Amérique Latine en Résistance : Chávez vit !

Editorial / Le legs de Hugo Chávez

 

Hugo Chavez est décédé il y a 10 ans, le 5 mars 2013. Ce fut un moment douloureux pour la Révolution bolivarienne et pour les peuples du monde. Un géant s’en était allé. Dix ans plus tard, beaucoup de choses ont changé, mais l’héritage du “Commandant” reste plus important que jamais.

Il y a beaucoup à retenir et à analyser à propos de Chavez, indépendamment de ce que l’on peut en penser. On pourrait commencer par mentionner l’impact de ses politiques de défense de la souveraineté du Venezuela (comme la loi sur les hydrocarbures). Sous les gouvernements de Chavez, la pauvreté a été réduite de moitié et l’extrême pauvreté, d’un tiers.

Une autre de ses points forts sera celui des relations internationales impulsées par le gouvernement bolivarien, comme la relance de l’OPEP. Dans l’hémisphère occidental, Chavez a repris l’héritage de Bolivar et de son projet de “Patria Grande”; il a ainsi favorisé une série d’initiatives d’intégration régionale : ALBA, Unasur, CELAC et PetroCaribe. Cette dernière s’est avérée une excellente idée qui a permis aux petites îles caribéennes d’accéder au pétrole dans des conditions favorables, rompant ainsi leur dépendance vis-à-vis des multinationales.

On peut aussi mesurer l’héritage de Chavez à partir des réactions de ses ennemis. Si les élites vénézuéliennes n’ont jamais pu cacher leur racisme et leur haine de classe, les États-Unis ont eux aussi encouragé l’hostilité dès le premier jour, en parrainant des tentatives de coups d’État, des incursions paramilitaires et d’autres agressions. Washington était, à juste titre, conscient du « danger » que représentait (et représente) la Révolution bolivarienne.

Cependant, dans cet éditorial, nous allons nous intéresser à la pensée et au projet politique de Chavez, qui a clairement évolué depuis sa victoire de 1998 jusqu’à sa mort en 2013.

Le dirigeant vénézuélien a mis l’accent sur la “refondation” de la république, et la nouvelle Constitution de 1999 est très ferme en ce qui concerne la défense de la souveraineté du pays. Quelques-unes des lois les plus importantes des débuts de mandat s’inscrivaient dans ce cadre. Cependant, comme Chavez l’admettra lui-même plus tard, l’idée que le capitalisme pouvait avoir un « visage humain » était toujours de mise.

En d’autres termes, la vision politique initiale de Chavez s’inscrivait dans une “troisième voie” tout en gardant des priorités très claires en termes de prise de contrôle des ressources et des secteurs stratégiques de façon à promouvoir une redistribution qui mettrait fin aux inégalités colossales qui caractérisaient la nation caribéenne.

Cependant, cette perspective a changé et évolué. Le développement du projet, d’une part, et le combat contre la bourgeoisie, d’autre part, ont amené Chavez à conclure qu’il fallait aller plus loin. La révolution, en plus d’être anti-impérialiste, devait aussi être socialiste. Comme il l’a dit lui-même, « le capitalisme doit être transcendé par la voie du socialisme ».

Cette position était considérée, à l’époque (2005), comme courageuse et à contre-courant. Depuis la chute du bloc de l’Est, le mot « socialisme » était tombé dans l’oubli et prenait la poussière. Il était uniquement utilisé par des groupes minoritaires ou de manière péjorative. Et voilà que le leader du processus le plus fascinant d’Amérique latine, au 21e siècle, hissait de nouveau ces drapeaux.

La voie vénézuélienne a pris forme dans les années suivantes et n’est pas restée un slogan vide de sens. Il y a eu beaucoup de débats et beaucoup d’études, menées par Chávez lui-même, pour analyser les erreurs du passé et faire en sorte que le « socialisme du XXIe siècle » soit une véritable création des masses.

Le dirigeant vénézuélien a par exemple défendu le fait qu’ “il n’y a pas d’accord possible” avec la bourgeoisie, en soulignant ainsi le caractère incontournable de la lutte des classes. De même, il a souligné que le socialisme va au-delà de l’État-providence et d’une redistribution plus équitable des revenus pétroliers. Il fallait en changer les racines, créer une hégémonie de la propriété sociale.

