Amérique Latine en Résistance: Coup d’Etat manqué au Venezuela

Editorial / Opération Gédéon : la vérité et les conséquences

 

Le plan était simple : débarquer au Venezuela avec une force de 60 hommes, provoquer une cassure au sein des forces armées nationales, prendre l’aéroport et une série de points stratégiques, capturer le président Maduro, l’extrader aux États-Unis et, pour finir, être salués comme des héros qui ont redonné au Venezuela la “liberté” et la “démocratie”.

Cette idée, plus qu’absurde, fut conçue par Jordan Goudreau, un ancien des forces spéciales de l’armée américaine et ancien « béret vert ». Goudreau a été engagé par l’opposition vénézuélienne pour renverser le gouvernement de Nicolás Maduro avec l’aide de l’ex-général Cliver Alcalá et d’un escadron de soldats vénézuéliens déserteurs, le tout en échange de 213 millions de dollars.

Malheureusement pour Goudreau, pour Alcalá et pour l’opposition vénézuélienne, “l’opération Gédéon” a été un désastre total. Les 3 et 4 mai, les forces armées vénézuéliennes ont rapidement neutralisé deux bateaux qui avaient pris la mer à partir de la Colombie avec, à bord, le groupe d’hommes armés. Les autorités vénézuéliennes ont procédé à un total de plus de 40 arrestations. Ce nombre comprend les participants de l’opération et les complices déjà sur les lieux.

Il est particulièrement intéressant de remarquer que parmi ces prisonniers se trouvent deux anciens militaires américains, Luke Denman et Airan Berry, ex-collègues embauchés auprès de Goudreau par la société Silvercorp pour faire partie de l’expédition.

L’opération ayant été un échec complet, la bataille est devenue politique et médiatique.

Pour le gouvernement vénézuélien, la réponse à cette tentative de coup d’État est une victoire à plusieurs niveaux. Il a montré qu’il était bien préparé et cela grâce au travail en amont de ses services de renseignement ; il a démontré sa capacité à réagir rapidement et il a pu vérifier l’efficacité de l’organisation civilo-militaire mise en avant, puisque le peuple a participé tant aux premières arrestations qu’aux suivantes.

Mis sous pression par une crise économique, par le coronavirus et par le «virus» des sanctions impérialistes, le gouvernement de Nicolás Maduro en sort renforcé et avec un moral au plus haut.

Pour l’administration Trump, l’épisode a fait naître une certaine gêne au niveau de la communication publique à cause de la participation de Goudreau et des deux autres ex-militaires étatsuniens. Mais avec des médias omniprésents et très peu intéressés à poser des questions embarrassantes, cela n’a pas dépassé le simple inconfort.

Trump, ainsi que le Secrétaire d’État, Mike Pompeo, ont tous deux nié avoir eu connaissance de l’opération et que les États-Unis aient été “directement” impliqués, et ils ont bien insisté sur le fait que si tel avait été le cas, les résultats auraient été bien différents. Cette spéculation pleine de fanfaronnade impérialiste, ne mérite pas la peine qu’on s’y attarde. Même en considérant le fait réel que l’expédition a eu très peu de ressources matérielles et humaines et que cela suggère qu’aucune agence nord-américaine n’était véritablement derrière.

Il est cependant beaucoup moins crédible que la CIA ou le Département d’État n’aient pas été au courant de l’opération en question. L’interprétation la plus plausible étant que, face à une initiative ayant une très faible probabilité de réussite, ils ont choisi d’observer une certaine distance. Si Goudreau atteignait ses objectifs, ils pourraient alors se joindre à lui et revendiquer leur part de mérite.

Ceux pour qui la déroute est totale, bien au-delà l’échec de l’action militaire, c’est bien les membres de l’opposition vénézuélienne et leur “président en charge” autoproclamé, Juan Guaidó en personne.

