérer un million d’emplois environ et remettre en marche le moteur de l’économie.

Arauz a également dit que son gouvernement serait féministe, que l’attention, la protection et le respect des droits des femmes seraient très importants, ainsi que le respect des différences ethniques des peuples et nationalités qui vivent en Equateur. Il y a de nombreuses attentes, les sondages le donnent vainqueur mais nous savons également qu’il y a toute une stratégie pour essayer d’empêcher que ce candidat l’emporte au premier tour.

L’Equateur a été l’un des pays les plus touchés par la Covid-19 dans la région. Quelle est l’influence de cette pandémie sur ce combat électoral?

La pandémie a énormément affecté l’Equateur, nous sommes l’un des pays qui a les taux de mortalité les plus élevés, avec des situations terribles comme celle de la ville de Guayaquil. C’est pour cette raison que, du côté officiel, le Conseil National Électoral dit que des mesures visant à garantir un environnement sain ont été prises pour qu’il n’y ait pas de risque de contamination au moment du vote. De son côté, la population, est très angoissée par ce vote.

Les gens sont réellement très déçus, ils ont envie que les choses changent, et par conséquent, ils sont très décidés à voter. La pandémie n’a pas seulement affecté le processus électoral, elle a affecté et paralysé la vie en général. Elle a également révélé toutes les injustices structurelles qu’il y avait dans ce pays et qui se sont à nouveau creusées avec le gouvernement de Lenin Moreno. Le gouvernement de Correa avait fermé quelques brèches qui se sont à nouveau ouvertes et sont devenues des abymes.

 

Manifestation du MST
Manifestation du MST

 

Veines ouvertes / Création du MST

 

Les inégalités à la campagne, particulièrement en ce qui concerne l’accès à la terre, se sont aggravées pendant la dictature militaire au Brésil (1964-1985).

Dans ce contexte, plusieurs initiatives sont apparues; elles finiront par converger dans le Mouvement des Travailleurs Sans Terre (MST). Après une conférence en janvier 1984, le mouvement a tenu son congrès fondateur entre le 29 et le 31 janvier 1985.

Le MST est l’une des plus grandes organisations de base dans le pays; il est présent dans 23 des 27 états. Il a comme armes principales l’occupation de terres et l’amélioration des conditions de vie de la population.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Manuel Colinas Balbona, Ines Mahjoubi et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source : Investig’Action

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