Certains de ces concepts, soit par négligence soit par mauvaise intention, sont actuellement dilués dans le contexte de blocus permanent contre le pays. Si les revers tactiques sont inévitables, les opportunistes ne manquent pas pour défendre le rôle du secteur privé comme solution à tous les problèmes.

Enfin, il faut mentionner la commune. La « dernière itération » du projet de Chavez était très claire sur ce point: la commune serait l’espace de construction du socialisme. Il s’agit d’unités (“cellules”) d’auto-gouvernement sur le territoire, basées sur la démocratie d’assemblée et détentrices de leurs moyens de production. Ces unités devraient ensuite se regrouper pour former « le nouveau corps de la nation ».

L’organisation populaire vénézuélienne a fait face à d’innombrables difficultés et obstacles, mais c’est bien dans ces espaces de lutte où l’on ne perd pas de vue l’horizon stratégique : une société socialiste, fondée sur l’égalité et la justice sociale. C’est pourquoi nous pouvons dire avec une totale certitude : Chavez est toujours vivant!

 

Brèves

 

Brésil / Lula prône des négociations de paix

 

Lula da Silva (Anadolu)

À l’occasion du premier anniversaire du début des hostilités, le président du Brésil, Lula da Silva, s’est beaucoup investi pour promouvoir de possibles négociations en vue de mettre fin au conflit en Ukraine.

Le gouvernement de cette nation du Sud propose la création d’un groupe de pays, qui pourrait comprendre l’Inde, la Chine et l’Indonésie, pour servir de médiateur dans le dialogue entre la Russie et l’Ukraine.

Lula a entamé son troisième mandat présidentiel en janvier et continue de miser sur un monde multipolaire. A plusieurs reprises, il a dû résister aux pressions des dirigeants occidentaux pour qu’il prenne position contre la Russie; il défend plutôt l’idée qu’il faut avancer dans des négociations de paix.

 

Pérou / Le Bureau du Procureur Général du Pérou officialise la mise en examen de Pedro Castillo

 

Le Parquet du Pérou a officialisé la mise en examen du président déchu, Pedro Castillo, accusé d’organisation criminelle aggravée et de trafic d’influence.

Pendant ce temps, dans le pays, les manifestations se poursuivent pour exiger la libération de Castillo et la démission de la présidente Dina Boluarte ainsi que des élections anticipées. Ces manifestations ont été durement réprimées.

Castillo est en détention à la prison de Barbadillo, à Lima, depuis le 7 décembre, date à laquelle il a tenté de dissoudre l’Assemblée, sans succès. Après quoi, il a été destitué par le Parlement et arrêté par la police pour présomption de rébellion et de conspiration.

 

Guatemala / Manifestations pour défendre la candidature indigène

 

Thelma Cabrera (Wikimedia)

Au Guatemala, les manifestations se poursuivent après que le Tribunal Électoral a rejeté l’inscription de la dirigeante indigène Thelma Cabrera et de l’ex-Défenseur des Droits de l’Homme, Jordán Rodas, comme candidats à la présidence et à la vice-présidence du pays.

Les autorités électorales font valoir que Rodas fait l’objet d’une enquête de la part de l’Organe de Contrôle pour de présumées irrégularités commises durant son mandat de procureur, mais le candidat affirme qu’il remplit toutes les conditions requises et établies par le Code Électoral du Guatemala et il dénonce la possibilité que ces élections à venir soient « frauduleuses ».

Le binôme Thelma Cabrera/Jordán Rodas se présente comme candidats du Mouvement pour la Libération des Peuples, une organisation politique de gauche, antisystème, qui plaide pour la reconnaissance des droits des populations autochtones et une rénovation de l’État guatémaltèque.

 

Venezuela / La polémique sur l’Essequibo continue

 

Le Gouvernement du Venezuela a rejeté un communiqué émanant du Ministère des Affaires Étrangères de la Guyane portant sur l’historique litige territorial qui oppose les deux pays au sujet de l’Essequibo, région riche en minéraux et en ressources pétrolières.

