Un quotidien de Miami demande un colonel sachant bien viser

Imaginez une seconde que dans un média public, au Venezuela ou à Cuba, soit publié le papier d’un chroniqueur expliquant que puisque les protestations et les rassemblements populaires, en Espagne ou en Colombie, s’avèrent incapables de renverser le président en exercice que ce chroniqueur déteste, ce qu’il faut c’est faire appel à un colonel sachant bien viser, évidemment pour abattre d’une balle le chef d’État en question, faire un rapide coup d’État et organiser ensuite des élections. On suppose que ces élections devront êtres gagnées par les amis du dit chroniqueur, car sinon, très logiquement encore, il cherchera un second militaire également bon tireur pour recommencer l’opération.

 

Eh bien, c’est exactement cela que vient de publier Mirta Ojito, dans le Nuevo Herald (1), de Miami, le quatre avril, sous le titre « Mon colonel courageux et sensible » .

 

Ça vaut la peine de citer l’article presque in extenso. En voici le début :

« Quand je pense à mon pays — chose que je ne fais plus désormais tous les jours — je prie pour que quelque part, au sein des Forces Armées Révolutionnaires de Cuba (FAR), il se trouve un colonel découragé mais courageux, avec un penchant pour la démocratie, une profonde connaissance de l’Histoire et beaucoup d’amis.
Il faut qu’il soit célibataire et sans enfants (pour qu’il n’ait rien à perdre et personne à affliger) ; il faut qu’il vienne de Villa Clara (parce que je crois que les guajiros (2) cubains ont un grand sens de l’honneur) et il faut aussi qu’il soit un excellent tireur (mais pas un champion, car, sinon, ils le dégraderaient et le mettraient à la retraite avant qu’il ne puisse agir).

Oh, il faut aussi que ce soit ce genre d’homme qui est ému à la lecture de Madame Bovary et qui aime la pêche. Après le rapide et sanglant coup d’État, après avoir organisé des élections démocratiques, après que le peuple cubain aura élu un nouveau gouvernement, mon vaillant et sensible colonel se retirera dans un petit port de pêche, à Caibarien, par exemple, et il y passera le restant de ses jours à pêcher, loin du gouvernement, loin des armes et du pouvoir.

Est-ce beaucoup demander ?

Car les manifestations et les rassemblements ne renversent pas un régime qui détient le pouvoir depuis 51 ans. Pas plus que les articles des journaux. À Cuba, la situation étant ce qu’elle est, ce qu’il faut c’est une révolte de militaires. »

 

L’auteur reconnaît que ses idées politiques, en ce qui concerne Cuba, n’ont pas de soutien populaire :

« Plus d’un demi-siècle après — mon Dieu, un demi-siècle ! — nous voici encore en train de manifester, à New York et à Los Angeles et à Miami, avec des drapeaux, des fleurs et de bonnes intentions, avec l’espoir de convaincre un public majoritairement apathique de ce qu’à 90 milles de la pointe méridionale des États-Unis existe un pays où ne sont pas respectés les Droits de l’Homme fondamentaux. »

Sa position est clairement exprimée : ils protestent, ils manifestent, mais comme ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent, ce qu’il faut faire c’est chercher un colonel sachant bien viser pour abattre d’une balle bien placée le chef d’État haï et point barre. En vérité, cela manque totalement d’originalité. C’est ce qu’ils ont déjà fait mainte et mainte fois en Amérique Latine : au Guatemala, au Chili… Souvent il n’a même pas été nécessaire de tuer le président, comme à Haïti avec Aristide. En outre, le système vient de s’avérer pleinement efficace au Honduras.

 

Que se passerait-il si cet article était écrit dans le Granma,(3) de Cuba, à l’adresse de Obama ? Ou si cela était dit à la Télévision, au Venezuela ? Mais comme cela est publié à Miami, une ville du pays de la liberté, une ville où pullulent de malheureux Cubains qui connaissent la tragédie de l’exil, il ne se passe rien.

 

Les seules protestations que nous entendons, ici, c’est lorsque le gouvernement du Venezuela – ou de Cuba – achète des armes, c’est-à-dire lorsque ces gouvernements prennent des précautions pour que le colonel du Nuevo Herald ne leur tire pas une balle dans la nuque.

 

Notes:

1) El Nuevo Herald (Le Nouvel Héraut) est un quotidien de langue espagnole fondé en 1977 à Miami. Propriété de The McClatchy Company, il tire à 86 898 exemplaires en semaine et 98 261 exemplaires le dimanche – (Wikipedia) – .

2) guajiro : paysan cubain.

3) Granma : nom du bateau de 18 mètres sur lequel Fidel, Che Guevara et 80 partisans, venant du Mexique, débarquèrent clandestinement à Cuba, en décembre 1956, pour reprendre la guerre révolutionnaire. En hommage à ce bateau, Granma est le titre du quotidien officiel du Parti Communiste Cubain (PCC) .

Traduction M. Colinas

Source: rebelion

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