Le politicien a commencé par condamner l’opération qualifiée par lui de « show » organisé par le gouvernement lui-même. Mais cette version est devenue ridicule au bout de quelques heures seulement, une fois que Goudreau ait admis son rôle dans le raid paramilitaire et qu’il ait déclaré avoir été engagé par l’opposition vénézuélienne.
Guaidó a alors changé son discours, reconnaissant que la tentative de coup d’État était réelle, mais affirmant qu’il n’avait aucun lien avec Goudreau ou avec Silvercorp. Cette version n’a pas non plus survécu longtemps puisque l’ancien béret vert a rendu publique une copie du contrat qui aurait été signé avec Juan Guaidó et ses conseillers fin 2019.

Le contrat contient une série de détails sordides, depuis la possibilité pour Silvercorp de percevoir son paiement sous forme de barils de pétrole, jusqu’aux aux autorisations d’utiliser la force et les tirs à balles réelles contre quiconque montrerait son “intention” de s’opposer au coup d’État. Il est dit, dans le contrat, que la «concrétisation du projet» c’est le renversement du gouvernement de Maduro et l’installation d’un gouvernement Guaidó. Silvercorp resterait, en outre, au service de la nouvelle administration pour des tâches “anti-drogue” et “antiterrorisme”.

Dans la troisième version, ce sont les conseillers de Guaidó qui ont assumé le «contrôle des dommages». J.J. Rendón, conseiller de Guaidó bien connu et stratège anti-Chavez, a admis que le contrat était bien réel, mais que l’opposition s’en est retirée quand elle eut compris que Goudreau ne tiendrait pas ses engagements de réunir 800 volontaires et des sources de financement supplémentaires.

Guaidó a essayé de s’en laver les mains en déclarant que Rendón et un autre proche conseiller, Sergio Vergara, avaient poursuivi le projet pour leur propre compte. Encore une fois, même la crédulité des médias ne lui permet pas de s’en sortir. Car, d’une part Rendón a avoué avoir été nommé par Guaidó précisément pour explorer ce type d’opérations pour un changement de régime et d’autre part, la signature de Guaidó est bien lisible au bas du contrat qui a fuité.

Au total, il s’ensuit que le leadership de Guaidó est plus que jamais remis en question et on sait que des leaders de l’opposition s’efforcent de convaincre Washington de remplacer Guaidó aux commandes des plans anti-gouvernementaux.

Avec les élections présidentielles américaines à l’horizon, il faudra voir quelles formes prendront les nouvelles agressions contre la nation sud-américaine.

 

Brèves

 

Amérique latine / Le FMI accorde des crédits

 

Le FMI a accordé des prêts en Amérique latine (FMI)

Le Fonds Monétaire International (FMI) a accordé des prêts pour 3483 millions de dollars à 11 des 17 pays d’Amérique Latine et des Caraïbes qui les ont demandés afin de faire face à la crise sanitaire provoquée par le coronavirus.

Le montant le plus faible correspond à la Dominique avec 14 millions de dollars alors que le montant le plus élevé de 650 millions de dollars concerne la République dominicaine. Les autres pays bénéficiaires sont la Bolivie, le Costa Rica, l’Equateur, le Salvador, la Grenade, Haïti, le Panama, le Paraguay et Sainte-Lucie.

L’organisme a demandé à toutes ces nations de préparer “un ajustement graduel” une fois que la pandémie reculerait pour assurer une “orientation soutenable” de leur économie et le paiement de la dette contractée.

 

Equateur / Corruption au milieu de la pandémie

 

Au milieu de la pandémie, l’Equateur sombre dans une infinité de cas de corruption. Le premier scandale qui s’est déchaîné a été celui de l’achat surfacturé de matériel et produits médicaux pour combattre le coronavirus par l’Institut Équatorien de Sécurité Sociale (IESS).

Quelques jours plus tard, le parquet a ouvert une autre enquête contre plusieurs hôpitaux pour extorsion à des parents de victimes décédées au moment de leur restituer les corps des défunts. De la même façon, il y a eu des tractations illégales avec les housses mortuaires.

En même temps, le parquet étudie un autre cas de corruption pour l’achat, une fois encore à un tarif hautement surévalué, par le Service National de Gestion des Risques et des Urgences (SNGRE) de paniers alimentaires destinés à la population affectée par la situation d’urgence.