Le Venezuela a accusé son voisin oriental de violer l’Accord de Genève de 1966 qui préconisait la recherche d’une solution commune au différend territorial. Caracas souligne que la Guyane défend les intérêts d’entreprises multinationales en autorisant l’exploitation pétrolière dans les eaux territoriales de cette région sur laquelle ils s’opposent.

En réponse, la Guyane a allégué que l’Accord de Genève n’impose aucune restriction au développement économique du pays.

 

Mexique / Réforme électorale approuvée

 

AMLO (Mercopress)

Le Sénat du Mexique, par 72 voix pour et 50 contre, a approuvé une réforme des autorités électorales présentée par le parti Morena du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO).

Cette réforme ampute le budget ainsi que certains privilèges de l’Institut National Électoral de cette nation d’Amérique Centrale. AMLO et ses partisans ont souligné que ces autorités électorales fonctionnent comme une élite et, qu’en de multiples occasions, elles se sont révélées favorables aux partis d’opposition.

Par contre, l’opposition s’efforce de présenter cette réforme comme « une atteinte à la démocratie».

Le Mexique célèbrera des élections présidentielles en 2024. Les sondages donnent actuellement l’avantage au candidat (non encore désigné) du parti Morena.

 

Interview

 

Équateur : Belen Zapatera : “Lasso est hanté par le fantôme de “l’impeachment” qui rôde dans le Palais Carondelet”

 

La Révolution citoyenne, mouvement politique dirigé par l’ancien président Rafael Correa en Équateur, a obtenu des résultats très encourageants lors des récentes élections régionales et locales dans ce pays d’Amérique du Sud. Dans cette interview, la journaliste Belen Zapatera fait le point sur le contexte politique du pays et les scénarios à venir.

Le peuple équatorien s’est rendu aux urnes le 5 février dernier et la presse n’a pas hésité à qualifier ce scrutin de victoire du “corréismo”. Peux-tu nous dire ce qui était en jeu et quelles sont les implications politiques de ces résultats ?

La Révolution citoyenne (RC) est aujourd’hui la force politique la plus importante en Équateur et elle se consolide non seulement en ayant remporté un grand nombre de mairies et neuf préfectures, mais aussi par sa victoire dans les deux plus grandes villes du pays, Quito et Guayaquil.

Depuis le retour du pays à la démocratie en 1979, aucune organisation politique n’avait réussi à remporter des élections sectorielles dans les deux villes en même temps. De plus, dans le cas de Guayaquil, le triomphe du corréisme a marqué la fin de 31 ans d’administration par le Parti social-chrétien.

La première question qui se pose est la suivante : comment la CR a-t-elle obtenu ce résultat qu’elle n’avait pas obtenu lorsque Rafael Correa était président ? Une hypothèse est que cette organisation a opté pour des figures qui avaient une expérience de l’administration publique, dans certains cas, et pour de nouveaux profils qui incarnaient l’espoir de changement, dans d’autres. Bien que le poids de Rafael Correa sur la scène politique se traduise par un vote de fidélité, il n’est pas déraisonnable d’affirmer que son seul soutien n’a pas été le facteur déterminant. Une autre hypothèse consiste à dire que le discours pro-Correa vs anti-Correa s’est épuisé, rendre l’administration de Rafael Correa responsable de tous les maux dont souffre l’Équateur aujourd’hui ne se traduit plus dans les votes.

Un autre grand gagnant est le Mouvement d’unité plurinationale Pachakutik (PK) avec 26 mairies et 6 préfectures, son meilleur résultat depuis 2000; il consolide ainsi le soutien obtenu lors des élections générales de 2021, lorsque qu’il n’a manqué à son candidat à la présidence que quelques voix pour disputer le second tour et que celui-ci a remporté un nombre important de sièges à l’Assemblée nationale (Parlement).

Et puisque nous parlons de gagnants, il faut aussi évoquer les perdants. Bien que le Parti social-chrétien figure sur la carte électorale comme la deuxième force politique, sa défaite dans ses bastions, que sont Guayaquil et Guayas, représente un échec pour le parti. Alors que le parti du président de la république, Guillermo Lasso, a été tiré vers le bas du fait de son faible niveau d’acceptation dans la population.

