Violences au Tibet : un avis alternatif

L'auteur participera à une série de débats en Belgique en avril et mai (voir agenda à la fin)

Les faits

D’après des témoins occidentaux présents sur place, e.a. James Miles, journaliste pour « The Economist » , les violences commises à Lhassa durant cette semaine – date de commémoration de la « Rébellion nationale de mars 59 » – ont été inaugurées par des Tibétains, dont des lamas qui encourageaient des groupes de jeunes à commettre des actes destructeurs.

Les manifestations de violence étaient organisées : les Tibétains portaient des sacs à dos remplis de pierres, de couteaux et de cocktails molotov. Les morts causés par ce drame sont tous des Chinois. Les dégâts matériels, destruction de commerces, incendie de véhicules, étaient clairement tournés contre les Chinois. Les manifestants tibétains s’en sont également pris à des écoles primaires, des hôpitaux et des hôtels.

De sorte que les Occidentaux présents sur place, pour la plupart des touristes, se demandaient quand la police allait intervenir. Rejointe par l’armée chinoise, elle est intervenue suite à deux jours de violence. Les autorités chinoises craignaient-elles la réaction des pays occidentaux ? … pays qui, en réalité, n’attendaient que cette intervention pour parler de « répression sauvage par l’armée chinoise et de chasse aux manifestants ». Comment lire ces faits ?

Y a-t-il lieu de parler d’un « génocide culturel » au Tibet ?

En Chine vivent six millions de Tibétains répartis sur différentes provinces, principalement le Tibet, le QingHai, le Gansu, le Sichuan et le Yunnan. Ces six millions de personnes sont bien loin de toutes désirer l’indépendance du Tibet. Il leur apparaît clairement, dans leur vie quotidienne, que la Chine leur a apporté beaucoup plus qu’elle ne leur a retiré. En 50 ans, la population tibétaine a triplé grâce aux soins de santé et aux améliorations dans les domaines agricole, économique et autres.

Depuis les années quatre-vingt, la culture et la religion du Tibet s’exercent librement, les enfants sont bilingues, des instituts de tibétologie ont été ouverts à l’intention des jeunes Tibétains, les monastères regorgent de lamas (même des jeunes enfants), et, en rue, les fidèles font allègrement tourner leurs moulins à prière. Il ne s’agit nullement d’un « génocide culturel », tel qu’on le présente chez nous. En réalité, la très grande majorité des six millions de Tibétains se méfie de la communauté tibétaine en exil qui représente pour eux un danger de déstabilisation.

Au sein de la communauté en exil, les avis sont d’ailleurs assez partagés, par exemple, Pangdung Rinpoché du monastère de Sera, actuellement exilé à Munich, dit textuellement que « le Dalaï Lama, en commercialisant le Bouddhisme tibétain, cause plus de dégâts à la culture tibétaine que le gouvernement chinois » . Il est pourtant évident que la Chine exerce un contrôle sur les provinces tibétaines, mais que vise ce contrôle chinois ? Il vise uniquement les « divisionnistes », qu’ils soient Tibétains, Chinois, Occidentaux, lamas, laïcs, vieux, jeunes, hommes ou femmes. Ces personnes, qui par leurs actes ou leurs paroles cherchent à en entraîner d’autres dans une lutte pour l’indépendance, sont sévèrement poursuivies et punies, tels les manifestants de cette semaine.

D’après le gouvernement chinois, cette lutte est poussée par la communauté en exil et soutenue par le discours ethnique que tient le Dalaï Lama. On ne peut nier qu’il existe des différences culturelles entre les Tibétains et les Chinois, on pourrait même parler d’un gouffre. Toutefois, les heurts qui ont lieu régulièrement au Tibet ne relèvent pas d’un conflit ethnique, mais sont l’expression de la tension existant entre la Chine et l’Occident depuis 50 ans.

A qui sert le discours ethnique ?

Mettre en avant un « conflit ethnique » en vue de diviser un pays est un procédé bien connu des gouvernements occidentaux. Rien que durant ces deux dernières décennies, on peut citer comme exemples : les Balkans, l’URSS et le Moyen Orient, sans oublier plusieurs conflits en Afrique. En ce qui concerne la Chine, les Etats-Unis se sont attelés à cette tâche dès le début de la Guerre Froide. Depuis 50 ans, le Tibet est un de leurs plus valeureux chevaux de bataille, dont le Dalaï Lama est le fier destrier.