 

Colombie / Assassinat d’un responsable social dans “el bajo Cauca”

 

Nombreux leaders sociaux colombiens ont été assassinés (TeleSUR)

Le leader social colombien Teylor Cruz Gil qui se consacrait à la défense de sa communauté de Bajo Cauca d’Antoquia, a été assassiné par deux hommes armés qui se sont introduits à son domicile.

Selon les premiers rapports, Cruz Gil aurait été assassiné par la bande criminelle des Caparros, l’un des groupes qui cherche à contrôler le territoire, les affaires de trafic de drogues et l’activité minière illégale dans le secteur.

Selon le rapport le plus récent de l’institut d’études pour le développement de la paix en Colombie, au moins 95 leaders sociaux ou défenseurs des droits de l’homme ont été assassinés en 2020.

 

Cuba / A nouveau sur la “liste noire” des Etats-Unis

 

Le gouvernement cubain a rejeté le fait que le gouvernement de Donald Trump fasse à nouveau figurer l’île sur la liste des pays qui ne coopèrent pas aux efforts de lutte contre le terrorisme.

Les Etats-Unis ont dénoncé la présence du groupe d’insurgés colombien de l’Armée de Libération Nationale (ELN) à Cuba, élément qui est supposé avoir provoqué la présence du pays sur cette liste. Cuba n’y figurait pas depuis 2015, date à laquelle ont repris les relations entre La Havane et Washington, sous l’administration Obama.

Sur cette liste de pays auxquels sont interdits la vente d’armes et de services de défense, figurent également le Venezuela, l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord.

 

Argentine / Tensions autour de la dette

 

La négociation de la dette est une priorité pour Alberto Fernández. (Reuters)

Le gouvernement argentin a repoussé la date d’expiration du délai pour les négociations de sa dette de 65 000 millions de dollars au 22 mai.

La renégociation de la dette externe a été assumée comme la principale priorité d’Alberto Fernandez depuis qu’il a pris la tête de l’état en décembre 2019.

L’exécutif argentin soutient que la dette contractée par le gouvernement de Macri est insoutenable et il cherche à parvenir à un accord avec ses créanciers. Buenos Aires a proposé un moratoire de trois ans au service de la dette en plus d’une réduction des montants et d’un report de la date des échéances au-delà de 2023. Jusqu’à présent, les créanciers ont rejeté cette proposition.

 

 

Interview 

 

Brésil / Taís Matos: “Bolsonaro ne se soucie que de l’économie, car il gouverne pour les hommes d’affaires”

 

Le Brésil est le pays d’Amérique latine le plus touché par le coronavirus. Jusqu’au 15 mai, il comptait plus de 200 000 cas et près de 14 000 décès. Le gouvernement de droite de Jair Bolsonaro a fait face à de vives critiques et à des différends internes concernant sa réponse et sa position face à la pandémie. Dans cette interview, nous avons parlé avec Taís Matos, une jeune médecin et activiste du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). Diplômée de l’École latino-américaine de médecine à Cuba, Taís critique les actions du gouvernement et parle des initiatives du MST.

 

Comment la direction du président Jair Bolsonaro a-t-elle réagi face à la pandémie de coronavirus? 

Premièrement, le gouvernement de Bolsonaro au Brésil a été qualifié de “mauvais gouvernement”. Cela signifie que les gens ont l’impression que c’est un gouvernement qui ne gouverne pas pour le peuple. Bolsonaro est plus préoccupé par la situation économique du pays que par les décès dus au coronavirus.

Il y a quelques jours, il a annoncé un barbecue chez lui, une fête pour 30 personnes et ce, en période de pandémie. C’est pour cela qu’l a été largement critiqué par les médias et même par des membres de son gouvernement, qui le soutenaient auparavant, mais qui perçoivent maintenant qu’il n’a pas la moindre inquiétude concernant le coronavirus. Les personnes les plus touchées sont celles qui vivent dans la périphérie, où l’eau, les articles d’hygiène font défaut. La situation est très difficile, avec un gouvernement fasciste qui ne se soucie de personne sinon de son propre clan et de l’économie, car il gouverne pour les hommes d’affaires.