Les élections sectorielles marquent le début de la course à la présidence, une bataille qui aura lieu en 2025. Il s’agit donc d’un processus qui permet de mesurer les demandes des citoyens et de déterminer quelles sont les propositions qui correspondent aux voeux de la majorité de l’électorat.

En plus des élections régionales et locales, les Équatoriens ont également voté dans le cadre d’un référendum constitutionnel. Qu’est-ce que le gouvernement Lasso recherchait ainsi et qu’en est-il de son pari ?

Avec le plébiscite, le gouvernement cherchait à retrouver son approbation. En Équateur, nous avons un dicton qui dit qu’on va chercher la laine et qu’on ressort tondu, et c’est exactement ce qui s’est passé. Le référendum a posé huit questions sur divers sujets aux citoyens, mais une seule concernait l’insécurité et le crime organisé, l’une des plus grandes préoccupations actuelles de la population.

Lasso est arrivé à cette consultation en échec, avec 7 équatoriens sur 10 qui jugent sa présidence mauvaise et très mauvaise, ce qui s’ajoute aux chiffres qui placent l’Équateur comme l’une des nations les plus violentes d’Amérique latine avec un taux de 25 homicides pour 100 000 habitants.

Le gouvernement a lancé cette consultation dans un pays où seulement trois personnes sur dix ont un emploi correct, où 25% de la population est pauvre et où 8% vit dans l’extrême pauvreté, selon les informations de l’Institut de la statistique et du recensement (INEC) en décembre 2022.

Je voudrais également souligner une grave erreur de communication commise par le gouvernement dans sa campagne pour le “Oui”, ceci a encore plus polarisé le pays, en désignant ceux qui s’opposaient aux questions, notamment à l’extradition des personnes liées au crime organisé, comme des complices du trafic de drogue. Cette campagne a démontré, une fois de plus, l’incapacité à construire des alliances et à proposer à la population des messages constructifs.

Nous sommes, à peu près, à deux ans des prochaines élections, et nous voyons Lasso relativement affaibli. Quels sont les défis pour la gauche dans l’avenir immédiat ? Quelle doit être sa stratégie ?

Outre les résultats de la Consultation populaire qui ont démontré le faible soutien et la faible crédibilité du gouvernement de Lasso, les affaires de corruption révélées ces dernières semaines qui impliquent l’entourage le plus proche du président font planer le spectre de la destitution, une fois de plus, dans les couloirs du Palais Carondelet.

Guillermo Lasso ou la personne promue par son parti politique ne sera plus un candidat majeur aux élections de 2025; raison pour laquelle, il n’est pas pressé de dire que les candidat (e)s à la présidence pourraient être choisis parmi les maires ou les autorités provinciales élus le 5 février dernier. Les conditions sont également réunies pour qu’un “outsider” arrive sur le terrain.

Les résultats des élections locales montrent que les organisations politiques de gauche ont réussi à remporter le plus grand nombre de mairies, donc je pense que la stratégie est très simple : faire les choses correctement et tenir les promesses de campagne.  Mais en plus de cela, il faut établir des alliances pour ne pas disperser les votes, ce qui permettra de tester la maturité politique et la capacité de négociation des partis et des mouvements.

 

Fresque dédié à Berta Cáceres à Santa Barbara (Honduras).

 

Veines ouvertes : Assassinat de Berta Caceres

 

L’écologiste et leader hondurienne Berta Caceres a été abattue à son domicile le 2 mars 2016. C’est un événement sinistre qui a été ressenti à la fois au Honduras et au-delà de ses frontières.

Caceres était une militante infatigable de la défense de l’environnement et des droits des peuples autochtones. Pendant des années, elle a conduit la lutte contre la construction d’un barrage hydroélectrique par l’entreprise Desa sur le territoire indigène Lenca.

Son organisation, COPINH, ainsi que ses alliés honduriens et internationaux, ont lutté pour que justice soit faite. En 2021, David Castillo, cadre de l’entreprisee DESA, a été reconnu coupable d’être le cerveau de l’assassinat de Caceres.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source : Investig’Action

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