A partir de quand est-ce un génocide ?

De plus en plus de personnes ont commencé à employer le terme de génocide pour décrire ce que Israël fait à Gaza. Israël ne va pas tuer directement des dizaines de milliers de Palestiniens, mais il va créer les conditions conduisant à la mort de dizaines de milliers d’entre eux. N’importe quelle épidémie finira le travail.


Lors d’une visite à Ramallah il y a un an, alors que le bombardement de Gaza était en cours, j’ai évoqué mes craintes avec un ami proche, Palestinien. « Je sais que cela peut paraître dément, mais je pense que l’objectif réel des Israéliens est de les faire tous mourir. »


Mon ami me dit de pas exagérer ; l’assaut était horrible, mais ce n’était pas un meurtre de masse.

Je lui ai dit que ce n’était pas là le problème : il s’agissait d’une population déjà très vulnérable à la maladie, dans un mauvais état sanitaire, souffrant de malnutrition après des années de siège, avec des infrastructures pourries, de l’eau et de la nourriture contaminées. La guerre menée par Israël allait à coup sûr faire passer les gens de l’autre côté de la limite, particulièrement si le siège se poursuivait – et tel a été le cas.

En d’autres termes, Israël ne va pas tuer directement des dizaines de milliers de Palestiniens, mais il va créer les conditions pour que des dizaines de milliers d’entre eux meurent. La première épidémie qui passera achèvera le travail. Mon ami resta silencieux, mais continua à hocher la tête en signe d’incrédulité.

Depuis l’an dernier, deux choses ont changé : de plus en plus de gens ont commencé à appliquer la terme « génocide » à ce que fait Israël à Gaza. Et il n’y a pas qu’Israël qui soit directement accusé, mais également, de plus en plus, l’Egypte.
Est-ce un génocide ? La « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », un document clair et concis adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 260 A (III) du 9 décembre 1948, déclare que le génocide est l’une quelconque de cinq actions commises « dans l’intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe national, ethnique, racial, ou religieux. »


Trois de ces actions s’appliquent à Gaza :

(a) Tuer des membres du groupe ;

(b) Causer des maux corporels ou mentaux graves aux membres du groupe ;

(c) Infliger délibérément au groupe des conditions de vie calculée pour provoquer sa destruction physique, en totalité ou en partie. »

Les juristes universitaires discutent de la façon d’interpréter les articles de la Convention, et il s’est avéré difficile, au cours des années, de définir certains crimes comme des génocides, et plus difficile encore de les empêcher et d’y mettre un terme. En s’inspirant du précédent de la Bosnie – le seul traitement légal indiscutable du génocide à ce jour – il serait nécessaire d’établir une intention délibérée pour qu’une accusation de génocide lancée contre Israël soit acceptée par un tribunal.

La direction israélienne n’a bien entendu jamais publiée une telle déclaration d’intention. Cependant, beaucoup de déclarations d’officiels israéliens vont dans ce sens :

  • Mettre les Palestiniens de Gaza « au régime » – Dov Weissglass, adloint principal d’Ariel Sharon, en 2006.
  • Les exposer à « une plus grande shoah (holocauste) » – Matan, ancien ministre adjoint de la défense, en 2008.
  • Publier des directives religieuses exhortant les soldats à ne faire preuve d’aucune pitié – le rabbinat israélien au cours du conflit actuel.

De telles déclarations correspondent à au moins trois des « 8 stages du génocide » identifiées par Gregory Stanton, président de Genocide Watch, en 1990, à la suite du génocide au Rwanda : classification, déshumanisation, et polarisation.
Il y a ensuite la destruction délibérée et l’interdiction d’approvisionnements et de moyens de subsistance, pratiquée par Israël sur terre et sur mer.

Déjà, le rapport Goldstone a déclaré que priver les Palestiniens de leurs moyens de subsistance, de leurs emplois, de leurs logements, de leur eau potable, de leur liberté de mouvements et de tout accès à une juridiction quelconque, que cela pouvait être qualifié de persécution.

Depuis l’attaque de décembre-janvier, il y a eu beaucoup de rapports incontestables établis par des organisations de droits de l’homme, ainsi que de respect de l’environnement, relatifs à l’impact de la guerre et de la poursuite du siège sur les personnes, les sols, l’air, et l’eau, et qui montrent une augmentation du nombre de cancers, de malformations à la naissance, et de morts non inévitables. Le nombre de morts de la grippe porcine à Gaza a atteint 9 en décembre et 13 une semaine plus tard.

La huitième étape d’un génocide : le refus des auteurs de reconnaître le moindre crime

Ironiquement, on peut rappeler que Stanton a dirigé l’Association Internationale des Universitaires Spécialisés sur les Génocides, au cours du conflit, qui, malgré quelques protestations, a terminé l’étude des actes d’Israël par, entre autres, une déclaration selon laquelle les politiques suivies par Israël étaient « trop gravement proches » d’un génocide pour être ignorées, et qui appelait à briser le silence.

« Gravement proches » est bien le mot approprié. Voici ce que Raphael Lemkin, universitaire et juriste d’origine juive et polonaise, écrivait en 1943 :

« le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation… Il correspond plutôt un plan coordonné comportant différentes actions visant la destruction des fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but de parvenir à l’annihilation de ces groupes eux-mêmes. Les objectifs d’un tel plan seraient la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion, et de l’existence économique de groupes nationaux, ainsi que la destruction de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, et même de la vie des individus appartenant à de tels groupes. »

Il est difficile d’imaginer une meilleure description de ce qui se passe à Gaza.

Tous les pays membres des Nations Unies ont le devoir d’empêcher les actes de génocide, et au moins de s’y opposer. Ce qu’il faut est qu’il y ait un pays assez courageux pour prendre la tête d’une telle action avant qu’il soit trop tard.

Source: Uruknet

Traduction: Appel de Strasbourg pour une paix juste au Proche-Orient

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