Dès 1949, le ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis déclarait que « ce qui nous importe n’est pas l’indépendance du Tibet, mais l’attitude à adopter vis-à-vis de la Chine » . Dix ans plus tard, le Dalaï Lama choisit clairement ses alliés et décide l’exil, moyennant gros financement et soutien logistique de la CIA . En 1989, Sa Sainteté perçoit le prix Nobel de la Paix, la même année que le mur de Berlin s’est vu chuté et que la Place TianAnMen s’est vue hantée par une statue de la liberté en papier mâché. En 2007, le Dalaï Lama est décoré du plus prestigieux insigne du Congrès américain et déclare que « Bush est désormais un membre de sa famille ».

Ce dernier événement n’a été que peu relayé par les médias européens : on comprend leur embarras face à cette alliance affichée du Dalaï Lama avec le gouvernement des Etats-Unis, alors que la politique extérieure de ce dernier est de plus en plus interpellée par l’Europe. L’enjeu du conflit Chine-Occident, exprimé à travers les violences de Lhassa, n’est pas un « petit Kosovo », mais il s’agit du tiers de la Chine, un territoire qui vaut cinq fois la France et qui ouvre l’accès au gigantesque marché économique chinois, de quoi faire basculer l’économie mondiale !

Mission de l’Occident bien pensant : imposer la démocratie, coûte que coûte

Les violences qui ont eu lieu à Lhassa cette semaine sont à lire dans la continuité : 1949-59-89. Sans doute, on peut les considérer comme un « feu vert » donné par les Etats-Unis, relayé par le Dalaï Lama et concrétisé par quelques jeunes Tibétains à qui on a dû promettre monts et merveilles occidentales en bout de course. Ils deviendront des héros nationaux, à moins qu’ils ne croupissent dans les prisons chinoises.

Espérons toutefois que ces incidents ne soient pas un « exercice de style », précurseurs d’une série d’autres violences dont il n’est pas difficile de prévoir les échéances : les JO de Pékin cet été 2008, la date anniversaire des 50 ans de la « Rébellion nationale » en mars 2009, et l’expo universelle à Shanghai en 2010. Autant d’événements médiatiques qui vont rassembler la presse internationale et sur lesquels compte l’Occident pour mettre la Chine au pas de sa « démocratie ». Mais peut-on réellement en vouloir à la Chine de mener sa barque indépendamment des exigences de notre marché et loin de notre éthique démocratique ? N’oublie-t-on pas trop facilement que c’est ce marché économique, mis en place par nous-même et enrobé dans nos « Droits universels de l’homme », par lequel meurent de faim et de soif des centaines de milliers de personnes par jour ?

1. www.economist.com: « Fire on the roof of the world » (14/3/08), « Lhasa under siege » (16/3/08)

2. Pangdung Rinpoché cité par Gerald Lehner dans « Zwischen Hitler und Himalaya, Die Gedächtnislücken des Heinrich Harrer », Czernin Verlag, 2007

3. dans les archives du « Foreign Relations of United States » : images.library.wisc.edu/FRUS/EFacs

4. voir les mémoires tibétaines des anciens agents de la CIA : Conboy K., Morrison J., « The CIA’s Secret War in Tibet », U.P.Kansas 2002

AGENDA DES CONFERENCES – DEBATS AVEC ELISABETH MARTENS :

Le 8 avril à 20h, Charleroi, rue Zénobe Gramme 21, "La Braise"

Le 12 avril à 15h, Bruxelles, Rue Royale 15, "Cap Evasion"

Les 16 avril à 20h, Zwevegem, Culturele Centrale ABVV, bibliotheek Centrum

Le 17 avril à 20h, Harelbeke, Kunstkring "De Geus", Arendswijk

Le 18 avril à 20h, Kortrijk, VC "Mozaiek", Overbiestraat 15a

Le 25 avril de 12h à 14h et de 16h à 18h, Liège, 19-21 rue Pierreuse, "Barricade"

Le 8 mai à 19h30, Namur, rue bas de la Place 16, librairie "Papyrus"

Le 26 mai à 20h, Namur, Hôtel des Tanneurs, Rue des Tanneries 13

Le 30 mai de 16h à 22h, Bruxelles, Halles de Sachearbeek, rue Royale Sainte Marie 22, "Joli Mai": dédicace-discussion

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