Algérie : Il était une fois le grognement pacifique de Tidikelt…!

En 2015 la commune de In Salah a surpris et les observateurs et les autorités. Aux yeux de ses habitants, l’exploitation du gaz de schiste, cette énergie dite non-conventionnelle, aurait un impact négatif et irréversible sur leur vie et sur celles des générations futures.

 

 

Faits

 

 

Fait, la France réalisa une victoire écologique en disant : « Not in my backyard », faisant ainsi allusion au refus de l’exploitation de gaz de schiste sur son territoire;

Fait, le gouvernement québécois fut à l’écoute du grognement de sa population lorsque celle-ci s’est opposée à l’exploitation de gaz de schiste et pour cause, la technique dite « fracturation hydraulique » utilisée dans ce genre de forage nuit considérablement à l’environnement et à la sécurité publique;

Fait, la Chine qui vient à la fois en tête de liste des grands pays pollueurs de la planète et des plus grand pays détenteurs de réserve en gaz de schiste choisit de conclure un contrat de 400 milliard de $ avec la Russie pour son approvisionnement en gaz. Un contrat qui s’étale sur 30 ans ;

Fait, les prix du pétrole ont chuté et cela a causé une crise !

 

 

Algérie, le recours à l’exploitation de gaz de schiste

 

 

Eu égard à cette conjoncture économique, des spécialistes s’attendaient a priori à ce que les dirigeants en Algérie saisissent ce virage pour annoncer des réformes économiques et des mesures sensées, susceptibles de faire sortir le pays de l’économie de la rente vers une économie plus diversifiée. Or, le gouvernement algérien et contrairement à toutes les attentes choisit pour mesure salvatrice, le recours à l’exploitation de gaz de schiste au sud du pays et ce en partenariat avec des sociétés étrangères.

Toutefois, dès que la machine s’est mise en marche, le gouvernement réalisa qu’il a omis d’inclure dans ses calculs un facteur fort majeur mais marginalisé jusqu’alors, à savoir : « les gens du Sud ». En effet, l’appareil exécutif prit connaissance des grognements lesquels commencèrent à se faire entendre et à prendre de l’ampleur notamment au sein de la communauté de Tidikelt. (1)

En décembre 2014 une délégation ministérielle menée par l’ex-ministre de l’énergie à l’époque Youcef Yousfi, surnommé « l’homme de schiste », fut dépêchée sur les lieux à cet effet. L’ex-ministre s’adressa alors à la communauté locale en vue de la sensibiliser et la conscientiser à propos de la gravité de la situation et que le recours à l’exploitation du gaz de schiste, décision prise en hauts lieux et validée par L’APN (Assemblée Populaire Nationale), répond dans les circonstances à un besoin pressant et demeure par conséquent une alternative incontournable.

Sur un ton rassurant et confiant, l’ex-ministre tenta également d’expliquer au collectif anti gaz de schiste que les craintes et les inquiétudes qu’ils se font à propos de la technique dite fracturation hydraulique utilisée dans ce genre de forages n’ont nullement lieu d’être.

Il faut dire que cette rencontre fut un véritable échec puisque la délégation a échoué à faire vendre l’idée de projet à population.

 

 

Le grognement pacifique de Tidikelt

 

 

Les habitants du sud ou «Ness Sahara» (2), une population qui vit quasiment en marge d’un semblant d’une dynamique socio-culturelle et économique, faute d’une politique inéquitable dans la répartition des richesses du pays.

Considérés jusqu’alors comme étant une peuplade naïve, déphasée et surtout peu revendicatrice ou réputé l’être, «Ness Sahara» peuvent au gré des circonstances exhiber une facette et une attitude peu habituelles et fort imprévisibles. En effet, les événements de 2015 lesquels ont secoué le sud algérien notamment la commune de In Salah ont surpris et les observateurs et les autorités. Organisés et déterminés, c’est ainsi qu’ils ont tenu tête à un gouvernement gonflé à bloc, arrogant, condescendant et surtout réputé pour ses promesses arlésiennes.

Se gardant aussi de quelconque acte de violence, dans une discipline exemplaire, la communauté dans tout sa composante est sortie et exprimée en parfaite communion son mécontentement et son refus catégorique à la concrétisation d’un projet perçu comme étant anti-environnemental. À leurs yeux et à bien des égards, l’exploitation de cette énergie dite non-conventionnelle aurait un impact négatif et irréversible sur leur vie et sur celles des générations futures. Malheureusement, cette action pacifique et civilisée pour le droit à la vie fut réprimée, brutalisée et dispersée au bout du compte à coup de bombes lacrymogènes de la part des forces de l’ordre, causant ainsi beaucoup de blessés parmi les manifestants.

 

 

Le syndrome du mal hollandais

 

 

Le 24 février 1971 fut une date charnière dans l’histoire d’une Algérie post-indépendance, à laquelle le Président Houari Boumediene, dans un discours considéré comme historique, annonça la nationalisation des hydrocarbures du pays. Par cette décision l’Algérie voulut concrétiser sa souveraineté et marquer par conséquent sa rupture avec le régime colonial français. Mais depuis, l’économie algérienne est demeurée malheureusement entièrement dépendante de la rente pétrolière qui représente 98% des exportations.

Force est de constater que tous les gouvernements lesquels se sont succédé au pays ont fini au fil des années par développer une addiction maladive à la consommation des hydrocarbures dont ils sont devenus « accros » et peinent vraisemblablement à s’en défaire. Il faut dire que la stabilité voire la sécurité socio-économique en Algérie est restée toujours tributaire de la fluctuation des prix de pétrole. En 2018, trois années après les événements d’In Salah, il semble que les autorités algériennes s’apprêtent à relancer le projet de gaz de schiste -mis jusqu’alors en veilleuse- et ce en partenariat avec des compagnies américaines.

Dans une allocution laquelle fait appel à la sagesse et la rationalité, le Pr Chemss Eddine Chitour (3) exhorta les autorités algériennes à faire preuve de plus de prudence dans la gestion de ce dossier controversé, en l’invitant a posteriori à chercher des solutions à la crise dans des alternatives sensées (la promotion du secteur agricole, le tourisme, les énergies renouvelables,…) et faire en sorte que les réserves en gaz de schiste soient préservés au profit des générations futures, lorsque la technologie qui lui affère serait à ce moment-là plus mature et mieux contrôlée.

 

Notes :
1. Tidikelt : Région située au cœur du Sahara algérien, ses principales communes sont In Salah et Aoulef
2. Ness Sahra : les gens ou les habitants du sud en français
3. Chemss Eddine Chitour : Professeur émérite à l’École Polytechnique d’Alger

 

Source : Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.