À plusieurs reprises, le ministère brésilien de la Santé a corrigé les rapports sur le covid-19 qu’il a lui-même réalisés allant même jusqu’à déclarer que le chiffre “doit être plus élevé” car il n’y a pas suffisamment de tests appliqués. Pensez-vous que la situation est encore plus grave que ce qui est donné à connaître?

La situation est certainement beaucoup plus grave que ce qui est décrit. Dans l’État de Ceará, au nord-est du Brésil, où j’habite, nous sommes face à la situation la plus difficile du pays, avec le plus grand nombre de décès, et ici la situation est beaucoup plus grave que ce qui a été révélé. Les hôpitaux n’ont pas de lits, les unités de soins intensifs non plus, les gens meurent à la maison. Il n’y a pas non plus d’examens ni de tests rapides.

Donc, nous savons que quelqu’un est décédé avec les symptômes exacts du coronavirus, mais cette personne n’entre pas dans les statistiques parce que le test n’a pas été fait. C’est grave, surtout dans les quartiers où les gens n’ont pas accès à la santé. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, au Ceará, nous avons eu plus d’un millier de morts, j’ai perdu plusieurs amis et collègues de travail, des infirmières, ceux qui sont en contact direct avec le patient pour réaliser les procédures médicales nécessaires. Je connais des gens qui ont perdu leurs parents et leur famille, nous avons tous connu ou perdu quelqu’un qui est décédé des suites du coronavirus.

Que fait le MST au milieu de la situation sanitaire actuelle en termes de santé et en termes politiques?

Avec la pandémie, les personnes qui survivent du travail informel, qui n’ont pas d’emploi stable, souffrent énormément. Je parle, par exemple, de gens qui vendent de la nourriture dans la rue ou des travailleurs domestiques. Les ouvriers agricoles souffrent également, mais la situation est pire dans la grande ville, et il est difficile d’apporter son aide. À l’intérieur du pays, les gens sont plus calmes, il y a plus de distanciation sociale, moins de contacts avec ceux qui voyagent ou circulent constamment.

Le MST fait des dons d’articles que nous produisons nous-mêmes. Par exemple, des dons de lait et de nourriture ont été faits aux communautés rurales voisines. Nous continuons à contribuer, avec des initiatives volontaires et avec les coopératives, sans avoir rien à voir avec le gouvernement. Ce sont des initiatives du mouvement, le gouvernement ne veille pas sur ceux qui ont faim. De même, là où il y a des médecins MST, nous organisons des visites et accompagnons les personnes qui présentent des symptômes. Nous nous organisons également avec d’autres mouvements sociaux pour faire pression sur le gouvernement local et national. Nous avons récemment réussi à obtenir une aide pour les travailleurs informels qui étaient pratiquement sans rien. Le gouvernement avait proposé 200 réals mais on s’était battu et on a pu arriver à 600 réals pour au moins arriver à couvrir un panier alimentaire de base.

 

Veines Ouvertes : ‘Je reviendrai et je serai des millions!’

 

Tupac Amaru II

Le leader indigène péruvien Tupac Amaru II a été exécuté le 18 mai 1781.

A l’origine, il s’appelait José Gabriel Condorcanqui Noguera; Tupac Amaru II avait du sang inca et créole. En septembre 1780, il prit la tête de la plus grande révolte indigène contre l’empire espagnol du XVIIIème siècle, en s’insurgeant contre l’exploitation des peuples indigènes et en envisageant l’indépendance.

La révolte qui finit par réunir des dizaines de milliers d’hommes, s’étendit à une grande partie de ce qui constituait alors le Vice-royauté du Pérou, avant d’être écrasée par les troupes impériales.

La légende dit que, avant d’être exécuté, Tupac amaru prononça ces mots prophétiques : “Je reviendrai et je serai des millions!“

 

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Ines Mahjoubi.

 

Source : Investig’Action

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